Recherches Internationales - Editions Karthala

Cette collection de recherche fondamentale traite des mutations du système international et des sociétés politiques à l'heure de la globalisation. Elle met l'accent sur l'interface entre les relations internationales ou transnationales et les processus internes des sociétés. 

Directeur de collection
Jean-François Leguil-Bayart

Responsable de la publication :
Judith Burko, judith.burko@sciencespo.fr, tél. +33158717004

Les Editions Karthala
karthala@wanadoo.fr
http://www.karthala.com

2023

Le djihad de la vache. Pastoralisme et formation de l’État au Mali
par Giovanni Zanoletti

Fort de son travail de terrain au Mali, notamment auprès des réseaux vétérinaires, l’auteur jette une lumière très originale sur le conflit armé qui déchire le pays et, au-delà, le Sahel. Ce dernier participe d’une crise agraire que mettent en forme les logiques intrinsèques de la religion, mais aussi les alliances historiques entre lignages, notamment à travers l’institution sociale du « confiage » des troupeaux aux bergers. Les lignes historiques du pouvoir, de l’inégalité et de la mémoire s’entremêlent avec les enjeux contemporains de la propriété et de l’usage de la terre, de l’agriculture et de l’élevage industriels, de la compétition électorale, de l’environnement régional et international. Le djihadisme est le nom immédiat de cette complexité que ne parviennent ni à comprendre ni à endiguer les catégories communes du débat public et des interventions militaires étrangères. Ce faisant, l’ouvrage éclaire d’un jour neuf la société politique malienne, en particulier la question touarègue que la revendication sécessionniste de l’Azawad est loin d’épuiser. En définitive, il montre que la vache, dans son économie politique, morale, esthétique, urbaine autant que rurale, est la traduction abrégée de son historicité, irréductible aux seules problématiques de l’islam ou de l’ethnicité. La violence religieuse au Sahel est d’ordre social et politique
ISBN :978-2-3840-9049-5

Dix ans de bonheur. Un couple de bourgeois à l'Âge des extrêmes
par Jean-Pierre Warnier

Exploitant au mieux le « moment postal » (1860-1970) qui a fait de la correspondance privée un vecteur majeur de la subjectivité, de l’ordre familial et des rapports sociaux, Jean-Pierre Warnier retrace la microhistoire d’un couple bourgeois, de sa parentèle, de ses intérêts matériels, de son style de vie à l’Age des extrêmes : ceux des deux guerres mondiales, de la Grande Crise, de l’effet de ciseaux entre le nazisme et le bolchevisme qui prend en otage la société française de la première moitié du XXe siècle. Aux antipodes des interprétations culturalistes ou structuralistes, il restitue l’historicité de cette dernière. Il place sous une lumière toute en nuances ses conflits, ses indéterminations, ses ambivalences, ses hésitations, ses retournements. Il apporte des informations inédites sur le catholicisme antimoderne qui a joué un rôle méconnu au sein du patronat français de l’entre-deux guerres et de la reconstruction, notamment dans la création du Centre des jeunes patrons (CJP) et du CNPF, et sur l’influence millénariste, dans ces milieux, de Marthe Robin, la mystique de Châteauneuf-de-Galaure, dans la Drôme, et de son confesseur le Père Finet, avant que ne s’affirme la puissance idéologique du modèle américain.

Au-delà de cette belle leçon d’histoire sociale et culturelle qui permet de mieux comprendre le conspirationnisme de la droite conservatrice et réactionnaire en ce début de XXIe siècle, Jean-Pierre Warnier affine son anthropologie historique et compréhensive du politique qui avait déjà excellé dans l’analyse des royaumes de l’ouest du Cameroun. Attentive à la culture matérielle et aux techniques du corps, sa méthode fournit un antidote salubre à l’«escroquerie intellectuelle » de la définition libérale du sujet performant et manageur de lui-même.
ISBN :978-2-3840-9052-5

2022

Des morts en guerre. Rétention des corps et figures du martyr en Palestine
par Stéphanie Latte Abdallah

Depuis les années 1960, des défunts palestiniens disparaissent, sont sommairement enterrés dans les « cimetières des nombres » ou gardés à la morgue. Ces morts sont des fedayin, des martyrs – hommes ou, plus rarement, femmes – ayant conduit des attentats, ou des personnes tuées par erreur. Leur détention post-mortem et leur retour en terre relèvent d’une économie de l’inimitié, guerrière, et d’une extension sans fin d’une toile carcérale sur les Territoires palestiniens. Leur mobilité, les lieux d’ensevelissement, les traces qu’ils laissent dans l’espace public sont autant de marqueurs frontaliers. Cet ouvrage aborde les mobilisations politiques, celles de la société civile et des familles, pour retrouver ces dépouilles, à partir d’une enquête ethnographique, de documents d’archives et d’écrits de proches de ces défunts. Il analyse les transformations de la figure sociale et politique du martyr, mais aussi les relations personnelles, genrées et émotionnelles entretenues avec les morts. Il interroge la nécro-violence, la catégorie de la victime et la légitimité des affects dans une histoire conflictuelle inachevée.
ISBN :978-2-8111-2401-4

Une histoire en travelling de l'Albanie (1920-1939). Avec, au-delà et en-deçà de l'État
par Nathalie Clayer

L’État-nation a nationalisé les historiographies. La construction étatique doit-elle pour autant être rejetée en tant qu’objet d’étude ? Non, bien sûr, mais il faut assurément l’aborder autrement. C’est ce que suggère déjà une nouvelle historiographie qui, avec le développement de l’histoire globale, s’attache à élargir la focale. Dans cet ouvrage, il s’agit aussi de prendre l’État-nation au sérieux, de l’appréhender comme un espace de sens, de circulations, de contraintes et de possibilités, qui se construit et se remodèle dans le temps, en interaction avec d’autres espaces sociaux et selon des temporalités multiples.

Nathalie Clayer saisit ainsi la formation de l’État albanais dans l’entre-deux-guerres et la transformation de ses espaces sociaux dans un mouvement de travelling. Son objectif n’est pas fixé sur les institutions telles qu’on les observe habituellement, ni sur des trajectoires d’individus qui donneraient à voir l’importance des dynamiques infra- ou transnationales. Sa « caméra » bouge constamment de façon à mieux saisir la complexité des dynamiques.

Une contribution majeure à la question de l’État-nation, un apport érudit à l’histoire albanaise et une proposition audacieuse sur les méthodes narratives de l’histoire.
ISBN :978-2-8111-2964-4

2021

La guerre civile irakienne. Ordres partisans et politiques identitaires à Kirkouk (2003-2020)
par Arthur Quesnay

Kirkouk, dans le nord de l’Irak, est l’une des provinces les plus touchées par la violence politique. Les conflits s’y superposent depuis plusieurs décennies : mobilisations sociales, guerre entre partis kurdes et État central, lutte d’influence entre les puissances régionales, insurrection arabe sunnite et montée en puissance des milices chiites.

Kirkouk constitue donc un point d’observation privilégié des dynamiques politiques qui travaillent la société irakienne. En particulier, les partis – ethno-nationalistes ou religieux – sont à la fois producteurs de violence et intermédiaires obligés entre la population et les institutions étatiques, qui restent l’enjeu majeur des affrontements. Ils mettent en œuvre des politiques d’ingénierie démographique et imposent de nouvelles hiérarchies identitaires. La guerre contre l’ État islamique, à partir de juin 2014, radicalisera leurs projets et conduira, paradoxalement, à un retour de l’État par le biais des milices chiites.

Fruit de plusieurs années de recherche sur le terrain, ce livre dépasse les lectures communautaristes ou géopolitiques du conflit irakien qui tendent aujourd’hui à prévaloir. Il apporte ainsi une contribution originale au débat sur le rôle de la guerre dans la formation de l’État.
ISBN :978-2-8111-2742-8

Le gouvernement transnational de l'Afghanistan. Une si prévisible défaite
par Gilles Dorronsoro

La défaite des Taliban dans le sillage des attentats du 11 septembre ouvre deux décennies d’investissement occidental en Afghanistan. Des centaines de milliards, pour l’essentiel consacrés à l’entretien des forces occidentales, des dizaines de milliers de morts, dont plusieurs milliers de la coalition, montrent l’importance de ce conflit pour les Etats-Unis qui en font le symbole de leur hégémonie mondiale.

Mais, derrière les discours sur la construction d’une « démocratie de marché », se profile un gouvernement transnational qui contourne les acteurs afghans au point d’interdire tout processus démocratique, couvre des fraudes électorales massives, routinise la captation des ressources au profit des entreprises occidentales et des élites afghanes. Les tensions communautaires et sociales s’accroissent à un point jusque-là inconnu dans la société afghane. Les Taliban, capitalisant sur le ressentiment populaire contre les élites au pouvoir, mettent en échec une alliance occidentale qui dissimule, derrière une augmentation des moyens, son incapacité à définir une stratégie cohérente. Après vingt ans de conflit, al-Qaïda est toujours présent en Afghanistan, et le retrait américain ne fait qu’ouvrir une nouvelle période d’une guerre civile vieille de quarante ans.

Ce nouvel essai de Gilles Dorronsoro propose une analyse critique impitoyable des impasses de l’expertise orientaliste et sécurocrate dont la portée comparative, bien au-delà du seul cas afghan, est d’une haute actualité.
ISBN :978-2-8111-2812-8

2020

Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l'Etat à l'âge néolibéral
par Béatrice Hibou et Mohamed Tozy

Le Maroc inspire des lieux communs. Il serait un prototype d’immobilisme politique, dans la main autoritaire et conservatrice du « commandeur des croyants », en mal de démocratie, mais à l’ombre d’un islam somme toute modéré. Trente années d’enquêtes de terrain, d’entretiens, de dépouillement d’une vaste documentation primaire et d’observation participante permettent à Béatrice Hibou et Mohamed Tozy de montrer comment les changements démographiques et environnementaux, ainsi que les processus de naturalisation du néolibéralisme, ont transformé les façons de gouverner les hommes et les territoires du royaume.

À partir des types-idéaux de l’Empire et de l’État-nation, les auteurs dégagent la pluralité des modes de gouvernement et de domination à l’oeuvre au Maroc en insistant sur leur osmose continuelle. Il n’est pas question d’un passage de l’empire chérifien (XVIIe-XIXe siècle) à l’État-nation, dont le protectorat français aurait jeté les fondements, ni de la perpétuation d’une tradition impériale résiduelle au coeur de l’État moderne. Il s’agit bel et bien d’un assemblage de ces deux logiques, qui déjà coexistaient dans les siècles précédents, et dont le jeu simultané est sous-jacent au gouvernement néolibéral contemporain. L’Empire et l’État-nation ne se présentent pas sous la forme d’une alternative ni d’une contradiction. Ils constituent deux ressorts d’une même domination qui ne se réduit pas à la seule figure du roi. Ils sont en tension continue, une tension dont procède l’historicité de l’imaginaire politique marocain et qui en tisse le temps singulier. Une démonstration fondamentale de sociologie historique comparée de l’État.
ISBN :978-2-8111-2765-7

Les sources chrétiennes de la démocratie. La liberté par mégarde
par Guy Hermet

Le monde européen occidental se singularise par l’indépendance relative qu’il assure à tout un chacun vis-à-vis de son environnement communautaire et familial. Les idées et les valeurs que le christianisme a diffusées ont façonné cet univers de liberté. Pourtant – n’en déplaise aux idées reçues qui accordent en la matière plus d’importance aux croyances qu’à leur matérialité ou leurs structures – les « révolutions » que le christianisme ouest-européen a impulsées ont trouvé leurs sources au moins autant dans ses spécificités institutionnelles ou les évolutions de son clergé que dans sa spiritualité.

La chrétienté occidentale est un cas à part. La dimension individuelle de l’existence y a emporté sur sa dimension collective, les femmes s’y sont trouvées moins soumises aux hommes, la société y a obéi à des démarches personnelles plutôt qu’à des contraintes externes immobiles. Les croyances religieuses y ont reculé plus qu’ailleurs, ce désenchantement accompagnant une ample diffusion de gouvernements réputés démocratiques. Bref, le christianisme occidental s’est projeté comme une organisation puissante, prenant figure, sans dessein prémédité, de prototype des États séculiers. Il en a conservé longtemps une supériorité sur les jeunes royaumes ou empires européens. Mais ce parcours conquérant s’est enlisé, en particulier aujourd’hui, face à la concurrence du néochristianisme évangélique qui triomphe sur le continent américain et dans une fraction de l’Afrique sub-saharienne.
ISBN :978-2-8111-2711-4

2019

Gouverner par la proximité. Une sociologie politique des maires de quartier en Turquie
par Elise Massicard

Les maires de quartier, figures d’intermédiation administrative et politique, offrent une perspective originale sur les dynamiques de pouvoir à l’œuvre en Turquie. L’État turc, réputé fort et volontariste, est en réalité aux prises avec de multiples logiques sociales avec lesquelles il doit composer. Les problématiques de la modernisation et de la bureaucratisation, qui fournissent souvent le fil conducteur de l’histoire contemporaine du pays, s’en trouvent relativisées. En outre, la rationalisation croissante des pratiques de gouvernement – comme l’usage de bases de données – s’articule avec d’autres formes de domination, moins formelles et plus personnelles, qui ouvrent la porte à des négociations voire à des contournements auxquels les citoyens, aussi modestes soient-ils, recourent massivement.

