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10.07.2025
Rapport de recherche : les dynamiques de coopération des infirmières libérales : étude sur trois territoires.
Les dynamiques de coopération des infirmières libérales : étude sur trois territoires.
La coopération des professionnels de santé est devenue une exigence des politiques publiques, confrontées à de profondes transformations des soins ambulatoires. Mais comment coopère-t-on dans les secteurs d’activité libérale où les principes de liberté et d’autonomie sont traditionnellement valorisés ? Sur la base d’entretiens et d’observations sur trois territoires, l’enquête permet de caractériser un « rôle propre de coopération » des infirmières libérales, qui s’articule à d’autres formes de coordination et reste largement informel, gratuit et ignoré des institutions ainsi que des autres acteurs professionnels. Les infirmières gèrent en effet la coordination de la trajectoire thérapeutique des patients mais sans en avoir les moyens ni la reconnaissance, en raison du maintien de rapports de subordination avec les médecins, du paiement à l’acte qui invisibilise une partie de leur activité et des relations lacunaires, voire conflictuelles, qu’elles nouent avec l’hôpital.
Vidéo de présentation par Camille Boubal, post-doctorante à la chaire Santé de Sciences po sous la direction scientifique de Daniel Benamouzig, titulaire de la chaire Santé de Sciences po et directeur de recherche CSO/ CNRS.
Un contexte de transformation des pratiques professionnelles
Depuis près de trente ans, la coopération entre professionnels de santé est au cœur des politiques publiques en France. Elle répond à l’évolution des besoins de santé : vieillissement de la population, maladies chroniques, dépendance. Cette dynamique repose sur une redéfinition des rôles, notamment dans le secteur libéral, où les logiques d’autonomie et de liberté sont fortes (Fournier, 2014 ; Moyal, 2019 ; Vézinat, 2019). Les infirmières, en raison de leur proximité avec les patients, sont particulièrement impliquées. De nouveaux dispositifs (protocoles de coopération, pratiques avancées, lois Rist) visent à élargir leurs compétences, y compris dans l’accès direct aux soins. Cette étude ne se focalise pas sur un dispositif spécifique (Asalée ou IPA), mais s’intéresse aux pratiques effectives de coopération des infirmières libérales, à partir de leurs expériences et interactions sur le terrain. Elle interroge : avec qui collaborent-elles ? Comment ? Quels effets des contextes territoriaux et des dynamiques professionnelles locales sur ces pratiques ?
Évolution des politiques de santé et enjeux de coopération interprofessionnelle
Depuis trois décennies, les politiques de santé en France placent la coopération interprofessionnelle au centre des réformes visant à améliorer la qualité des soins. Cette orientation répond à l’émergence de nouveaux besoins liés au vieillissement de la population, à la progression des maladies chroniques et à la dépendance.
Dans ce contexte, les infirmières occupent une place centrale, en raison de leur proximité avec les usagers. Des dispositifs tels que les protocoles de coopération ou l’exercice en pratique avancée visent à élargir leur périmètre d’action, y compris vers des actes historiquement réservés aux médecins. Les récentes lois Rist ouvrent la voie à la prescription et à l’accès direct aux soins infirmiers.
L’étude présentée ici s’inscrit dans cette dynamique et propose une analyse des pratiques de coopération des infirmières libérales à partir de leurs expériences concrètes, plutôt que d’un type de structure ou dispositif en particulier. Elle interroge les modalités de ces coopérations, leurs partenaires privilégiés, et les effets des contextes territoriaux sur les pratiques professionnelles.
Méthodologie et dynamiques territoriales des pratiques infirmières libérales
L’enquête repose sur une approche qualitative conduite dans trois territoires contrastés : l’Oise, l’Essonne et le Nord. Ces terrains ont été choisis pour leurs caractéristiques géographiques, sociales et professionnelles différenciées. L’étude s’appuie sur 45 entretiens semi-directifs et des observations ethnographiques auprès d’infirmières libérales, mais aussi de médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, aides à domicile et membres de CPTS.
Les résultats mettent en évidence les spécificités du travail infirmier en secteur libéral, marqué par une relation de proximité et de durée avec une patientèle âgée et chronique, au domicile. Ce contexte engendre des négociations constantes autour des frontières professionnelles, des attentes hors cadre, et des formes de travail non reconnues ni rémunérées.
Contrairement à l’image d’un exercice isolé, le travail infirmier libéral se révèle fortement collectif. Les coopérations sont fréquentes, bien que souvent informelles et peu visibles institutionnellement. L’organisation entre collègues et avec les autres professionnels varie selon les territoires, la densité en professionnels de santé, et les configurations locales.
Conditions d’exercice, reconnaissance professionnelle et perspectives d’évolution
L’étude met en lumière le rôle essentiel des infirmières libérales dans la coordination des parcours de soin. Elles assurent la continuité, mobilisent les ressources, et prennent en charge des situations complexes, souvent sans appui structuré. Certaines revendiquent un rôle central, notamment dans le cadre des structures coordonnées (MSP, CPTS), mais plusieurs freins entravent cette reconnaissance :
- Le paiement à l’acte limite les coopérations et invisibilise une partie importante du travail réalisé ;
- La recherche d’autonomie dans l’exercice libéral se heurte à une dépendance persistante à l’égard des prescriptions médicales, même dans les domaines d’expertise infirmière ;
- En situation de crise, les infirmières prennent seules en charge la réorganisation des soins, dans un cadre institutionnel souvent lacunaire.
Enfin, les conditions de travail apparaissent éprouvantes : fatigue physique, surcharge mentale, sentiment d’isolement. Nombre d’infirmières envisagent une reconversion ou un changement d’exercice, mais les perspectives restent limitées. Les statuts émergents comme celui d’IPA libérale ou d’infirmière Asalée ne garantissent ni sécurité économique ni reconnaissance pleine et entière du travail effectué.
Découvrir le rapport sur les dynamiques de coopération des infirmières libérales : étude sur trois territoires.
Rapport de recherche réalisé par Camille Boubal, post-doctorante à la chaire Santé de Sciences po sous la direction scientifique de Daniel Benamouzig, titulaire de la chaire Santé de Sciences po et directeur de recherche CSO/ CNRS. Mai 2025, 89 p.