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30.07.2025
Terrains et territoires d’enquête : portraits des lauréats du Prix d’aide à la mobilité
Joel Ansah

Pouvez-vous nous présenter brièvement votre sujet de thèse et en quoi la mobilité a enrichi vos recherches ?
Ma thèse explore comment les mouvements et les mobilisations populaires émergent dans les établissements informels des villes du Sud en réponse aux politiques et projets répressifs de réduction des risques d’inondation menés par l’État qui conduisent souvent à des expulsions ou à des relocalisations forcées. En comparant Accra (Old Fadama) et Lagos (Badia East), mes recherches visent à comprendre comment les résidents des établissements informels, qui sont également à l’avant-garde du changement climatique et d’autres défis environnementaux, se mobilisent par le biais de manifestations, de plaidoyers, de négociations et de litiges, pour contester et remodeler ces projets répressifs dirigés par l’État. Ma recherche examine également, à travers une lentille comparative, les contextes locaux des deux villes, en explorant les processus sociaux et politiques qui influencent la façon dont ces politiques et projets environnementaux répressifs sont formulés et mis en œuvre d’une part, et la capacité des mouvements populaires locaux à émerger et à contester ces politiques et projets, d’autre part. En fin de compte, mes recherches visent à fournir des voies pour mettre en œuvre des approches de gouvernance urbaine plus inclusives et équitables qui garantissent que les besoins et les voix des populations locales sont pris en compte dans les décisions politiques.
Mon travail de terrain à Accra (Old Fadama) a fourni des perspectives et des éclairages enrichissants pour mon problème de recherche. À travers des
observations et des entretiens, j’en suis venu à identifier et à comprendre le processus clé par lequel les principales associations de résidents et d’autres acteurs non étatiques tentent d’engager les autorités de l’État et de la ville, non seulement pour contester ces projets répressifs dirigés par l’État, mais aussi pour explorer des pistes de projets collaboratifs et inclusifs de réduction des risques d’inondation.
Pourquoi avoir choisi cette destination en particulier pour votre mobilité ?
En juin 2015, Accra a connu l’une de ses pires inondations, au cours de laquelle plus de 150 personnes ont perdu la vie. Cette catastrophe a été rapidement suivie par la démolition d’abris dans le plus grand quartier informel d’Accra, Old Fadama, avec des efforts déployés pour expulser les habitants sans qu’il soit prévu de les reloger ni de verser d’indemnités. Après les démolitions, les habitants se sont mobilisés et ont organisé une manifestation violente pour résister aux expulsions et protéger leurs droits sur la ville. Cette catastrophe et les troubles qui ont suivi ont envoyé des
ondes de choc à travers le pays et ont laissé une empreinte sur mon jeune moi. Celles-ci, associées aux inondations perpétuelles d’Accra, piquent mon intérêt pour l’exploration des causes de ces inondations récurrentes, la façon dont les résidents informels vivent l’intensification des inondations, leurs pratiques d’adaptation locales et les pistes qui existent pour promouvoir des projets de réduction des risques
d’inondation plus inclusifs dans les établissements informels urbains.
Old Fadama offre donc un terrain propice à l’observation et à l’étude non seulement des inondations, mais aussi de la manière dont les acteurs non étatiques travaillent dans la communauté pour mobiliser les habitants en faveur d’une action collective visant à s’adapter aux inondations, d’une part, et de la manière dont ils résistent aux projets répressifs de réduction des risques d’inondation menés par l’État, d’autre part.
En quoi cette mobilité a-t-elle transformé votre rapport au terrain ou votre manière d’y conduire vos recherches ?