Fondée sur une longue expérience de terrain et une riche enquête quasi ethnographique, cette analyse de l’État «par le bas», au niveau local et au quotidien, éclaire d’un jour nouveau la centralisation de l’exercice du pouvoir et la politisation intense de la société qui ont caractérisé l’évolution de la Turquie ces dernières années. Elle renouvelle la compréhension des situations autoritaires et des relations État-société bien au-delà du cas qu’elle considère.
ISBN :978-2-8111-2604-9

2018

L'État malgré tout. Produire l'autorité dans la violence
sous la direction de Jacobo Grajales et Romain Le Cour Grandmaison

Dans l’après-guerre froide, de nombreux observateurs s’inquiétaient de la multiplication de « nouveaux » conflits armés, et promettaient des États « faibles » ou en « faillite ». À rebours de ces approches, les auteurs analysent des situations dans lesquelles la violence est une forme d’action politique routinière. Les principaux protagonistes sont de multiple nature. On observe des groupes armés qui, loin de se placer simplement dans l’opposition ou la défense d’un ordre établi, naviguent dans un espace de dissidence relative. Des organisations qui exigent leur intégration à l’État, et visent à en être reconnues comme des intermédiaires, des partisans, voire des branches légitimes. Enfin, des acteurs appartenant directement à des institutions publiques. Ceux-ci cherchent à incarner l’État dès lors qu’ils tentent de se placer dans un hors-champ du conflit. Ainsi, la violence ne représente pas une remise en cause du jeu politique, mais bien une opportunité pour des acteurs de s’y intégrer, de s’y positionner, ou de s’y maintenir, et d’en tirer une forme de reconnaissance.

Autrement dit, la fragmentation de l’autorité sur un territoire ne conduit pas nécessairement à l’accroissement de son autonomie par rapport au centre. Au contraire, ces contextes peuvent réaffirmer l’État en tant qu’arène politique de référence, et pousser les acteurs à poursuivre un objectif central : rester dans le jeu, plutôt que de le renverser.
ISBN :978-2-8111-2580-6

Les politiques du blasphème
sous la direction d'Amandine Barb et Denis Lacorne

Le délit de blasphème n’existe plus dans la plupart des démocraties européennes. Mais les usages du blasphème, comme instrument de dénonciation des insultes faites à la religion, restent fréquents. Ils s’accompagnent souvent de violences extrêmes. Ces dernières visent aussi bien des essayistes, des artistes, des romanciers, des cinéastes que des caricaturistes. Les auteurs de ces violences sont des « fondamentalistes de l’identité » qui rejettent un monde hyper-sécularisé pour mieux défendre leurs adeptes contre de réelles ou d’imaginaires « blessures » infligées au nom de la liberté d’expression. Or, cette liberté n’est jamais totale, même dans les pays les plus attachés à la libre concurrence des idées. Elle est toujours encadrée par le législateur et la justice, et les communautés de croyants sont en général mieux protégées que les croyances proprement dites. Dans les sociétés pluralistes, le débat politique est indissociable de l’énonciation d’idées qui « heurtent, choquent ou inquiètent ». La seule contrainte est l’atteinte à l’ordre public, toujours difficile à définir.

Les grandes affaires de blasphème sont traitées dans cet ouvrage pluridisciplinaire, qui réunit des historiens, des juristes et des sociologues du fait religieux : du procès du chevalier de La Barre aux caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo ; de la fatwa de Khomeiny contre Salman Rushdie à la saga des Pussy Riot ; de la Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese au Piss Christ de Serrano. « Se taire ou blasphémer ? », tel est l’enjeu central, en une époque de globalisation du religieux et de sécularisation du politique.
ISBN :978-2-8111-2532-5

Les Hussards noirs de la colonie. Instituteurs africains et "petites patries" en AOF (1913-1960)
par Céline Labrune-Badiane et Étienne Smith

En Afrique Occidentale Française (AOF), l’école coloniale a tenté de justifier sa mission par l’adaptation de son enseignement aux nouvelles « petites patries » de l’empire, selon la terminologie de la IIIe République. La création de savoirs « adaptés » ne s’est pas faite en un jour. La tâche en incombait aux instituteurs, en majorité africains, et devenus les principaux ethnographes des terroirs arpentés dans le cadre de la « mise en valeur scientifique » des colonies. Ceux-ci ne furent pas de simples informateurs ou auxiliaires des sciences coloniales. Ils ont mené leurs propres recherches et fait oeuvre d’auteurs à part entière. Ils ont ainsi jeté les bases d’une affirmation culturelle, concomitante de la négritude parisienne, mais ancrée dans une « négritude de terrain », profondément ambivalente. Leur prise de parole était en effet soumise à la censure tatillonne de la hiérarchie administrative, dont le livre retrouve la trace dans les archives. Il démontre ainsi comment se négocie, au fil des pages, une transaction hégémonique impériale.

Première exploration systématique du corpus des publications des instituteurs ouest-africains, ce livre pionnier offre un aperçu inédit de la « bibliothèque coloniale ». Il bouleverse notre compréhension du faitimpérial, et met au centre de l’analyse une catégorie d’acteurs intermédiaires en les reconnaissant pour ce qu’ils ont été : de vrais intellectuels, au coeur des contradictions de leur époque.
ISBN :978-2-8111-1917-1

2016

Le gouvernement du social au Maroc
sous la direction de Béatrice Hibou et Irène Bono

La question sociale a effectué un retour en force au Maroc, dans les années 2000. Les acteurs ont eu tendance à l’exprimer en termes de revendications, que justifiaient les défaillances de l’État, et les chercheurs à la problématiser dans les canons de la sociologie de la mobilisation ou des politiques publiques. Mais la prise en compte de la pluralité des acteurs et de la diversité des dispositifs offre la possibilité d’une autre lecture qui remodèle les formes mêmes du social. Administrer des espaces, des catégories, des temporalités, des imaginaires ou des conflits revient à définir les liens sociaux, à façonner les appartenances, à faire jouer des médiations, à qualifier l’ordre établi.

Du port de Casablanca aux maisons de jeunes de quartiers populaires, des transports urbains au système de subvention de la farine et du pain, du courtage de l’emploi domestique à la patrimonialisation d’une région marginalisée, de la gestion des terres collectives à l’aide aux mères célibataires, cet ouvrage démontre l’importance du gouvernement indirect du social, dont l’équivoque facilite compromis et bricolages et renforce la capacité d’adaptation du politique aux transformations de l’époque.

S’inscrivant dans la continuité de deux titres précédents de la collection « Recherches internationales », consacrés à la privatisation des États à l’âge néolibéral et à l’État d’injustice au Maghreb, ces recherches inédites ouvrent de nouvelles perspectives à la sociologie historique du politique, bien au-delà du seul cas du Maroc.

L’ouvrage a été préparé dans le cadre d’un séminaire de recherche du CRESC (Rabat, Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales, Université Mohamed VI Polytechnique), de 2012 à 2015, par une équipe de jeunes chercheurs – Ahmed Bendella, Yasmine Berriane, Leila Bouasria, Irene Capelli, Redouane Garfaoui, Nadia Hachimi Alaoui, Badiha Nahhass, Valentine Schehl –, sous la direction de Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (SciencesPo-CERI) et d’Irene Bono, maître de conférences à l’Université de Turin (Département Cultures, Politique, Société). Cet ouvrage a été publié avec le concours du CRESC.
ISBN :978-2-8111-1671-2

Les Frères musulmans égyptiens. Enquête sur un secret public
par Marie Vannetzel

De leur victoire électorale à la répression féroce qu’ils ont subie après le coup d’État du maréchal Sissi, les Frères musulmans égyptiens ont connu un destin mouvementé depuis la révolution de 2011. Par-delà ces événements, le défi majeur qui s’est imposé à cette organisation islamiste a été de sortir de l’ambivalente clandestinité à laquelle elle était tenue sous l’ancien régime. Depuis des décennies, la Gama‘a des Frères musulmans, ce mouvement de nature indéfinie, interdit mais toléré, à la présence sociale aussi étendue que déniée, existait comme un « secret public ».
Une plongée ethnographique dans trois quartiers du Grand Caire permet de montrer comment ce secret public façonnait l’ancrage social de la Gama‘a et quels étaient les ressorts de sa mobilisation sous le régime de Moubarak. Au fil des pratiques quotidiennes d’action politique et sociale de leurs députés, apparaît une tension irréductible entre la large implantation des Frères musulmans dans la société, et la perpétuation, en leur sein, d’un entre soi clos et hiérarchisé. Dans l’interdépendance entre les structures de l’ancien régime et les réseaux des Frères, des processus de politisation, diffus et aléatoires, reposaient sur les sociabilités locales et des sensibilités éthiques partagées.
Au-delà du seul cas égyptien, ce livre invite à penser l’imbrication des logiques de coproduction et de contestation de l’ordre autoritaire. Il éclaire aussi d’un jour nouveau les néoconfréries nées de la réforme de l’islam, au début du XXe siècle, et les dynamiques internes des mouvements islamistes.
ISBN :978-2-8111-1577-7

Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie
par Jacobo Grajales

Entre le début des années 1980 et le milieu des années 2000, des groupes paramilitaires ont développé leur emprise sur de larges pans du territoire colombien. Apparus à la confluence de la criminalité et de la contre-insurrection, ils ont entretenu des liens forts avec les milieux de la politique et de l’économie, légale comme illégale.

Malgré cette domination institutionnelle et armée, leur déclin a été rapide. Après leur démobilisation partielle entre 2003 et 2006, et à la suite de la crise majeure qu’ont déclenchée les révélations relatives à leurs alliances politiques, la majorité de leurs leaders ont été extradés aux États-Unis, où ils ont dû faire face à des accusations de trafic de narcotiques. Eux qui se voulaient bandits politiques ont finalement été traités en simples trafiquants de drogue.

Alors que la violence est généralement vue comme la cause de la faillite des États dans les pays du Sud, cet ouvrage propose une approche sociologique non normative des rapports entre la violence et le politique. À partir d’études locales, il montre comment les paramilitaires ont participé en Colombie à la répression des opposants, au partage des ressources publiques, à la mise en exploitation capitaliste de zones marginales. À l’échelle nationale, il analyse la manière dont cette même violence est devenue un problème public qu’ont pris en charge les politiques de sécurité, non sans transformer les usages de la justice pénale. Il confirme ainsi que les groupes armés sont ancrés dans le processus historique de formation de l’État, en renouvelant un débat classique et en conférant au cas colombien de « gouvernement dans la violence » une portée paradigmatique.
ISBN :978-2-8111-1627-9

Monnaies locales et économie populaire en Argentine
par Hadrien Saiag

À l’heure où la crise grecque relance la réflexion sur les formes alternatives de la monnaie et de la financiarisation et remet en mémoire le précédent de l’Argentine, cette ethnographie du trueque vient à point nommé. Le terme désigne une multitude de monnaies parallèles sous forme papier, impulsées par un groupe de militants écologistes en 1995. Le trueque a connu son heure de gloire au plus fort de la crise argentine, entre 2000 et 2002, avec plus de deux millions d’utilisateurs. Il s’agit désormais de monnaies de très petite dénomination, qu’utilisent des populations pauvres et qui circulent dans les espaces marginaux des principales villes.
Le trueque pose à nouveaux frais la question du pluralisme monétaire, de la diversité de ses institutions et de ses pratiques. Chacune des monnaies qui le composent possède ses propres modes de fixation des prix, d’émission et de distribution des moyens de paiement. Or ces monnaies médiatisent des rapports sociaux très contrastés. Tantôt elles renforcent les stratifications sociales existantes, tantôt elles en favorisent un nivellement relatif.
Les monnaies ne sont donc pas nécessairement synonymes d’exploitation. Elles tendent plutôt à traduire dans leur langage des projets politiques potentiellement concurrents, ancrés dans les communautés politiques que forment leurs utilisateurs. Bien au-delà du seul cas argentin, cet essai d’anthropologie économique, reposant sur une enquête de terrain approfondie, ouvre de nouvelles perspectives théoriques et méthodologiques, d’une actualité brûlante.
ISBN :978-2-8111-1553-1

2015

L'Etat d'injustice au Maghreb. Maroc et Tunisie
sous la direction d'Irene Bono, Béatrice Hibou, Hamza Meddeb, Mohamed Tozy

Les « Printemps arabes » ont reposé avec force la question de l’injustice sociale dans cette partie du monde. Mais l’étude serrée des situations du Maroc et de la Tunisie relativise la pertinence de l’événement comme aune d’analyse. Les mouvements contestataires l’ont souvent précédé et n’en ont pas toujours procédé. Par ailleurs, les péripéties des années 2011-2014 ont redéfini la question de l’injustice sociale à travers le rapport des partis ou des organisations islamiques à l’État, à la nation, au néolibéralisme, à l’exercice du pouvoir.
Il convient de remonter en amont des Printemps arabes pour comprendre les politiques publiques d’inclusion des pauvres, la mise à distance de territoires stigmatisés, la construction idéologique de vrais (ou faux) problèmes, tels que la « jeunesse », l’« employabilité » de la main-d’oeuvre ou les « rentes » économiques. En définitive, c’est le processus même de formation de l’État qui se voit requalifié comme une matrice d’inégalité légitime, en permanente mutation au gré des rapports de force et des luttes sociales.
Fruit d’une réflexion collective et d’un travail de terrain au long cours, cet ouvrage permet de repenser le politique en dehors de la logorrhée exaltant (ou disqualifiant) les Printemps arabes. Il replace ces derniers dans leur profondeur historique. À la confluence de la sociologie politique et de l’anthropologie, il ouvre de nombreuses pistes comparatives au-delà du seul Maghreb.
ISBN :978-2-8111-1517-3

Cultures d’empires. Échanges et affrontements culturels en situation coloniale
sous la direction de Romain Bertrand, Hélène Blais, Emmanuelle Sibeud

Aujourd’hui, chacun s’accorde à reconnaître l’importance de la dimension culturelle du fait colonial ou impérial, aussi bien dans les sociétés colonisées que dans les métropoles colonisatrices. Aucune d’entre elles n’est sortie indemne de la conquête ni de l’occupation. Mais cette réévaluation des enjeux culturels du fait colonial a trop souvent donné lieu à une vision figée et univoque de la domination. Les réquisitoires contre la persistance supposée d’une culture coloniale générique et globale l’ont ainsi emporté sur l’analyse des pratiques et des usages culturels en situation coloniale.

