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28.11.2023

Entretien avec Jeanne Varaldi

Entretien avec Jeanne Varaldi, qui anime le cycle de conférences « Dessiner la ville : faire place aux artistes dans la fabrique urbaine », avec l’École Urbaine et la Maison des Arts et de la Création. En savoir plus sur le cycle de conférences.

Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis urbaniste de formation et artiste par conviction. Je suis diplômée de l’École Urbaine et j’ai dans un premier temps accompagné de nombreux territoires et acteurs de la ville en tant que consultante. Ce qui m’a frappé, c’est que la ville est un sujet éminemment commun mais qu’elle est conçue et opérée par un écosystème d’experts. L’art a ouvert un champ de recherche et d’expérimentation pour moi : comment changer notre regard sur la ville pour en faire un terrain de jeu commun ? Les analyses de Henri Lefebvre qui parle d’espace conçu, perçu et vécu me guident. J’explore l’espace perçu et vécu.

Concrètement, pourriez-vous nous parler de vos projets et protocoles artistiques ?

Je mène des démarches artistiques qui interrogent le « déjà là » social avec des questions simples comme : quelles ont été les histoires vécues ici ? Quels sont les parcours de vie des personnes qui traversent cet espace ? J’ai mené en juin 2023 un projet dans une ancienne maternité en travaux du 13ème arrondissement. J’ai retrouvé le personnel soignant, collecté leurs histoires et anecdotes et les ai ensuite inscrites sur les murs et au sol pour une exposition temporaire. Les bribes de conversation découpaient l’espace et ces histoires vécues sont presque devenues architectures. J’ai mené une enquête similaire au Fort d’Aubervilliers, en collectant cette fois des débris qui témoignaient de l’histoire du lieu : casse automobile, enceinte militaire, jardin ouvrier... Les installations que je propose invitent toujours à la déambulation. Les visiteurs traversent ces histoires et peuvent mener leur propre enquête. Ces démarches résonnent avec cette citation de Georges Perec : « L'espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n'est jamais à moi, il ne m'est jamais donné, il faut que j'en fasse la conquête. ». Ce pan de ma pratique est une forme d’art relationnel, qui s’intéresse à nos lieux d’attache et à la façon dont l’espace nous relie.

Pourquoi est-ce que l’art a sa place dans le projet urbain ?

Je reviens ici à Henri Lefebvre qui montre bien que l’espace conçu par les urbanistes et les professionnels de la ville rencontre nécessairement l’espace perçu et vécu des habitants. L’art nous donne des outils pour dialoguer avec ces espaces perçus et vécus. Il existe aujourd’hui des dispositifs tels que le 1% artistique ou le programme un immeuble une œuvre. Je pense que nous pouvons aller plus loin et intégrer des projets artistiques en phase de diagnostic urbain pour travailler l’histoire d’un lieu, pour valoriser la parole habitante, etc. Je suis convaincue que l’art produit de la connaissance et que la recherche-action est appelée à se développer sur les territoires. Bruno Latour lui-même plébiscitait les démarches croisées qui intègrent les artistes.

Un message à faire passer via ce cycle de conférences ?

Lors de ce cycle, nous allons ouvrir un espace de réflexion et de conversation. La question centrale c’est : comment faire place aux artistes dans la fabrique urbaine ? Il y a donc à la fois le sujet de la démarche artistique et de son apport dans le projet urbain, mais aussi la question des espaces de production et de travail dont les artistes ont besoin. Nous irons visiter le 6b à Saint Denis. L’objectif est vraiment d’outiller les étudiants et professionnels de la ville qui s’intéressent au sujet. La dernière rencontre, pensée comme une « boite à outils », se focalisera sur des dispositifs et démarches de territoire où l’art a été mis à l’honneur. Il y a déjà un foisonnement de projets à la croisée des arts et des territoires qui gagnent à monter en visibilité.

(crédits : Quentin Chevrier)