Mon travail de terrain à Accra m’a permis d’approfondir non seulement mon problème de recherche, mais aussi les expériences pratiques des résidents face aux inondations, ainsi que les principales réalités sociales et politiques de la communauté d’étude. Cela a conduit non seulement à l’évolution de mon problème de recherche, mais aussi à un changement dans ma perception des résidents et de la communauté dans son ensemble. Par exemple, au début de mon étude, j’avais l’intention d’explorer comment les habitants des quartiers informels se mobilisent et contestent les inondations récurrentes qui sont souvent négligées par les autorités de l’État et de la ville. Cependant, en commençant mon travail de terrain, je me suis rendu compte que les personnes qui vivent dans des quartiers informels, bien qu’elles souffrent beaucoup des inondations et souhaiteraient qu’une solution soit trouvée, ne se mobilisent pas ou ne s’engagent pas dans des contestations à cause de cela. Cependant, ils se mobilisent contre les politiques et les projets inadaptés de l’État visant à résoudre les problèmes d’inondation, car ces politiques ou projets inadaptés menacent leurs ressources et déclenchent d’autres problèmes de droits tels que les droits à la terre et au logement. Par conséquent, il m’est apparu évident
que les résidents sont plus susceptibles de se mobiliser et de contester les politiques/projets inadaptés et/ou répressifs de réduction des risques d’inondation qui conduisent souvent à des expulsions et des relocalisations forcées initiées par l’État en réponse aux inondations. De ce fait, le sujet de mes recherches a évolué. En utilisant des projets ou des stratégies inadaptés/répressifs de réduction des inondations comme point d’entrée, ma recherche cherche maintenant à comprendre comment les mobilisations/mouvements populaires émergent dans les établissements informels des villes du Sud en réponse à ces projets. Plus précisément, je cherche maintenant à savoir comment ces résidents s’organisent,
par le biais de protestations et de manifestations, de négociations, de plaidoyer, etc., pour contester et remodeler ces politiques/projets.
Michael Bourdon

Pouvez-vous nous présenter brièvement votre sujet de thèse et en quoi la mobilité a enrichi vos recherches ?
Mes recherches doctorales portent sur les recompositions de l’Etat, du Développement et des élites corrélatives de la promotion et de l’adoption du modèle de la start-up en Afrique de l’Ouest - au Togo et au Ghana. Il s’agit d’un travail ethnographique mené entre Accra et Lomé, afin de retracer la trajectoire de cette forme d’entrepreneuriat en tant que politique publique de développement, mais aussi en tant qu’opérateur de subjectivation.
Pourquoi avoir choisi cette destination en particulier pour votre mobilité ?
Le choix de la comparaison entre le Togo et le Ghana a d’abord été guidé par l’idée de décaler la focale des cas kényans, nigérians ou sud-africains, qui caractériseraient des modèles dans le monde de l’entrepreneuriat numérique africain, et concentrent de ce fait l’essentiel de l’investissement ainsi que de l’attention publique comme scientifique. Il s’agissait en l’occurence d’étudier des États s’engageant dans des stratégies de développementalisme numérique qui s’appuient à la fois sur des Infrastructures Numériques mais aussi sur la promotion de l’entrepreneuriat et des start-ups pour parachever leur trajectoire de développement. Ces dynamiques se situent à l’interface de l’Etat, des instances de développement et du marché. Elles permettent dès lors d’interroger les mécanismes de constitutions des élites, du secteur privé et de financiarisation du développement. Les startups charrient par ailleurs un ensemble d’imaginaires en termes de réussite sociale, de pouvoir, et de futurs désirables, en particulier au sein des jeunesses citadines et connectées de Lomé et d’Accra.
En quoi cette mobilité a-t-elle transformé votre rapport au terrain ou votre manière d’y conduire vos recherches ?
Ce séjour de 6 mois a été une superbe opportunité d’approfondir mes recherches à travers une immersion longue, à Accra et à Lomé, dans ces « mondes » des startups - au sens de Beckert - et dès lors de mieux en appréhender les conventions, les lignes de force et les frontières. Ce séjour a par ailleurs été marqué par la fantastique opportunité d’enseigner à Ashesi University, à Accra, avec mes collègues Dan Sanaren et Joel Ansah dans le cadre du Programme Undergraduate de « Public Policy », à travers un échange Erasmus + avec Sciences Po.
Dan Sanaren

Pouvez-vous nous présenter brièvement votre sujet de thèse et en quoi la mobilité a enrichi vos recherches ?