Au fil de onze études de cas conduites dans des sociétés d’Afrique de l’Ouest, d’Asie du Sud-Est, du Maghreb et d’Océanie, entre les XVIIe et XXe siècles, cet ouvrage invite à redéfinir les cultures d’empires comme des formations historiques parfois fugaces, produites par une diversité d’acteurs occupant des positions sociales très différentes, et puisant dans de multiples répertoires de pratiques et de représentations. C’est bien de cette pluralité des initiatives et des transactions culturelles en situation coloniale que procèdent l’hétérogénéité et la contingence des cultures d’empires.
ISBN :978-2-8111-1401-5

La cité cultuelle. Rendre à Dieu ce qui revient à César
sous la direction d'Adriane Zambiras et Jean-François Bayart

Comment penser le retour en force de la foi sur la place publique, voire des institutions religieuses sur la scène politique ? L’analyse de situations sociales concrètes, contemporaines ou historiques, permet de saisir l’articulation du religieux et du politique au-delà des passions identitaires et des emportements idéologiques qui tiennent le haut du pavé.

De l’Afghanistan à la Russie, du Malawi au Maroc, ou encore dans la Venise des XV-XVIe siècles, les deux répertoires s’imbriquent souvent, plutôt qu’ils ne s’opposent ou n’entretiennent des relations d’extériorité. Ils partagent d’ailleurs une même ambition : celle de porter le bien commun. Ils mêlent aussi, chacun, l’ordre de l’imaginaire et celui de la raison. Et pourtant le religieux et le politique ne se confondent pas. Ils obéissent à des logiques intrinsèques qui garantissent leur autonomie mutuelle, y compris dans les sociétés dites islamiques, contrairement à l’idée reçue.

Reposant sur des recherches intensives de terrain ou l’étude minutieuse des archives, cet ouvrage démontre, de manière érudite et ironique, que Dieu et César agissent souvent comme larrons en foire, une fois qu’on leur a rendu ce qui leur revient. Il propose un nouveau paradigme des relations entre religion et politique : celui de la cité cultuelle, qui naît des pratiques rituelles, de plus ou moins forte intensité religieuse, et parfois sécularisées, autant que des idéologies et des politiques publiques. Le débat sur la laïcité s’en trouve éclairé d’un jour inédit et apaisant.
ISBN :978-2-8111-1331-5

2014

La politique inspirée. Controverses publiques et religion aux États-Unis
par Ariane Zambiras

Les tensions qui se développent dans les démocraties contemporaines autour de l’articulation entre le religieux et le politique sont l’un des grands défis adressés à nos sociétés. Ces tensions nous invitent à penser les conditions du vivre-ensemble qui constituent notre socle démocratique, et à repenser les critères sur lesquels repose l’accord autour du bien commun, en cet âge de pluralisme culturel.

Les États-Unis sont régulièrement le théâtre de controverses publiques où s’affrontent plusieurs répertoires d’évaluation de la construction d’un sens de la justice : avortement, peine de mort, mariage gay, réchauffement de la planète et immigration sont tour à tour examinés pour comprendre les régimes de justification qui les sous-tendent.

Quel est le rôle joué par la religion dans la formation du jugement politique des Américains ordinaires ? Quels sont les effets politiques des croyances sur les individus ? Comment l’enchevêtrement des socialisations religieuse et politique, et l’hybridation des imaginaires qui en résulte, opèrent-ils ? Ce sont quelques-unes des questions que soulève l’auteur, au fil d’une exploration ethnographique dans un pays où l’éthique performante inspire la démocratie, mais qui interroge très directement le débat sur la laïcité française.
ISBN :978-2-8111-1355-1

Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée des pratiques citoyennes
sous la direction de Marion Carrel et Catherine Neveu

Crise de la citoyenneté, ou cécité des observateurs ? Nous ne voyons plus toujours la citoyenneté telle qu’elle se pratique aujourd’hui, quitte à pleurer sur sa disparition. Ne s’agit-il pas plutôt de son renouvellement et de la pluralité de ses formes, que n’aide pas à saisir la sempiternelle référence à Jürgen Habermas ?
Une analyse anthropologique soucieuse des espaces, des lieux, des cadres à travers lesquels les citoyennetés contemporaines se transforment prend en compte les dimensions de l’interconnaissance, de l’émotion, de l’appartenance communautaire ou territoriale, du trouble, du conflit qui pèsent dans l’engagement civique effectif. Autant de « signaux faibles de la citoyenneté » qui, bien au-delà de l’échelle micro-locale ou de tout biais populiste, nous parlent de l’histoire, des représentations et de l’imaginaire du vivre ensemble, de l’idéal d’égalité, de la réalité des discriminations. Un ordinaire de la cité qui échappe à l’étude de ses lois, de ses institutions, de ses politiques publiques, mais qui est notre quotidien.
ISBN :978-2-8111-1247-9

La violence politique en Turquie. L'Etat en jeu (1975-1980)
par Benjamin Gourisse

Entre le coup d’État militaire du 12 mars 1971 et celui du 12 septembre 1980, la Turquie a connu une période de violence paroxystique mettant aux prises des groupes radicaux de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Cette quasi-guerre civile reste aujourd’hui comme une plaie ouverte dans l’histoire du pays. Elle a débouché sur l’instauration du régime militaire le plus dur que la Turquie ait subi, et dont elle n’est véritablement sortie que dans les années 2000.
L’analyse serrée et documentée des tactiques des différents protagonistes du conflit montre que leur investissement des institutions publiques, à commencer par la police, a conduit à une politisation croissante de l’État. Contrairement à un lieu commun, l’autonomie de celui-ci par rapport à la société doit être relativisée. L’État constitue bien plutôt l’arène primordiale des mobilisations politiques, dont il n’est pas parvenu, en l’occurrence, à endiguer le déchaînement, faute de ressources nécessaires.
Cette enquête magistrale reconsidère le mythe de l’État « fort » en Turquie. Une leçon qui vaut pour l’Empire ottoman et le régime autoritaire kémaliste de l’entre-deux-guerres, mais qui permet surtout de mieux comprendre la crise politique qui s’est enclenchée en 2013. De nouveau, les institutions publiques, telles que la magistrature et la police, semblent avoir été pénétrées par des forces particulières qui mettent à mal leur impartialité et nourrissent l’imaginaire de l’« État profond ». Le spectre de la violence hante toujours le pays, alors même que des élections démocratiques lui ont donné une majorité parlementaire stable depuis plus de dix ans.
ISBN :978-2-8111-1138-0

2013

Le gouvernement des catastrophes
sous la direction de Sandrine Revet et Julien Langumier

Événements exceptionnels appelant une réponse rapide, les catastrophes se gouvernent. Elles impliquent les autorités locales et nationales, des organisations non gouvernementales, des experts et des scientifiques, des agences multilatérales et les habitants eux-mêmes. Elles mettent en jeu des instruments et des dispositifs variés de politique publique.
La grippe aviaire à Hong Kong en 2009, les coulées de boue d’Alma Ata au Kazakhstan dans les années 1960, le Tsunami de 2004 au Sri Lanka, les inondations du Rhône en France de 2003 et celles qui ont touché Santa Fe en Argentine en 1999, la contamination à la dioxine de 1976 à Seveso, en Italie : six cas singuliers, parmi de nombreux autres, dont l’analyse comparée permet de dégager continuités et similitudes du gouvernement des catastrophes. Les enquêtes historiques et ethnographiques montrent comment les sinistrés, trop souvent réduits à leur condition de victimes, soumettent les mesures et les procédures qui leur sont appliquées à la critique. Elles interdisent de s’en tenir à la seule problématique de la « culture du risque » des populations affectées. Elles éclairent les multiples appropriations et transformations dont les dispositifs de gouvernement font l’objet. Elles révèlent les contextes politiques, sociaux et économiques des catastrophes pour réinscrire ces événements, singuliers et traumatisants, dans le temps long et la densité des configurations sociales.
ISBN :978-2-8111-0911-0

Fragments d'une guerre inachevée. Les entrepreneurs taïwanais et la partition de la Chine
par Françoise Mengin

La République de Chine, repliée à Taiwan en 1949, a conservé une indépendance de fait. Mais les autorités communistes n’ont pas renoncé à réunifier formellement l’île à la Chine populaire. Outre une pression militaire croissante, la politique irrédentiste de Pékin a tablé sur l’intégration économique entre les deux rives du détroit de Formose. Répondant aussitôt aux mesures préférentielles qui leur ont été offertes, les industriels insulaires ont opéré un vaste mouvement de délocalisation de leurs activités sur le continent. Fragments d’une nation déchirée par des revendications contradictoires, ces entrepreneurs sont les vecteurs d’une unité de la Chine imposée par le Parti communiste, voulue mais différée par le Parti nationaliste, rejetée par les partis indépendantistes taiwanais.

Dans cette guerre civile inachevée, les logiques sociales s’imbriquent au conflit de souveraineté. Les acteurs transnationaux ont pu s’affranchir d’une législation sécuritaire ou tirer parti des modes de gouvernement de la Chine des réformes pour reconfigurer, à terme, la scène démocratique taiwanaise et, par là même, les rapports entre Pékin et Taipei.

Par son irréductible spécificité, la question de Taiwan éclaire le rapport de l’économique au politique : une opération fictive de dépolitisation a présidé à l’ouverture de la frontière sino-taiwanaise afin d’ajourner toute résolution du conflit de souveraineté. Renouvelant la sociologie et l’économie politique des relations internationales, l’auteur apporte un éclairage aigu sur l’un des différends territoriaux qui font de l’Asie orientale une zone de risques majeurs
ISBN : 978-2-8111-0852-6

2012

Les Indiens et la nation au Mexique. Une dimension historique de l'altérité
par Paula Lopez Caballero

Les populations autochtones du Mexique sont souvent regardées comme les dernières des survivantes, ou des résistantes, face à l’occidentalisation et à la globalisation. Cette représentation repose sur l’idée que la frontière censée les séparer du reste de la société va de soi.
Or, une enquête d’ethnographie historique menée dans un arrondissement rural de Mexico, considéré du XVIIe siècle aux premières années du XXIe, démontre que la « culture » ou l’« identité » de ces groupes n’est pas une question d’origines, mais de positions dans un champ d’identification qui varie d’une époque à l’autre, et dont l’État-nation est un déterminant.
Le raisonnement anthropologique permet de dépasser le langage de ce dernier – celui des institutions, de la législation, des politiques publiques – pour traiter des interactions sociales concrètes, historiquement situées, au cours desquelles sont produites les différentes manières de définir (ou d’auto-définir) ce que signifie être autochtone. Sont ainsi rassemblés dans un même horizon analytique deux objets d’étude habituellement pensés de manière indépendante, voire antagonique : l’État-nation et les Indiens.
ISBN : 978-2-8111-0717-8

Itinéraires aborigènes. Histoire des relations raciales dans le Sud-Est australien
par Bastien Bosa

