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15.06.2021

Il était une data : 180 250 demandes de brevets ont été déposées cette année en Europe.*

Malgré la crise, le nombre de brevets déposés s’est maintenu en 2020. Mais que révèle ce chiffre ? Quelles différences entre invention et innovation ? Norbert Alter, professeur de sociologie intervenant à Sciences Po Executive Education, insiste sur le caractère collectif de l’appropriation de l’innovation.

L’innovation, photographie du temps présent

Il est désormais commun d’affirmer qu’une crise stimule l’innovation. Les chiffres du baromètre 2020 de l’Office Européen des Brevets (OEB), en pleine période de pandémie, ne confirment pourtant que partiellement cette idée. Ainsi, le domaine de la santé enregistre logiquement une progression nombre de brevets alors que le secteur des transports recule. Il faut abandonner l’idée simple selon laquelle de fortes contraintes font émerger, mécaniquement, des capacités d’innovation. Trop de contraintes peuvent parfaitement conduire à la passivité, la reproduction coutumière, le repli et une stérilisation des capacités créatives.

Mais la question la plus cruciale que pose la lecture des résultats de la balance des brevets est ailleurs : on confond généralement l’invention, c’est-à-dire la création de quelque chose de nouveau et l’innovation, la capacité collective à utiliser cette nouveauté. Internet est ainsi, à l’origine, une invention qui n’a rien de spectaculaire, mais l’appropriation de cette technologie, par adaptations successives, a débouché sur la situation que l’on connait. Dans le même sens, beaucoup d’inventions ne trouvent jamais preneur, alors qu’une multitude de petites innovations ne font pas l’objet de brevets. En un mot, une invention n’est qu’une idée, alors que l’innovation représente la capacité à rendre cette idée bonne en déformant et en adaptant l’idée initiale.

La course à l’innovation :  entre frénésie et confusion

La même analyse vaut pour le management.  Il existe bel et bien un culte de l’idée nouvelle en entreprise mais il y a une confusion sur le sens des mots. Trop de dirigeants visent l’innovation de rupture, la transformation organisationnelle radicale et la « disruption » (selon le terme en vogue) en multipliant les réformes, changements, nouveautés, en tentant à toute force de bouleverser le monde de l’entreprise. Cela est flatteur mais inefficace. Pour innover, il faut que les acteurs du terrain, les utilisateurs, puissent adapter ces visées à leurs besoins, leur métier, leur culture, et pas seulement adopter les changements décidés. Tout cela représente un processus social complexe qui suppose d’être à l’écoute des salariés et qui repose sur un management empirique, respectueux et opiniâtre.  L’innovation réelle, concrète, demande du temps pour que les individus s’approprient l’idée initiale et l’adaptent à leurs besoins. Elle s’épanouit dans la continuité et la banalité du quotidien. Les décideurs efficaces savent parfaitement cela.

L’intelligence collective, véritable indicateur de l’innovation

Internet, la démocratie ou les grandes réformes organisationnelles réussies participent de cette logique de l’innovation incrémentale, par opposition à l’innovation de rupture : elles résultent de l’agrégation progressive de l’action de groupes d’individus qui transforment une nouveauté en usage quotidien, grâce à des améliorations successives. Une définition bien éloignée de l’image de l’inventeur solitaire et génial, ou du décideur omniscient. Les innovateurs sont des passeurs avec des capacités d’empathie, aptes à cultiver un réseau d’influence. Ils donnent sens et effectivité aux idées nouvelles et assurent ainsi leur diffusion. Ces dernières reposent en effet sur des croyances, invérifiables avant qu’elles ne prennent corps, ne se soumettent au couperet de l’expérience et rentrent dans les usages. Le passage à l’appropriation suppose ainsi l’intervention d’acteurs à la fois critiques, pragmatiques et souvent transgressifs.

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* Baromètre 2020 de l’OEB

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