Mon projet s’intéresse à la gestion des infractions liées à la salubrité et à l’environnement dans l’espace urbain, ainsi qu’aux projets politiques qui structurent ces interventions. En travaillant avec des acteurs chargés du maintien de l’ordre spécialisés sur ces questions (comme la police municipale au Bénin ou les task forces au Ghana), je concentre mon regard sur le déroulement des opérations, et notamment sur leur finalité, qui n’est souvent pas affichée. Souvent, ces polices ancrent leurs actions dans une politique plus large visant à changer l’image de la ville, oscillant entre une répression qui cherche à invisibiliser certains comportements, voire à les exclure complètement de l’espace urbain, et des approches plus pédagogiques, dont le but est « l’éducation » de la population aux bons réflexes à adopter dans un environnement urbain.
Mon terrain de recherche s’est déroulé entre Cotonou, grande ville du Bénin, et Accra, capitale du Ghana. Cette mobilité a été absolument structurante pour penser l’aspect sanitaire de la gouvernance et du policing urbain. Ayant précédemment travaillé sur le Bénin, c’est la première fois que j’aborde un terrain de manière comparative, en confrontant de manière constante les dynamiques entre les deux contextes. Bien que les discours soient similaires entre Accra et Cotonou, deux pratiques policières très différentes se déployaient sous mes yeux, bien ancrées dans les trajectoires historiques et les contextes politiques propres à chacun des deux pays.
Pourquoi avoir choisi cette destination en particulier pour votre mobilité ?
Mes deux villes d’enquête ont une histoire marquée par les politiques de salubrité et la mise en ordre de l’espace urbain. Dans les deux cas, des périodes autocratiques ont mis l’accent sur la propreté urbaine, comme par exemple au Ghana, à travers les actions violentes menées contre les marchés jugés insalubres sous Jerry Rawlings, et au Bénin, par les campagnes de nettoyage hebdomadaires instaurées durant la Révolution de Mathieu Kérékou.
Aujourd’hui, la salubrité urbaine reste au cœur de l’action publique. Au Bénin, depuis l’élection de Patrice Talon en 2016, les expulsions de bidonvilles et de quartiers côtiers s’accompagnent d’interventions quotidiennes de répression contre l’encombrement de l’espace public et d’autres infractions, menant dans certains cas à des peines de prison qui ont marqué l’opinion publique. En s’appuyant sur un éventail d’acteurs de contrôle, Cotonou a rapidement obtenu le statut de l’une des villes les plus propres d’Afrique de l’Ouest, loin des appellations moqueuses comme « Cototrou » qui dominaient dans les années 1990.
Au Ghana, l’évolution a été bien moins brutale. Bien que les enjeux de salubrité et de santé publique fassent partie des promesses politiques, à l’image de l’ancien président Nana Akufo-Addo qui s’était engagé à faire d’Accra la ville la plus propre d’Afrique dès 2019, les efforts sur le terrain se heurtent à des contretemps et à diverses formes de résistance. Toutefois, le retour au pouvoir de John Dramani Mahama en 2024 a ravivé les espoirs, avec comme mot d’ordre une répression accrue des infractions sanitaires. Cette orientation, déjà pensée et institutionnalisée depuis plus d’une quinzaine d’années, s’appuie notamment sur les tribunaux sanitaires, gérés à l’échelle des assemblées locales.
En quoi cette mobilité a-t-elle transformé votre rapport au terrain ou votre manière d’y conduire vos recherches ?
Le travail de recherche a été empiriquement très riche. Au Ghana, j’ai pu accompagner la Sanitation Taskforce sur le terrain pendant plusieurs semaines, tandis qu’au Bénin, j’ai eu l’opportunité d’approfondir mes recherches antérieures. Toutefois, l’approche comparative était nouvelle pour moi. J’étais en dialogue constant entre mes observations à Cotonou et celles que je faisais à Accra, et inversement, lorsque je menais mes entretiens au Bénin. C’est ce va-et-vient entre les deux terrains qui a transformé mon rapport à la recherche menée dans ces deux villes : d’un côté, la comparaison me permettait d’identifier des dynamiques similaires ou, au contraire, contrastées ; de l’autre, elle m’a appris à interroger plus finement les situations observées, à mieux les contextualiser et à affiner les parallèles que je pouvais être tenté de tracer.
Petit bonus : Buk Bak, groupe incontournable de hiplife ghanéen, a transcrit dans la musique l’importance des inspecteurs sanitaires, les Tankase (Town Council)