Fruit d’une longue enquête menée tant sur le terrain que dans les archives, cet ouvrage donne une image inédite des Aborigènes d’Australie, bien au-delà des clichés éculés qui continuent de prévaloir. À rebours des conceptions primitivistes qui situent cette population hors du temps et l’enferment dans une altérité radicale, il montre comment elle est au contraire prise dans l’histoire. L’auteur place au coeur de son analyse les contradictions, les ruptures et les à-coups de la vie sociale que tend à éluder l’ethnologie, dans un mouvement d’épuration du réel.
S’appuyant sur l’étude de destins singuliers et sur la description de cas concrets, il rend compte du caractère crucial du rapport colonial dans lequel ont été insérés les Aborigènes par le truchement de la coercition et de la violence institutionnelle. Il incite à repenser les questions des minorités, de la subalternité, de la race et de la domination, dans le double contexte d’une société industrielle et d’une situation postcoloniale. Ce faisant, il enrichit la réflexion sur les politiques de discrimination positive et sur la capacité d’action des assujettis. Mais surtout il nous fait rencontrer des personnes et partager des existences concrètes, là où trop souvent l’ethnologie nous enferme dans une vision holiste, organique et volontiers misérabiliste des Aborigènes australiens.
ISBN : 978-2-8111-0772-7

Les mille et une frontières de l'Iran. Quand les voyages forment la nation
par Fariba Adelkhah

L'orientalisme et l'idéologie nationaliste ont laissé dans l'ombre les relations pluriséculaires nouées par l'Iran avec le reste du Moyen-Orient, mais aussi et surtout avec le Caucase, l'Asie centrale, le sous-continent indien et l'Extrême-Orient. Il en est découlé une perception distordue de l'histoire du pays. Depuis une quarantaine d'années, l'exil politique, l'expatriation économique, la généralisation du commerce transfrontalier, les pratiques de pèlerinage, l'engagement internationaliste dans différents conflits de la région ont conféré une importance accrue à l'institution de la frontière. D'autant que l'Iran est devenu un pays d'immigration et de refuge, accueillant sur son sol plusieurs millions d'Afghans et d'Irakiens. En outre, la frontière géographique et politique met en jeu d'autres frontières, entre les genres, entre le public et le privé, entre la légalité et l'illégalité, entre le religieux et le profane.
Fariba Adelkhah se livre à une anthropologie des pratiques sociales du voyage en privilégiant l'étude des réseaux financiers et commerciaux transfrontaliers à l'échelle du Grand Khorassan et du golfe Persique, de l'expatriation au Japon, de la diaspora irano-californienne, de l'immigration afghane en Iran, des pèlerinages sur les lieux saints de Syrie et d'Arabie, des rêves de départ et de retour qui habitent le corps social. Au fil d'une observation participante s'étalant sur une dizaine d'années, elle apporte un éclairage neuf sur l'économie politique du néolibéralisme en République islamique, sur la participation sociale des femmes, sur la conscience nationale et religieuse – en bref sur ce qu'être Iranien (et Iranienne) veut dire, au jour le jour, et sur l'ambivalence des appartenances ou des identités. Quand les voyages forment la nation…
ISBN : 978-2-8111-0664-5

L'Atlantique multiracial. Discours, politiques, dénis
sous la direction de James Cohen, Andrew J. Diamond et Philippe Vervaecke

Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, le début du millénaire a vu se multiplier des discours épurés de toute référence à la catégorie de « race ». La tolérance et la diversité sont désormais les registres dominants que l'on emploie pour parler de questions relevant auparavant de cette dernière. Ainsi, aux États-Unis, l'élection de Barack Obama a donné un puissant élan à ce que Thomas Sugrue nomme le « grand récit de la réconciliation raciale », en dépit de la racialisation évidente des inégalités sociales.
De part et d'autre de l'Atlantique, la notion de color-blindness gagne en influence. Elle dissimule une forme de racisme culturel, ou de racisme différentialiste, qui se diffuse dans la sphère publique, et que revendiquent même parfois certains responsables politiques. Cette évolution intervient dans un contexte de remise en cause des modèles nationaux d'intégration et de déclarations catégoriques sur le prétendu échec du multiculturalisme : prises de position dont l'objet est de critiquer des politiques jugées trop différentialistes, tout en pointant du doigt certaines catégories de la population dont l'intégration s'avérerait problématique.
Ce volume se propose de mieux comprendre les logiques sociales de racialisation, et leur rapport au politique, dans une perspective comparative et en recourant à différentes disciplines. Il pratique une forme d'« histoire du présent », à la fois empirique et théorisée. Celle-ci est de salubrité publique à l'approche d'échéances électorales cruciales, en Europe comme en Amérique, alors que les problématiques identitaires conservatrices, sinon réactionnaires, effectuent un retour en force dans le débat politique et l'exercice du pouvoir.
ISBN : 978-2-8111-0618-8

2011

Internet et la politique en Chine
par Séverine Arsène 

Sur les blogs et les forums de discussion chinois, des millions de personnes parlent politique et se mobilisent quotidiennement. Ces internautes s'indignent devant le traitement réservé à des ouvriers migrants, dénoncent des expropriations illégales et vont jusqu'à critiquer la corruption de leurs dirigeants. Le Parti communiste ne peut plus étouffer ces scandales. Néanmoins, il déploie de nombreux efforts pour les canaliser. Le web chinois est devenu un espace public complexe, où de nombreux acteurs luttent pour faire entendre leur voi. Dès lors, il ne s'agit plus seulement de contournement de la censure, mais plutôt de construction d'une audience susceptible d'ninfluencer les autorités.
L'ouvrage aborde ces enjeux au travers de nombreux extraits d'entretiens avec des internautes ordinaires. Il explique comment l'aspiration à un style de vie "moderne", le nationalisme ou encore les tensions au sein de la société chinoise peuvent conduire, selon les cas, à l'auto-censure ou à la formation de virulentes protestations. En nous montrant comment les Chinois eux-mêmes conçoivent la place d'Internet dans la société, il constitue un éclairage inédit sur le fonctionnement du régime. Il amène aussi à réfléchir, dans une perspective comparative, sur le rôle effectif de la communication numérique dans le monde contemporain, notamment au cours du "Printemps arabe", qui a suscité de nombreux fantasmes à ce propos.
ISBN : 978-2-8111-0580-8

Faire parti. Trajectoires de gauche au Mexique
par Hélène Combes

Comment construit-on un parti politique ? D'où viennent les militants et les cadres qui participent à sa fondation ? En quoi leur héritage, leur militantisme passé influent-ils sur sa forme, sur ses débats internes, sur son organisation? Quels sont les mécanismes concrets qui permettent l'implantation d'une nouvelle machine partisane sur un territoire national ?
A travers le cas du Parti de la révolution démocratique (PRD), parti de centre gauche fondé en 1989 et qui gouverne Mexico – l'une des plus grandes villes du monde – depuis 1997, cet ouvrage éclaire les mécanismes de la fabrique partisane. Il met l'accent sur la relation entre parti et mouvements sociaux, question particulièrement débattue en Amérique latine, en s'intéressant à des dirigeants qui, souvent passés par la guérilla, le militantisme paysan ou la lutte pour les mal-logés, choisissent au tournant des années 1980 de s'investir dans le PRD. Et ce, au moment où le Mexique connaît une importante ouverture politique. Cet épisode fondateur est analysé à l'aune des vagues de mouvements sociaux qui se sont succédé depuis les années 1960.
Récits de réunions militantes dans les quartiers populaires de Mexico, entretiens avec les figures de proue du parti, analyse fouillée des activités de ses instances dirigeantes : l'auteur dévoile les rouages quotidiens du PRD et permet ainsi de découvrir la richesse de la contestation au Mexique, au-delà du cas emblématique des zapatistes. Simultanément, elle délivre une belle leçon de sociologie politique des partis qui contribue à renouveler ce genre dans lequel la recherche française a longtemps excellé. 
ISBN : 978-2-8111-0479-5

La sécurité privée en Argentine. Entre surveillance et marché
par Federico Lorenc Valcarce

La « sécurité privée » est l'une des formes les plus captivantes du contrôle social à l'époque contemporaine. En Amérique du Nord, en Europe, mais aussi en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, se constituent de véritables industries vouées à la satisfaction des besoins de sécurité des entreprises et des personnes. Gardiens en tenue, caméras de vidéo-surveillance, guérites, patrouilles motorisées font de plus en plus partie du paysage de nos villes. Une fraction importante de nos activités quotidiennes se tient dans des espaces privés dont l'ordre est assuré par ce type de dispositifs. Les maisons particulières, les locaux commerciaux et bancaires ont souvent des alarmes antivol reliées à des centres de surveillance privés. Il s'ensuit une mutation de la vie sociale dont on ne peut sous-estimer l'importance et qui révèle la recomposition de l'État dans le contexte du néo-libéralisme.
L'auteur analyse ces évolutions dans le cadre de l'Argentine, sur la base d'une enquête de terrain approfondie. Mais sa problématique, rigoureuse et originale, revêt une portée comparative qui renouvelle les études de la libéralisation économique de la sécurité publique. Elle contribue à une meilleure compréhension de la production sociale de l'Etat, du marché, de la propriété, et aussi de la violence et de la peur.
ISBN : 978-2-8111-0463-4

2010

Une mairie dans la France coloniale. Koné, Nouvelle-Calédonie
par Benoît Trépied

En 1946, l'extension de la citoyenneté française aux « sujets indigènes » a profondément bouleversé ce qu'on appelait alors la « France coloniale ». En Nouvelle-Calédonie, un nouveau parti a dès lors occupé le devant de la scène politique des années 1950 à 1970 : l'Union calédonienne. Celle-ci réunissait, selon le vocabulaire de l'époque, « autochtones » et « Européens ». Cette séquence historique apparaît à bien des égards énigmatique.
Comment en effet comprendre le triomphe politique d'un parti dont la devise officielle, « deux couleurs, un seul peuple », était apparemment aveugle aux inégalités héritées de l'époque coloniale, moins de dix ans après la fin du régime de l'indigénat ? L'auteur tente de répondre à cette question à partir d'une enquête ethnographique et micro-historique approfondie dans la commune de Koné (Nord-Ouest). Se consacrant à l'étude des acteurs locaux, des conflits et des enjeux municipaux, il décrypte l'Union calédonienne « au ras du sol ». C'est en jouant subtilement de toutes les nuances et ambiguïtés d'un tissu social façonné à la croisée de la civilisation kanak et de la colonisation que l'Union calédonienne est parvenue, à Koné, à nouer une alliance inédite entre ouvriers blancs, tribus kanak et autres outsiders coloniaux.
Cet essai de micro-histoire représente une contribution majeure à une compréhension renouvelée de l'économie politique et morale des « situations coloniales ». Il enrichit ainsi le débat qui fait actuellement rage à propos des études postcoloniales. Et il sort de l'oubli une page cruciale de l'histoire du Pacifique Sud.
ISBN : 978-2-8111-0411-5

Vie quotidienne et pouvoir sous le communisme. Consommer à l'Est
sous la direction de Nadège Ragaru et Antonela Capelle-Pogacean

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, des musées proposent aux écoliers des reconstitutions de la vie quotidienne sous le communisme, au risque de leur donner une image exotique d'un passé récent. Pendant ce temps, des firmes agroalimentaires, reconverties au marketing le plus contemporain, offrent à leurs clientèles des chocolats aux évocations très proustiennes, dans un emballage modernisé qui se pare des couleurs de l'authenticité. Entre une mémoire officielle en cours d'élaboration et l'activation marchande de souvenirs individuels, comment embrasser les expériences socialistes de l'après-guerre ? A partir des années 1960, l'Europe soviétisée vit émerger une consommation de masse et une culture de consommation adossées à de nouvelles politiques publiques, centrées sur la figure du « nouvel homme » communiste. La consommation ne fut pas énoncée dans le seul langage du « niveau de vie ». Elle avait vocation à façonner les imaginaires, les pratiques, les valeurs. Transformés, les styles de vie et les représentations du bien-être connurent une différenciation progressive. Même contrariée par les pénuries qui réapparaissaient avec des intensités variables selon les contextes nationaux, cette métamorphose suivit une chronologie qui n'était pas déconnectée des évolutions observées à l'Ouest.
La consommation fournit aux auteurs de cet ouvrage pluridisciplinaire un prisme à travers lequel interroger les vies quotidiennes sous le socialisme, au-delà de la seule dimension répressive des ordres politiques. Elle met en lumière des goûts et des sensibilités, des savoirs et savoir-faire qui participèrent également d'une logique de distinction sociale. En réinsérant les expériences socialistes dans des historicités plus longues, son analyse invite à envisager autrement l'articulation entre les démocraties populaires et le centre impérial soviétique, et donne à voir des circulations Est-Ouest au tracé plus complexe que ne le laisse penser l'image manichéenne de la Guerre froide. En définitive, se trouvent éclairées certaines des conditions de possibilité et de reproduction des systèmes communistes.
ISBN : 978-2-8111-0359-0

L'identité en jeux. Pouvoirs, identifications, mobilisations
sous la direction de Denis-Constant Martin 

