Critique internationale - Sommaire

C’est un regard comparatif qui est porté ici sur les réalités contemporaines du patriotisme dans différentes aires géographiques et politiques. Au Canada, en Turquie, en Russie et en Chine, le patriotisme constitue aujourd’hui une référence légitime pour les gouvernants comme pour la société. Dès lors, quelles sont les pratiques sociales qui l’accompagnent ? Et que signifie être patriote dans chacun de ces pays ? Une sociologie du « patriotisme par le bas » permet de répondre à ces questions et de montrer que ce phénomène est compris et vécu de façons tellement différentes selon les situations qu’il conviendrait plutôt de parler de « patriotismes » pour rendre compte de la pluralité des références alimentant autant de rapports à l’État et au politique.

Le phénomène de l’« Autoroute des héros » est l’expression d’un patriotisme construit par les citoyens en réponse à la participation du Canada à la guerre en Afghanistan. En rendant hommage aux soldats morts à la guerre lors du passage sur l’autoroute des convois mortuaires, les citoyens remettent en question les représentations de la nation canadienne. Cette mise en scène d’un « patriotisme par le bas » bat en brèche les discours étatiques sur le patriotisme qui ont prédominé au Canada hors Québec ces cinquante dernières années. Récemment, l’État canadien a adopté cette version du patriotisme par divers actes symboliques qui démontrent que le « patriotisme par le bas » peut influencer les discours étatiques officiels en la matière.

Les attachements patriotiques qui s'expriment dans l'espace de « dispute » que constitue la blogosphère russe sont pluriels. Dans la mesure où ils peuvent être pris comme un observatoire privilégié de l'évolution du rapport entre gouvernants et gouvernés dans la Russie actuelle, la coexistence d'argumentations qui qualifient l'amour de la patrie tantôt d'impossible, tantôt d'impératif amène à poser deux questions centrales : à quoi s'adossent les résistances au « patriotisme par le haut » et autour de quoi se reconstituent les « patriotismes par le bas » ? Une attention particulière est portée ici aux traits qui vont à rebours du cliché d'une fusion entre l’État et la société : la déclinaison domestique-intimiste des sentiments patriotiques et leur dimension egocentrée, qui esquissent un nouveau sujet souverain et témoignent d'une inflexion de la culture politique. Celle-ci se manifeste notamment par l'émergence d'un patriotisme critique comme en témoignent les mobilisations contre les fraudes électorales de l'hiver 2011-2012.

Dès lors que l’objectif du chercheur est de tenir ensemble les déterminations liées aux logiques d’action « nationales » et « internationales », l’analyse de la politique étrangère soulève un certain nombre de questions. Dans le domaine des pratiques diplomatiques françaises structurées au milieu des années 1970 autour de l’enjeu apparent des exportations nucléaires, la consultation des archives et la conduite d’entretiens permettent de mettre en évidence le fait que les différents acteurs impliqués dans cette politique ne jouent pas nécessairement au même « double jeu » du national et de l’international. Si les rapports que les États entretiennent entre eux façonnent ce qu’ils sont et ce qu’ils font, les différents effets de réfraction à l’œuvre au niveau interne empêchent de parler d’un État pris uniformément dans un espace de compétition.

L’étude de la participation des responsables du syndicat agricole Samoobrona aux élections législatives polonaises de 1993 permet de s’interroger sur les modalités de l’investissement de l’arène électorale par des « nouveaux venus » extérieurs aux forces politiques établies. Alors que les règles régissant la compétition paraissent encore imparfaitement déterminées, ces syndicalistes plus rompus aux manifestations paysannes qu’aux joutes électorales s’attachent à élaborer et à promouvoir une offre originale et mobilisatrice. Loin d’être réductible à sa seule dimension stratégique, cette entreprise s’apparente à un « bricolage » par lequel ils tentent de concilier atypisme revendiqué et contraintes de rôle de candidats à une élection. Ce double jeu entre démarcation et adaptation se révèle toutefois particulièrement délicat pour des acteurs largement dépourvus des ressources qui tendent à devenir dominantes dans la Pologne postcommuniste. Peinant à contrôler la dynamique de leur campagne, les responsables de Samoobrona se retrouvent finalement incapables de redéfinir en leur faveur les rapports de représentation et de transformer leur groupement en entreprise politique pérenne.

Sébastien Chauvin, Les agences de la précarité : journaliers à Chicago, Paris, Le Seuil, 2010, 339 pages.

Charles L. Glaser, Rational Theory of International Politics: The Logic of Competition and Cooperation, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2010, XI-314 pages.

Andrew J. Diamond, Mean Streets: Chicago Youths and the Everyday Struggle for Empowerment in the Multiracial City 1908-1969,  Berkeley, University of California Press, 2009, XIII-396 page