Ce que l'on nomme « identité » est devenu un thème central du débat politique et des affrontements idéologiques dans un grand nombre de sociétés contemporaines. Cet ouvrage s'efforce de comprendre ce dont il est en réalité question lorsque le thème de l'identité, nationale ou autre, est mis en avant. L'introduction, tirant les leçons d'une vaste littérature, montre que l'« identité » est toujours le résultat d'une construction sociale aboutissant à la production de récits qui utilisent les ressources de la mémoire, de l'espace et de la culture. Elle est élaborée pour permettre de placer dans une tonalité affective, susceptible de réunir, par-delà la diversité des intérêts, des citoyens que des entrepreneurs cherchent à mobiliser en vue d'actions politiques de natures très diverses.
L'« identité » étant fluctuante et plurielle, les identifications possibles étant toujours multiples, pour lui conférer une efficace politique, il convient de la configurer, ce à quoi s'emploient des penseurs et des leaders politiques, sans toujours y réussir. Selon les situations, les configurations identitaires proposées aux citoyens sont plus ou moins bien reçues, plus ou moins longtemps acceptées : elles affectent plus ou moins les attitudes et comportements politiques. Les études de cas montrent la diversité des modes de configuration des « identités » en politique, la variété des usages qui en sont faits et la complexité des effets que ces usages ont dans les sociétés étudiées (France, Italie, Hongrie, Roumanie, Russie, Liban, Inde, États-Unis).
ISBN : 978-2-8111-0341-5

L'adieu aux armes ? Parcours d'anciens combattants
sous la direction de Nathalie Duclos

La réintégration des anciens combattants dans la vie civile constitue un enjeu majeur des périodes dites post-conflit. L'expérience prouve que les vétérans sont souvent impliqués dans le regain de la violence ou de la guerre. La démobilisation des hommes en armes est devenue aujourd'hui une préoccupation prioritaire pour les organisations internationales qui financent de nombreux programmes de DDR (Désarmement, Démobilisation, Réintégration). Dans une perspective sociologique, cet ouvrage, L'adieu aux armes ? s'intéresse aux trajectoires des anciens combattants, à leurs parcours individuels et collectifs, qu'il saisit "par le bas". Le contexte social et politique de la démobilisation des vétérans n'est pas sans incidence sur leurs trajectoires, notamment en ce qu'il façonne leurs opportunités de réintégration à la vie civile et leur statut dans les figures imaginaires de la cité.
ISBN : 978-2-8111-0347-7

2009

Clubs politiques et perestroïka en Russie. Subversion sans dissidence
par Carole Sigman

La décomposition de l'URSS est un phénomène mystérieux que les spécialistes n'ont pas fini d'explorer. Que s'est-il passé pendant la perestroïka, cette courte période (1986-1991) où tout a basculé ? L'une des singularités de cet ouvrage est de ne pas se concentrer sur le jeu des élites dans les hautes sphères du pouvoir politique, mais sur celui d'acteurs plus ou moins oppositionnels localisés dans leurs périphéries. Il reconstitue l'événement à travers l'histoire des clubs politiques « informels » de Moscou, organisations indépendantes du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS) apparues en 1986-1987. Cette mobilisation originale naît dans les milieux universitaires pour s'étendre rapidement dans l'espace social. Sans adopter la stratégie classique d'opposition frontale, elle parvient néanmoins à ébranler les fondements du système politique. Les clubs informels sont des acteurs importants, bien que mal connus, de cette mutation. Ils ont contribué à façonner le nouvel espace politique concurrentiel qui émerge en 1987 et se modifie radicalement à partir de 1989, lorsque les premières élections libres déclenchent une compétition effrénée et généralisée. L'observation des clubs dans ce contexte mouvant permet d'opérer une plongée saisissante dans le processus extrêmement rapide de délitement du système soviétique.
L'analyse présentée ici s'appuie sur les fonds d'archives des clubs informels et de nombreux entretiens approfondis avec leurs principaux dirigeants, mais aussi sur des documents inédits provenant d'un comité du PCUS de Moscou chargé de « traiter» les clubs, de négocier avec leurs membres et de les surveiller.
ISBN : 978-2-8111-0240-1

Ambedkar! Des intouchables chantent leur libérateur. Poétique d'une mémoire de soi
par Guy Poitevin en collaboration avec Hema Rairkar

De simples paysannes de caste intouchable chantent au Maha-rashtra, en Inde, leur libérateur Bhimrao Ramji Ambedkar (1891-1956), pendant la mouture matinale de la farine, dans ce moment liminal d'intimité domestique qui précède le lever du jour. L'auteur nous livre ces "actes de parole" dans une lecture linéaire qui construit une épopée : le "Chant d'Ambedkar". Il nous fait partager son émerveillement devant les jeux de contrastes et de correspondances auxquels se livrent les chanteuses, depuis la structure de versification jusqu'aux niveaux lexical et phonologique. L'étude se poursuit en annexe par une analyse mélodique et prosodique (temporalité, espace tonal, mélismes) qu'illustrent des mélogrammes et des documents sonores.
Cet ouvrage dispense une superbe leçon de choses en matière d'"études subalternes", ce courant historiographique qui a profondément renouvelé la compréhension de la colonisation et du nationalisme en Inde et qui a été l'une des matrices des "études postcoloniales" contemporaines. Il se situe au croisement de plusieurs disciplines et les contraint à repenser leurs méthodes et leurs apports respectifs. A ce titre, sa lecture s'impose aux anthropologues, aux sociologues, aux politistes, aux phonologues, aux linguistes et aux musicologues. Mais elle invite aussi à une découverte sensible de l'Inde moderne dont elle éclaire, "par le bas", l'assise démocratique
ISBN : 978-2-8111-0216-6

Régner au Cameroun. Le Roi-Pot
par Jean-Pierre Warnier

Le roi Ngwa'fo des Mankon est ingénieur agricole, homme d'affaires et premier vice-président du parti de Paul Biya. Il a succédé à son père en 1959. Son règne couvre cinquante ans d'indépendance. Il affiche des convictions modernisatrices tout en remplissant à la lettre ses fonctions monarchiques. Il fait des offrandes aux défunts. Son corps propre est investi de substances de vie ancestrales. Il les communique à son peuple et à ses épouses par sa parole, son souffle, sa salive, sa semence, et par des substances qui démultiplient ses humeurs corporelles. Il agit comme un « roi-pot » muni d'une enveloppe et d'orifices qui ordonnent et contrôlent des transits en flux entrants et sortants. Ses sujets mettent en oeuvre des techniques du corps et des techniques de soi qui les identifient à des récipients en rapport avec le corps du roi. Le fardeau de la royauté consiste à dispenser des substances unifiantes, tout en fabriquant des limites et du transit, afin d'assigner à la localité des sujets soumis aux forces centripètes des conflits, de la sorcellerie, du marché, de la modernité, des migrations du travail.
La combinaison d'une problématique d'inspiration foucaldienne de la gouvernementalité et d'une ethnographie très concrète des pratiques matérielles et motrices, peu verbalisables, démontre que le pouvoir s'adresse aux corps et aux objets. Les sujets s'assujettissent, sans prise de conscience critique, aux enveloppes qui les contiennent.
ISBN : 978-2-8111-0176-3

La démocratie mexicaine en terres indiennes
par David Recondo

Dans les confins indiens du Mexique, la démocratisation s'accompagne d'une reconnaissance de la nature pluriculturelle de la société. L'indianité fait son entrée dans la sphère publique, sous l'effet combiné de la mobilisation sociale et du calcul politique.
Dans l'une des provinces à plus forte densité de population indienne, l'Oaxaca, cette politique du multiculturalisme a pris une forme particulière. Plutôt que de mettre l'accent sur une refonte des programmes d'éducation dans un esprit interculturel, ou bien de toucher à la question territoriale, la reconnaissance a porté sur l'autonomie politique des communautés indiennes. L'État a légalisé les formes traditionnelles d'élection et de délibération politique au niveau municipal. Alors que la promotion d'élections compétitives domine l'agenda politique national, le régime post-révolutionnaire établit un système politique dual dans les campagnes du Sud mexicain. Les communautés indiennes y sont autorisées à pratiquer leurs « coutumes » sans l'intervention des partis politiques, et selon des procédés qui contredisent souvent les normes de la démocratie électorale conventionnelle.
Cet ouvrage s'attache à élucider cette énigme de la transition mexicaine. Dans une perspective comparative, il enrichit les problématiques de la démocratie et nourrit la réflexion sur la question indienne à l'échelle du continent.
ISBN : 978-2-8111-0180-0

2008

Milieux criminels et pouvoir politique. Les ressorts illicites de l'État
sous la direction de Jean-Louis Briquet et Gilles Favarel-Garrigues

Globalisation du crime, montée en puissance des mafias du monde, prolifération des réseaux transnationaux de la grande délinquance : c'est à partir de ces constats alarmistes que, dans le courant des années 1990, la criminalité organisée a été présentée comme l'une des principales menaces pesant sur l'ordre économique et politique mondial. Nourrie de discours politiques, d'expertises policières et judiciaires, d'enquêtes journalistiques et d'ouvrages académiques, l'analyse dominante renvoie les organisations criminelles dans des univers occultes, nettement séparés des institutions légales, tant économiques que politiques.
A rebours de cette perspective, le présent ouvrage étudie des contextes socio-historiques propices à l'épanouissement de la violence mafieuse dans le jeu politique. Il s'agit d'observer comment se forment des configurations politico-criminelles dans lesquelles interagissent des détenteurs du pouvoir officiel et des professionnels de l'usage de la force. Liens entre savoir-faire militaire et pouvoir politique en Indonésie, au Pakistan ou en Turquie ; reconversion des entrepreneurs de violence dans le jeu politique russe ou bulgare ; activités affairistes de responsables du mouvement nationaliste armé en Corse ; interactions entre la mafia calabraise et les entreprises ; investissement du gouvernement bélizien dans l'économie illicite ; ou encore illégalismes monétaires dans le conflit somalien... Les divers chapitres de l'ouvrage engagent une réflexion comparative sur l'usage de la violence mafieuse dans la formation et le fonctionnement du pouvoir d'État.
ISBN : 978-2-8111-0017-9

2007

Voyages du développement. Emigration, commerce, exil
sous la direction de Fariba Adelkhah et Jean-François Bayart

Le fait migratoire interpelle les politiques publiques de l'aide au développement bien au-delà du slogan convenu et illusoire du « co-développement ». Fondé sur des recherches de terrain précises dans le Bassin méditerranéen, en Afrique occidentale, dans la région irano-afghane du Khorassan et en Asie du Sud-Est, cet ouvrage s'intéresse aux pratiques du voyage lui-même. Il se distingue â la fois de l'approche classique de l'immigration dans son double rapport aux sociétés dites de «départ» et d'«accueil», et de la thématique de la «diaspora». L'expérience du voyage ne se confond pas avec celle de la migration car elle recouvre d'autres formes de déplacements, mais elle ne peut plus s'en dissocier, ne serait-ce que pour des raisons administratives du fait des politiques restrictives de délivrance des visas. Réciproquement le fait migratoire renvoie à la problématique du voyage. Par définition les migrants se déplacent. Ils induisent aussi des pratiques complémentaires de voyage en faisant venir auprès d'eux des membres de leur famille ou des proches, et ils se pensent, pour une partie d'entre eux, â travers les prochaines étapes de leur pérégrination, parfois longue de plusieurs années. Ces voyages sont en partie virtuels, sous forme de lettres, de paquets, de cassettes, de photos, d'appels téléphoniques, d'e-mails, ou même de rêveries et d'attentes.
Les migrations, les pratiques du voyage nous rappellent que le monde est en mouvement parce qu'elles constituent elles-mêmes un mouvement social. Il est nécessaire que les problématiques du développement prennent mieux en compte la complexité des mobilités contemporaines, tant ces dernières relèvent des objectifs les plus directs de l'aide. Elles n'y parviendront qu'en s'émancipant des attentes dites sécuritaires qui pèsent de plus en plus sur la formulation des politiques publiques. Le voyage est une pratique de développement, et un objet de l'économie ou de l'anthropologie du développement. Il doit maintenant devenir un sujet à part entière de l'aide au développement.
ISBN : 978-2-84586-940-0

Le sultanat d'Oman. Une révolution en trompe-l'oeil
par Marc Valeri

L'été 2007 marque le début de la trente-huitième année de règne du sultan Qabous d'Oman, une longévité unique dans le monde arabe, hormis celle du colonel Kadhafi en Libye. Pourtant, lorsque Qabous, à peine âgé de trente ans, renverse son père en 1970 avec l'aide de ses conseillers britanniques, les observateurs ne manquent pas de souligner les infimes chances de survie politique du nouveau souverain, inconnu de sa propre population, porté à la tète d'un territoire miné par les guerres civiles et parmi les plus pauvres du monde, soumis à une forme archaïque de gouvernement. Au final, le Sultan a bâti sa légitimité sur une politique d'unification nationale qui s'est traduite par l'assimilation de l'Oman tout entier à l'État, pivot du développement en tant que dépositaire de la rente pétrolière, puis de cet État Providence à la personne du sultan, incarnation de la «renaissance » du pays.
Reposant sur une connaissance directe de la société omanaise acquise en plus de trois années de terrain, cet ouvrage revêt aussi une portée comparative. Il contribue à la compréhension des mécanismes sociaux et politiques de perpétuation de l'autoritarisme dans un espace postcolonial singulier, celui de l'océan Indien, qu'ont façonné une histoire marchande de longue durée et le moment plus bref de l'Indirect Rule britannique. Il montre comment un pouvoir monarchique ultra-personnalisé se construit et se renouvelle au jour le jour pour répondre, avec succès, pendant plus de trente ans, aux défis externes, mais surtout internes, qui menacent sa stabilité. Il pose la question d'un modèle de substitution à une économie fondée sur la rente pétrolière, alors que plus de la moitié de la population a moins de quinze ans et que les privilèges accordés aux générations précédentes ne sont plus de mise. Sa lecture permet de mieux saisir les échéances auxquelles sont confrontées les autres monarchies du monde musulman, celles du Golfe mais aussi du Maroc ou de la Jordanie
ISBN : 978-2-84586-914-1

Mafia, justice et politique en Italie. L'affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004)
par Jean-Louis Briquet

L'inculpation d'Andreotti pour complicité avec Cosa Nostra, en mars 1993, a marqué une rupture décisive dans l'histoire de la question mafieuse en Italie. Pour la première fois, la magistrature parvenait à intervenir dans un domaine qui lui était jusque-là demeuré étranger: celui de la "mafia politique", des "enchevêtrements pervers" entre les pouvoirs officiels et la criminalité. Les accusations portées contre Andreotti, redoublant les révélations judiciaires quant à la corruption des élites dirigeantes, rejaillissaient alors sur le régime dont il avait été l'un des plus illustres représentants. Elles alimentaient une crise politique de grande ampleur, qui allait aboutir à la chute de la "Première République" et dont l'arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi a été la conclusion inattendue.
Comment expliquer une telle rupture? A quelles conditions des juges se sont-ils emparés, pour tenter de les sanctionner, des collusions politicomafieuses? Sous quelles formes les croisades morales contre la mafia sont-elles intervenues dans le discrédit soudain qui a frappé les gouvernants au début des années 1990 et, en retour, dans la légitimation des acteurs politiques qui revendiquaient leur succession? Et pourquoi un procès qui avait été d'abord érigé en symbole de la faillite d'un régime miné par les illégalités et les compromis occultes est-il progressivement devenu celui des outrances et des dérives du "gouvernement des juges"? En suivant le fil de l'affaire Andreotti, en la resituant dans la trajectoire longue de la lutte antimafia et en retraçant son déroulement jusqu'à l'acquittement du prévenu à la fin 2004, ce livre offre des réponses à ces questions. Au-delà, il interroge les dynamiques et les contradictions du projet de divulgation de la "face cachée" de l'Italie républicaine, qui a marqué (et continue de marquer) l'histoire politique et intellectuelle du pays.
ISBN : 978-2-84586-833-5

Aux origines du nationalisme albanais.. La naissance d'une nation majoritairement musulmane en Europe
par Nathalie Clayer

La «question albanaise» et le statut du Kosovo restent d'une brûlante actualité. En outre les rapports entre l'islam et l'Europe sont en débat, et la Turquie, héritière de l'Empire ottoman, frappe à la porte de cette dernière. Dans ce contexte, il est utile de revenir sur la formation de la nation albanaise, la seule nation majoritairement musulmane qui se soit pourvue dun État sur le Vieux Continent lors de la première vague de création des États-nations. dans la deuxième moitié du «long XIXe siècle».
L'idée albanaise a lentement émergé à partir du début du XIXe siècle. De pertes territoriales en pertes territoriales, le sort des musulmans dans les possessions européennes de l'Empire ottoman est devenu l'enjeu principal de cette genèse.
L'affirmation d'une identité albanaise, au sens moderne du terme, s'est développée dans ces circonstances, mais aussi en lien avec les transformations de la société provinciale ottomane. En étroite symbiose avec les autres projets nationaux de la région, l'«albanisme» est devenu une ressource politique majeure dans les rapports de pouvoir au sein de l'Empire et dans la confrontation entre ce dernier et les États-nations qui en étaient nés. Il a donné lieu à une multiplicité des constructions de l'albanité qui continuent de configurer une partie des Balkans.
Cet ouvrage fondamental enrichit notre compréhension des conflits contemporains. Il apporte également un éclairage neuf sur l'émergence des idées nationales dans les dernières décennies de l'Empire ottoman. En s'émancipant des anachronismes et des interprétations idéologiques du passé, il joint sa voix à celle des chercheurs turcs, balkaniques, arméniens, arabes ou israéliens qui s'efforcent de «sauver l'histoire de la nation» en faisant preuve d'un grand courage intellectuel et politique. Sa lecture s'impose en ces temps de passions identitaires.
ISBN : 978-2-84586-816-8

2006

Etre moderne en Iran - Nouvelle édition augmentée
par Fariba Adelkhah

L'Iran est à nouveau au coeur de l'actualité internationale. Sa détermination à poursuivre son programme nucléaire, en dépit de l'opposition des pays occidentaux, a ouvert une crise diplomatique de premier ordre dont on peut craindre qu'elle ne conduise à une intervention militaire étrangère. En outre les électeurs iraniens, huit ans après l'accession inopinée de Mohammed Khatami à la présidence de la République, ont encore une fois créé la surprise, en juin 2005, en portant leurs suffrages sur un homme politique de second plan, Mahmoud Ahmadinejad, qui s'est vite distingué par des propos négationnistes et violemment anti-sionistes.
Dans la première édition de cet ouvrage l'auteur avait révélé un visage méconnu de l'Iran postrévolutionnaire. La société est vivante, diversifiée et autonome par rapport au régime. Mais elle est aussi en interaction permanente avec ses institutions. Une société civile aux prises avec un État totalitaire? On assiste plutôt à la formation d'un espace public, que véhiculent de multiples pratiques religieuses, sportives, consuméristes, économiques et politiques. En témoigne notamment la recomposition d'un style de vie, celui de l'homme intègre, qui se veut désormais un «être en société». L'arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad contredit-elle cette évolution? Dans une préface inédite Fariba Adelkhah démontre que le nouveau président de la République n'est pas forcément l'ultraconservateur que l'on suppose. Il s'inscrit lui-même dans la problématique des réformateurs qu'il a battus. Mais son élection marque bien la fin d'une époque, ne serait-ce que parce qu'elle signale l'ascension d'une nouvelle génération politique.
Une nouvelle édition, augmentée, de ce livre classique, épuisé depuis deux ans, s'imposait pour comprendre l'arrière-plan social et politique de la crise nucléaire actuelle.
ISBN :978-2-84586-782-4

La condition chinoise. La mise au travail capitaliste à l'âge des réformes (1978-2004)
par Jean-Louis Rocca

La Chine est un géant qui déroute. Elle jouit des bienfaits d'une économie florissante, mais qui ne répondrait pas aux normes du marché. Son système politique serait archaïque, corrompu, voire inefficace, et néanmoins capable d'assurer un minimum d'ordre et de stabilité. Des styles de vie "modernes" émergent, mais les logiques "communautaires" continueraient à dominer l'espace social.
Cette incapacité des analystes à articuler entre eux des phénomènes apparemment contradictoires ne viendrait-elle pas de leur entêtement à décrypter la condition chinoise à la lumière de "substances" - le marché, la démocratie, l'État de droit, l'individu, la loi, la contestation démocratique, la classe moyenne, la société civile - dont le monde moderne est censé réaliser l'"essence" ? L'erreur ne serait-elle pas de restreindre la trajectoire de la Chine à une "transition" vers une "démocratie de marché", par dissolution du politique et de l'histoire ?
Fort de longues années de recherches sur le terrain, l'auteur récuse l'approche "transitologique" et s'interroge sur les pratiques sociales des Chinois eux-mêmes. Que font les individus, les institutions, les groupes sociaux ? Et que disent-ils de leurs actions, dans le contexte de la "mise au travail capitaliste" que connaît le pays depuis les réformes de Deng Xiao Ping ? Migrations et licenciements, intensification de la production, persistance ou aggravation de la pauvreté, dispositifs disciplinaires, politiques sociales : autant d'événements qui créent des situations nouvelles, sans pour autant converger vers une pseudo rationalité supposée moderne. De même, les modes de contestation qui répondent à la mise au travail capitaliste transforment les relations de pouvoir, ainsi que les formes de l'État, dans un sens souvent singulier, sans que l'on puisse non plus parler de l'émergence d'une "société civile".
ISBN : 978-2-84586-763-8

Démocratie et fédéralisme au Mexique (1989-2000)
par Magali Modoux

Entre 1989 et 2000, le Mexique connaît des changements politiques substantiels, qui remettent en cause le caractère hégémonique du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), de même qu'ils questionnent la légitimité du président de la République à centraliser entre ses mains la prise de décision et la gestion des affaires publiques, faisant fi de la séparation des pouvoirs et de la logique fédérale. Dans cette perspective, les États fédérés qui expérimentent l'alternance partisane font figure de laboratoires, dans la mesure où ils rompent la chaîne de pouvoir vertical mise en place par le PRI et ouvrent la voie à une pluralisation de fait du jeu politique.
Est-ce pour autant un gage de démocratisation du système politique ? L'alternance introduit-elle une manière différente de procéder en politique ? Permet-elle de nouvelles formes de représentation et de participation? La question est double, car elle porte à la fois sur l'ordonnancement des relations de pouvoir entre les institutions et entre les différents acteurs, et sur les relations de pouvoir au sein de chacun des États considérés.
Au-delà du cas mexicain, l'ouvrage s'interroge sur les liens entre transition politique et alternance, et confronte la démocratie formelle - au sens d'institutions et de mécanismes - aux pratiques, transactions et interactions, entre autres, qui animent et sous-tendent le jeu politique et qui, ce faisant, lui donnent sens et consistance.
ISBN : 978-2-84586-764-6

2005

État colonial, noblesse et nationalisme à Java. La Tradition parfaite
par Romain Bertrand

La formation de l'État à Java, du XVIIe au XXe siècle, est inséparable de celle de la noblesse de robe des priyayi. L'exercice de l'autorité en est venu à se dire et à se vivre dans les termes propres à la façon priyayi de se penser et de penser le monde social. La relation de domination s'est énoncée selon un langage mystique. Celui-ci pose l'existence d'un envers invisible du réel, et donc d'une manière spécifique d'acquérir et de mettre en oeuvre, par la pratique de l'ascèse, un pouvoir sur soi et sur autrui. Les scribes des palais ont élaboré une "vision" de Java comme ordre social idéal, comme domaine moral inaltérable. Ils ont affirmé l'existence d'une "façon javanaise" de (bien) faire les choses: une "tradition parfaite" enserrant la vie sociale dans une litanie de règles de conduite, porteuses d'un rapport particulier de soi à soi. C'est sur cette "vision" de Java que les premiers hérauts du nationalisme anticolonial, en majorité issus du milieu priyayi, ont pris appui pour doter la nation à naître d'une théorie antidémocratique de l'État. Mais pour que le Java éternel des poètes de cour devienne la condition du discours nationaliste, il fallait que le langage de la "tradition parfaite" cesse d'être une illusion collective et soit passible d'usages proprement instrumentaux. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'État colonial néerlandais en Insulinde était devenu producteur et certificateur d'un "savoir sur Java". Concurrençant l'imaginaire de la "tradition parfaite", ce dernier avait permis aux priyayi de développer un rapport réflexif et stratégique à leur propre trajectoire identitaire. Cherchant à lutter contre cette représentation coloniale de Java, mais aussi à se la réapproprier, les priyayi se sont alors assujettis à leur règle morale sur un mode inédit. Auparavant, il n'était possible que d'être priyayi. Il était maintenant possible de le paraître, de jouer à l'être.
A travers l'histoire de la constitution morale de la noblesse de robe des priyayi, et bien au-delà du seul cas javanais, cette somme magistrale renouvelle la recherche sur la situation coloniale, l'historicité de l'État, la contingence du nationalisme et la subjectivité politique.
ISBN : 978-2-84586-637-2

La gouvernance. Un concept et ses applications
sous la direction de Guy Hermet, Ali Kazancigil et Jean-François Prud'homme

Le mot de gouvernance revient désormais à tout propos, comme une espèce de brevet de compétence que les dirigeants qui l'utilisent à profusion se décernent à eux-mêmes, mais sans que « les gouvernés » que nous sommes ne comprennent en général de quoi ils parlent précisément. Cet ouvrage se propose d'éclairer « ce que gouvernance veut dire », sous ses multiples angles d'application et depuis divers lieux: l'Europe, le Mexique et l'Amérique du Nord. Le mot souvent ne fait guère que se substituer à celui de gouvernement, sans rien y ajouter, sinon une tonalité caressante inspirée par la mode. D'autres fois, pourtant, il possède des significations bien définies, mais malheureusement dispersées, applicables selon les cas à la conduite des entreprises, ou bien à la gestion des villes, ou encore au fonctionnement d'un système international en quête de procédures nouvelles. Cela sans oublier la « bonne gouvernance » exigée des pays pauvres par la Banque mondiale, de même que la gouvemance européenne qui est synonyme du mode de gouvernement post-étatique de l'Union européenne. Au constat de tous ces frémissements qui modifient l'art de mener les peuples, une question cruciale surgit finalement à l'esprit. La gouvernance n'est-elle qu'une simple méthode ou technique nouvelle de « management » de nos sociétés ? Ou bien ne faudrait-il pas y voir déjà le nom d'un régime politique en gestation, futur certes, mais proche, celui d'une après-démocratie qui s'insinuerait dans nos pays sans que nous y prenions encore garde ?
ISBN : 978-2-84586-577-5

Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques
sous la direction de Marie-Christine Granjon

L'oeuvre de Michel Foucault, à l'écart des modes intellectuelles de son temps, et à la croisée de la philosophie et de l'histoire, ne propose ni vision globale du monde ni théorie générale de la société. De l'histoire de la folie à l'histoire de la sexualité, ses recherches ont une double ambition : saisir des phénomènes concrets à travers la généalogie de pratiques singulières, d'une part ; procéder à une critique rétrospective de notre temps en dévoilant l'historicité de nos catégories de pensée, avec leur pari de contingence, d'arbitraire et de pseudo-évidences, d'autre part. Loin du déterminisme anhistorique, du pessimisme ontologique ou du nihilisme qu'on lui a prêtés, Foucault délivre un message optimiste : nous pouvons transformer et améliorer notre sort dès lors que nous avons saisi les dispositifs de savoir et les mécanismes de pouvoir qui nous ont constitués en objet d'investigation et de manipulation. L'histoire est, surtout pour le dernier Foucault (1980-1984), un instrument de démystification de la fatalité, un révélateur d'indétermination et, somme toute, de liberté.
Foucault a lui-même invité ses lecteurs à utiliser ses travaux comme autant de « boites à outils », susceptibles de fournir des instruments d'analyse des systèmes de pouvoir. Les usages privilégiés par ceux qui, dans ce volume, se réclament de son oeuvre sont de trois ordres : usages philosophiques ou théoriques, de la part de ceux qui envisagent son oeuvre sous l'angle d'une nouvelle théorie critique qui aurait succédé à celle de Marx ou de l'École de Francfort ; usages heuristiques, de la part de ceux qui empruntent à Foucault concepts et hypothèses dans le but d'en tester le bien fondé, données factuelles ou enquêtes de terrain à l'appui, et contribuent ainsi à la connaissance ou à l'explication de faits historiques, sociaux et politiques ; usages pratiques ou politiques, de la part de ceux qui trouvent dans la « boite à outils » les moyens d'établir un diagnostic de notre époque et de notre pensée, une lecture critique de nos pratiques indissociablement sociales et politiques, privées et publiques, voire un nouveau modèle d'intellectuel engagé.
ISBN : 978-2-84586-607-0

2004

La Chine vers l'économie de marché. Les privatisations à Shenyang
par Antoine Kernen

Le « miracle » chinois suscite des commentaires dithyrambiques ou des inquiétudes en proportion. Mais la Chine ne se réduit pas à la croissance vertigineuse de Shanghai ou de Canton. Cette longue enquête de terrain à Shenyang, bastion industriel de l'ancienne économie socialiste, durement éprouvé par le passage à l'économie de marché, montre que la « transition chinoise » est faite de contrastes et de complexités. Les entreprises d'État restent au centre des réformes. Elles contribuent au développement du secteur privé tout en amortissant le choc des privatisations. Elles permettent à l'État de mettre en place une nouvelle couverture sociale et de renégocier son rôle d'arbitre des conflits du travail. Ces derniers sont légion : retards dans le paiement des salaires, faillites, manifestations ouvrières font partie du lot quotidien. En définitive la longue marche de la Chine vers l'économie de marché, qui a été officiellement instaurée pour cause d'entrée dans l'OMC, ne se ramène pas au désengagement de l'État. Celui-ci reste présent au coeur d'une économie qui, en fait, demeure « socialiste de marché » en dépit de son nouvel affichage.
Accordant une large place aux stratégies et aux représentations des acteurs eux-mêmes, cet ouvrage apporte un éclairage neuf et nuancé sur la nouvelle révolution chinoise, industrielle celle-ci, mais aussi lourde de conséquences sur notre monde que le fut la révolution communiste de 1949.
ISBN : 978-2-84586-519-8

Matière à politique. Le pouvoir, les corps et les choses
sous la direction de Jean-François Bayart et Jean-Pierre Warnier

Soit cette déclaration d'un criminel célèbre : "Mon style, c'est l'Opinel, et j'étrangle les mains nues". Il entendait ainsi se disculper d'un nouvel assassinat dont on l'accusait. On ne saurait mieux dire que la marque d'un individu tient à sa technique : technique du corps, technique de l'outil. C'est par leur truchement que le sujet se constitue. Ici, en tueur, mais aussi bien en consommateur, en producteur, en artiste ou en agent de pouvoir.
La constitution du sujet moral, économique et politique met en jeu la culture matérielle d'une société historique donnée, et donc les gestes et les mouvements que son usage suppose. Le pouvoir, la production, la consommation sont une affaire de praxéologie motrice. Ils tiennent aux choses et aux corps qui s'en saisissent. Danser, boire, jeûner, jouir, prier, creuser, vendre, fondre, laquer, dominer, résister : tout ceci est en effet matière à style, et plus précisément à style de vie (ou de mort). A l'intersection de l'anthropologie et de la science politique, ce recueil d'essais emmène le lecteur à Java, dans différentes sociétés africaines, gare Saint-Lazare et faubourg Saint-Antoine. Ledit lecteur tirera du périple une compréhension renouvelée de l'exercice du pouvoir, de la vie de la marchandise et des pratiques sociales de la globalisation. Accessoirement il ne pourra plus jamais acheter son journal quotidien de la même façon, qu'il soit adepte du Monde ou de Paris-Turf.
ISBN : 978-2-84586-458-2

2003

Après la crise. Les économies asiatiques face aux défis de la mondialisation
sous la direction de Jean-Marie Bouissou, Diana Hochraich et Christian Milelli

La crise asiatique de 1997 a d'abord été le résultat de l'ouverture incontrôlée des marchés internationaux de capitaux, qui a abouti - au contraire de ce que promettaient ses zélateurs - à une allocation fort peu optimale des ressources financières mondiales. Mais elle a aussi révélé les limites de ce qu'on a appelé, de manière simplificatrice, le "modèle asiatique de développement" confronté aux exigences de la mondialisation de l'économie.
Les pays d'Asie en ont-ils fini avec la crise bancaire ? Chaebol et keiretsu vont-ils se convertir à la corporate governance anglo-saxonne ? Pourquoi la Corée du Sud a-t-elle su accomplir des réformes hardies quand le Japon atermoyait ? Comment le "national-capitalisme" malaisien est-il sorti intact de la bourrasque ? La Chine, nouvel "atelier du monde", en tirera-t-elle tout le profit qu'on croit ? N'est-elle pas menacée à son tour d'implosion financière ? Son émergence favorisera-t-elle l'intégration régionale ? Sera-t-elle la "roue de secours" des entreprises japonaises ? Comment celles-ci se redéploient-elles dans l'Asie d'après-crise ? Quel rôle peut jouer une société civile à laquelle la crise a ouvert de nouveaux espaces ? Selon quelles modalités la région s'intégrera-t-elle dans le nouvel ordre économique mondial ?
C'est à ces questions - et à quelques autres - que ce livre s'efforce de répondre.
ISBN : 978-2-84586-457-4

La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin
par Richard Banégas

Le dévoiement du multipartisme et le recours aux armes semblent avoir brisé le rêve démocratique en Afrique. Pourtant, l'histoire politique et sociale du Bénin démontre - avec d'autres cas, comme ceux du Sénégal et du Ghana - que cette tendance ne constitue pas une fatalité. D'où l'importance de résoudre l'énigme de cette transition exemplaire qui a servi de modèle à l'ensemble du continent.
La démocratisation du Bénin s'est avérée un processus complexe, ambigu, avançant volontiers "à pas de caméléon", à l'instar de Mathieu Kérékou, l'ancien autocrate revenu au pouvoir par la voix des urnes. Soulignant les paradoxes de la consolidation du pluralisme, cet ouvrage montre comment les citoyens apprivoisent les institutions et les valeurs de la démocratie et comment celles-ci produisent en retour des bouleversements notables dans les pratiques et les imaginaires politiques.
Au-delà du cas béninois ou africain, ce livre traite ainsi de la diffusion et de la réinvention de la démocratie dans des sociétés qui sont, à tort, réputées lui être rétives.
ISBN : 978-2-84586-396-9

Guerres et sociétés, États et violence après la Guerre froide
par Pierre Hassner et Roland Marchal

Comment penser la guerre dans la période inaugurée en 1989 par la fin de la Guerre froide et l'expansion de la globalisation ? Faut-il y voir, avant la mobilisation contre le terrorisme qui suit le 11 septembre 2001, une scorie de la mondialisation libérale? Ou, au contraire, la marque d'un désordre international pérenne, même si ses formes peuvent être plus ou moins nouvelles? Quels en sont les effets sur la construction (ou la décomposition) de l'Etat, qu'ébranlent déjà certaines manifestations de la globalisation ? Bref, comment faire la part, dans la guerre et ses effets, du local et du global ? Pour répondre à ces interrogations, ce livre propose une réflexion sur quelques dimensions essentielles des conflits armés après 1989. État et globalisation suivent des cheminements tantôt parallèles, tantôt confondus. Néanmoins, il est difficile d'établir une coupure radicale entre les formes des conflits qui précèdent ou suivent la dissolution des blocs. La prise en considération de la place de la guerre et de la violence dans certaines sociétés politiques comme celles des Etats-Unis, de l'Allemagne, d'Israël ou de la Russie débouche sur un double questionnement. D'une part, quant aux transformations sociales que la guerre induit, sans néanmoins qu'il s'agisse de faire de la violence l'accoucheuse de l'Histoire. D'autre part, sur la façon dont les conflits armés ont trait à la crise ou au contraire à la formation de l'État. Enfin, les mutations du système international après 1989 fournissent une dernière matière à réflexion, concernant notamment l'usage des sanctions, le rôle du droit et l'intervention d'acteurs non étatiques.
ISBN : 978-2-84586-392-6

2002

Indonésie : la démocratie invisible. Violence, magie et politique à Java
par Romain Bertrand

Après la démission du président Suharto, en mai 1998, l'Indonésie a fait l'expérience simultanée d'une spectaculaire libéralisation politique et de formidables poussées de violence sociale. La transition modèle a vite tourné au cauchemar. Est-ce à dire que le pays s'engage dans la voie d'une « régression », d'un « retour à la sauvagerie », comme on l'entend parfois dire? En réalité, la société indonésienne n'a peut-être jamais été aussi politisée qu'aujourd'hui. Dans les provinces, les régions, les villages, de nouvelles formes d'action collective se dessinent et des débats font rage, qui souvent culminent dans le conflit. Les pratiques de l'invisible sont un puissant révélateur de l'envers du décor de la transition, et notamment de la violence du pouvoir. Elles ont une signification éminemment politique. Les accusations de sorcellerie permettent au « petit peuple » des faubourgs et des hameaux d'obliger un notable à faire amende honorable de son arrogance, voire de ses exactions. A Jakarta même, dans les couloirs du palais présidentiel et les bureaux des partis politiques, mages, sorciers et devins renommés font office d'éminences grises pour les dirigeants.
L'invisible est omniprésent dans l'Indonésie de la Reformasi. Mais le répertoire mystique du politique est un langage secret, marqué du sceau de l'insinuation et du sous-entendu. En le décodant, en décrivant les manières spécifiques de vivre et de dire le pouvoir à Java, cet essai propose une lecture originale de la Réforme indonésienne, à un moment où l'actualité internationale fait se tourner les regards vers l'archipel. Il revêt aussi une portée comparative en fournissant une méthode de substitution à la « transitologie », cette science décriée des transitions démocratiques.
ISBN : 978-2-84586-637-2

A la recherche de la démocratie. Mélanges offerts à Guy Hermet
sous la direction de Javier Santiso

Ancien directeur du CERI, spécialiste internationalement reconnu de l'Espagne et de l'Amérique latine, Guy Hermet est aussi l'un des fondateurs de l'école française du comparatisme. Ses travaux sur les situations autoritaires et les colloques qu'ils ont inspirés ont marqué la science politique et ont eu un vrai retentissement à l'étranger. Il s'est ensuite consacré à l'analyse critique de la formation de la démocratie, à la faveur de la « troisième vague » d'expansion de celle-ci dans l'ensemble du monde. Ce qui l'a naturellement conduit à se pencher sur le phénomène du populisme.
Volontiers ironique à l'encontre des « amis excessifs de la démocratie », Guy Hermet a développé une pensée du paradoxe, libre, souvent dérangeante, mais toujours érudite. Celle-ci a inspiré une génération de chercheurs qui lui rend aujourd'hui hommage.
ISBN : 978-2-84586-577-5

Sur la piste des OPNI (Objets politiques non identifiés)
sous la direction de Denis-Constant Martin

Evoquer des « objets politiques non identifiés » ne relève pas simplement du jeu de mots. Derrière le calembour se profile une approche des phénomènes politiques qui s'intéresse d'abord aux représentations que les citoyens se font des systèmes dans lesquels ils vivent et doivent agir. Comment les pensent-ils, où s'y situent-ils, que croient-ils possible et désirable d'y entreprendre? Répondre à ces questions impose d'imaginer de nouvelles manières d'entrer dans le politique vécu, d'ouvrir des portillons dérobés auxquels ne mènent pas toujours les chemins battus de la politologie. Les représentations sociales sont difficiles à saisir. Elles recèlent une part de symbolique et d'imaginaire qui ne se livre pas directement. Le langage ordinaire tend à en araser les ambivalences et les contradictions, d'autant plus que celles-ci renvoient à des sentiments troublants du pouvoir. Pour mieux appréhender les représentations du politique, cet ouvrage propose donc d'étudier quelques « OPNI» : la rue, la peinture, la littérature, la fête, la bande dessinée, la musique, la chanson populaire, le cinéma, le sport, la chasse et la cuisine.
ISBN : 978-2-84586-288-1

La politique de Babel. Du monolinguisme d'Etat au plurilinguisme des peuples
sous la direction de Denis Lacorne et Tony Judt

Débat classique que celui des relations entre langue et politique. Il est de longue date au cœur de la réflexion sur le nationalisme. Il se trouve aujourd'hui relancé par la revendication du multiculturalisme ou au contraire la défense de la citoyenneté « républicaine », par les conflits identitaires, par la construction de l'Union européenne, par le développement d'internet. En France c'est la question corse qui le place au centre de l'affrontement électoral. Mais il est peu d'États au monde où le problème de la langue ne se pose pas en termes politiques. Qu'il s'agisse d'États monolingues, hégémoniques et arrogants, comme le furent les constructeurs de la tour décrits dans la Genèse, ou d'États bilingues, voire multilingues, semblables aux nations dispersées par la colère de Dieu, après la destruction de Babel.
À une époque où l'anglais est en passe de devenir la langue véhiculaire des pays de l'Union, sans qu'il y ait jamais eu de politique linguistique européenne clairement formulée, il est important de s'interroger sur la signification même d'une langue dominante, sur les phénomènes complexes de naissance, de déclin, de renaissance linguistique, sur les conditions historiques et les facteurs socio-économiques qui favorisent tantôt des situations d'hégémonie linguistique, favorables au monolinguisme, tantôt des situations de pluralité linguistique, débouchant sur des formes stables de bilinguisme ou de multilinguisme. Voyage à l'ombre de Babel, en France, en Californie, au Canada, en Belgique, en Suisse, en Israël, en Ukraine, en Lituanie, en Biélorussie, dans l'ancienne Yougoslavie... et dans le virtuel.
ISBN : 978-2-84586-240-7

Architecture, pouvoir et dissidence au Cameroun
par Dominique Malaquais

L'architecture est un phénomène politique. Au vu de monuments tels que le palais du Roi-Soleil à Versailles, cela semble aller de soi dans le contexte de grands Etats. Mais il n'est pas nécessaire qu'un site ou un bâtiment existe pour qu'il soit opératoire : il peut n'être qu'imaginaire, à l'instar de la première mosquée de Médine, qui n'a jamais été construite. En outre les sociétés étrangères à la tradition de centralisation politique n'ignorent pas que le pouvoir se construit, au sens littéral du terme. Ainsi, en pays bamiléké, au Cameroun, l'environnement bâti joue un rôle capital dans la constitution de systèmes juridiques, d'institutions religieuses et d'entités sociales privilégiant une minorité d'aînés aux dépens d'une majorité de cadets et de femmes. En bref, il est l'un des instruments clefs de la domination d'une élite dirigeante, mais aussi de l'articulation de l'identité individuelle.
Dans le même temps l'architecture bamiléké est le lieu de démarches subversives et de contre-récits qui ont culminé dans la violence des années cinquante. L'analyse du bâti comme appareil de domination conduit à la compréhension de la dissidence. Ce n'est pas le moindre mérite de cet ouvrage que d'apporter un éclairage inédit sur l'une des rébellions les plus importantes et pourtant les moins étudiées de l'Afrique subsaharienne : celle de l'UPC dans l'ouest du Cameroun, à l'aube de son indépendance. L'appréhension de la culture matérielle est nécessaire à celle du nationalisme et de la lutte contre l'inégalité.
ISBN : 978-2-84586-231-9

2000

La politique des favelas
par Camille Goirand

Construites de bric et de broc sur les collines qui surplombent l'Atlantique, les favelas abritent un tiers de la population de Rio de Janeiro. A la fois produit et facteur d'exclusion sociale, loin du folklore carnavalesque, les favelas font l'objet de représentations contradictoires. Certains imaginent qu'elles abritent une société hors normes peuplée de criminels. D'autres préfèrent admirer le courage de cette population laborieuse, opprimée mais gaie. Entre insalubrité, marginalité et violence, la favela fascine, repousse ou terrorise. D'où les convoitises des hommes politiques en campagne, avides d'y faire le plein de voix. Depuis le début des années 1980 et le retrait des militaires du pouvoir à Brasilia, les habitants des favelas se réunissent dans des organisations de quartier pour défendre leur droit à des conditions de vie meilleures, demander leur intégration sociale et imposer la reconnaissance de leur dignité humaine. Les plus pauvres ont fait leur entrée en politique. Comment voient-ils la démocratie ? Comment font-ils de la politique ? Cet ouvrage, fruit d'une longue enquête menée à Rio, donne la parole aux habitants des favelas.
ISBN : 978-2-84586-123-0

La révolution afghane
par Gilles Dorronsoro

Depuis plus de vingt ans, l'Afghanistan est plongé dans une interminable guerre civile. Au coup d'Etat communiste de 1978 et à la violence des jeunes élites urbaines a répondu la révolte de la société, mobilisée au nom du jihâd contre un gouvernement athée et, bientôt, contre l'occupant soviétique. Des centaines de "commandants" à la tête de groupes de combattants mènent alors la lutte contre le pouvoir soviéto-afghan. Le retrait soviétique, achevé en 1989, puis l'effondrement du régime communiste n'ont pas ramené la paix. La guerre a désormais pour enjeu la rédéfinition et le contrôle du pouvoir central.
Loin des habituels lieux communs sur les "guerres ethniques", ce livre a pour but de montrer comment une société essentiellement rurale et non industrielle a connu une mutation accélérée dans et par la guerre. En particulier, l'échec des projets modernistes - communiste et islamique - a permis l'émergence, en 1994, du mouvement des Tâlebân, qui ont su capitaliser la lassitude de la population pour instaurer un Etat fondamentaliste dominé par les religieux. Le nouveau pouvoir, par un illusoire retour au passé, tente aujourd'hui d'imposer un ordre moral puritain à une société rétive, donnant une forme inédite aux processus de modernisation qui, inéluctablement, s'affirment.

ISBN : 978-2-84586-043-9

Démocraties d'ailleurs
sous la direction de Christophe Jaffrelot

L'Occident n'a pas le monopole de la démocratie. On ne l'ignore plus depuis la "troisième vague" qui a atteint les rivages de l'Amérique latine, de l'Asie et de l'Afrique au cours des deux dernières décennies. Mais ces continents abritaient déjà de vénérables démocraties, héritages paradoxaux du colonialisme ou d'efforts de modernisation remontant au XIXe siècle. Produits hybrides des stratégies des élites indigènes et de la rencontre avec l'Occident, ces greffes précoces ont finalement inventé un idiome démocratique.
La "troisième vague" renoue depuis les années 1970 avec cette tradition, déroulant sous nos yeux les mêmes processus de métissage politique. On a souvent analysé ces passages à la démocratie comme le résultat de négociations au sommet et de "pactes" conclus entre les caciques de régimes autoritaires finissants et leurs opposants. C'est faire peu de cas des sociétés qui entourent ces élites et de leur politisation croissante. Une telle myopie n'aura pas permis aux "transitologues" de prévoir les obstacles que rencontrent aujourd'hui les processus de consolidation démocratique. La "troisième vague" est étale, quand elle n'amorce pas un reflux.
L'impact des facteurs externes sur ces mouvements est trop souvent exagéré. La conditionnalité démocratique chère aux bailleurs de fonds est un leurre. En pratique, la démocratie ne s'enracine qu'à partir du moment où les dynamiques du dedans et celles du dehors sont en phase

ISBN : 978-2-86537-970-1

1999

La privatisation des États
sous la direction de Béatrice Hibou

Dans le monde entier, la privatisation est à l'ordre du jour. Elle se trouve au coeur des programmes de gouvernement ou d'aide économique. Elle tient à la fois de l'objectif, du slogan, du fétiche. Mais de quoi parle-t-on ? De la privatisation des entreprises et des services publics, certes. Mais ce mouvement s'étend désormais aux fonctions régaliennes traditionnelles de l'Etat : le fisc, les douanes, la sécurité intérieure, la Défense nationale, les négociations de paix. Le plus souvent, ce processus protéiforme est associé à la crise et au déclin de l'Etat. Mais on peut y voir au contraire le redéploiement de celui-ci. L'exercice du pouvoir étatique, loin de dépérir, se recompose et procède par délégation, par "décharge" disait Max Weber. Il s'agit moins de l'effacement de l'Etat sous l'action inédite de la globalisation que de la fermeture d'une parenthèse : celle de la période, très brève, de l'Etat-développeur et de son dirigisme. En outre, la privatisation de l'Etat et la libéralisation des économies empruntent des modalités et revêtent des significations différentes d'une situation historique à l'autre.
A partir des exemples de la Russie, de la Pologne, de la Chine, de Taiwan, de l'Indonésie, du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne, cet ouvrage exigeant renouvelle l'analyse de l'une des tendances les plus importantes du monde contemporain. Il constitue un puissant antidote aux vulgates de droite et de gauche qui, en la matière, tiennent lieu de prêt-à-penser.

ISBN : 978-2-86537-948-5

1998

Trajectoires chinoises. Taiwan, Hong Kong et Pékin
par Françoise Mengin

Une ou plusieurs Chine ? Derrière la politique de réunification nationale engagée par Pékin et la reprise des échanges inter-chinois, il y a les trajectoires singulières de Taiwan et de Hong Kong qui feront durablement obstacle à toute uniformisation de cet espace, quelle que soit la force du mouvement irrédentiste. Ces trajectoires ont d'ailleurs été souvent faites d'emprunts en provenance du continent, mais aussi d'hybridations multiples. Inversement, la Chine postmaoïste s'est nourrie de l'expérience des Chine périphériques, sans qu'il y ait toutefois convergence des diverses trajectoires. Bien plus, l'intégration économique croissante des marches insulaires aux provinces méridionales du continent a correspondu à des processus d'autonomisation de chacune de ces entités.
Dès lors, face à un système riche à la fois d'interactions et de contradictions, il ne s'agit pas de raisonner en termes d'alternative, mais de mettre en évidence l'articulation de logiques apparemment antinomiques.

ISBN : 978-2-86537-861-6

Etre moderne en Iran
par Fariba Adelkhah

L'élection de Mohammed Khatami à la présidence de la République, la perspective d'une reprise du dialogue entre Téhéran et Washington, les manifestations de liesse populaire qui ont salué les derniers scrutins ou la qualification de l'équipe de football pour le Mundial ont mis en pleine lumière un visage méconnu de l'Iran postrévolutionnaire. La société est vivante, diversifiée et autonome par rapport au régime. Mais elle est aussi en interaction permanente avec ses institutions. Une société civile aux prises avec un Etat totalitaire ? On assiste plutôt à la formation d'un espace public, que véhiculent de multiples pratiques religieuses, sportives, consuméristes, économiques et politiques. En témoigne notamment la recomposition d'un style de vie, celui de l'homme intègre, qui se veut désormais un "être-en-société". A travers le cas iranien, cet essai renouvelle tout le débat sur l'islam politique, mais aussi sur la transition démocratique et sa relation avec le changement social.

ISBN : 978-2-86537-833-0

La guerre civile en Algérie, 1990-1998
par Luis Martinez

Phare du Tiers Monde sous le leadership de Houari Boumediène, laboratoire de la transition démocratique après les émeutes de 1988, l'Algérie a sombré dans la guerre civile à la suite de l'annulation des élections législatives de décembre 1991. La cause serait entendue : l'islamisme serait le principal responsable de cette tragédie. Mais en réalité les ressorts de la violence, dont la pratique est souvent vécue comme une vertu, relèvent d'un imaginaire social et historique de la guerre.
Sous couvert du djihâd, les bandes armées se réclamant de l'islam cherchent à accaparer des positions de pouvoir et d'accumulation. L'armée, quant à elle, instrumentalise la violence pour maintenir son hégémonie et conforter sa légitimité, notamment internationale, en se posant comme garante de la "laïcité" contre la menace "intégriste". Les deux camps sont des ennemis complémentaires. Et l'économie politique de la guerre civile s'inscrit dans la continuité de celle du beylicat ottoman, de la conquête et de l'occupation françaises, de la lutte de libération nationale. Plutôt que des "fous de Dieu", les "émirs" du GIA ne sont-ils pas en définitive les héritiers des pirates de la Course, des caïds de la colonisation ou des "colonels" de l'ALN ?

ISBN : 978-2-86537-832-2

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