Avant, pendant et au-delà de Donald Trump. Le chaos du Covid-19 aux États-Unis

18/06/2020

À la fin du mois de mai 2020, plus de 100 000 Américains avaient succombé à l’épidémie de Covid-19 et les États Unis représentaient alors 30% des cas enregistrés dans le monde, un chiffre dont la croissance se poursuit. L’économie américaine était en ruine, les producteurs agricoles déversaient leur lait dans les canalisations, ils tuaient le bétail et laissaient les récoltes pourrir au sol du fait de la baisse de la demande et des retards dans les transports. Pendant ce temps, les supermarchés étaient sous-approvisionnés. Les Américains, souvent par milliers, ont attendu pour recevoir des colis distribués par des banques alimentaires. Partant d’un taux très faible (3,5%), le chômage a explosé et affecte désormais environ 25% de la population active. Le nombre de personnes qui ont demandé une aide au gouvernement n’a pas encore été comptabilisé de manière fiable. Une seconde vague de contamination, qui a démarré en Arkansas, se manifeste désormais dans une vingtaine d’Etats où les autorités locales ont décidé de « rouvrir » l’économie en levant certaines restrictions. Les manifestations nationales consécutives à la mort de George Floyd depuis le début du mois de juin pourraient aggraver l’épidémie. 

Mis à l’épreuve par cette crise historique, le président Trump et son entourage politique se sont révélés incapables de réagir de façon efficace. L’administration a coupé les réserves d’équipements de protection (Personal Protective Equipment, PPE), tandis que Donald Trump a refusé de montrer l’exemple, apparaissant sans masque de protection. Il s’est d’ailleurs moqué de Joe Biden, son principal rival à l’élection présidentielle du mois de novembre prochain, qui portait un masque. En parallèle, on a clairement pu constater le manque d’expérience des hauts fonctionnaires de l’administration dans l’utilisation des mécanismes de gouvernance. L’organisation des dispositifs de santé publique, dont les tests, a été abandonnée par le gouvernement fédéral et laissé à la seule charge des responsables au niveau des États fédérés et des localités. 

Trump s’est alors concentré sur deux thèmes. Le premier est la revendication des « succès » de son administration dont certaines décisions « précoces » (telle que l’interruption des vols en provenance d’Europe et de Chine vers les Etats-Unis) auraient sauvé de nombreuses vies. Les propos du haut conseiller à la présidence Jared Kushner qualifiant à la fin du mois d’avril de success story la réponse de l’administration  à la pandémie alors que les Etats-Unis comptaient un million de cas de Covid-19 confirmés et 60 000 morts  restera certainement comme l’un des pires épisodes de la crise sanitaire. Cette trajectoire s’accompagne d’une autre prétendue « réussite » : l’efficacité du président américain dans la réouverture de l’économie américaine qu’il a réussi à obtenir, de façon coercitive ou par flatterie des gouverneurs des États. 

Refuser tout responsabilité en rejetant la faute sur d’autres, une stratégie dont Donald Trump fait usage de manière continue depuis 2015, constitue le deuxième thème majeur du discours présidentiel. Les Chinois et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont, selon lui, les responsables de la crise. Certains gouverneurs libéraux ont  été successivement blâmés pour leur incapacité à garantir un nombre suffisant de matériel de protection à leurs populations, puis pour leur incapacité à administrer des tests qui, selon le président étaient inutiles. Et enfin pour avoir saboté toute reprise économique avant l’élection présidentielle de novembre prochain en levant trop lentement les restrictions sur l’activité des entreprises et des commerces. Anthony Fauci, directeur de longue date de l’Institut national des maladies infectieuses et des allergies (National Institute of Allergy and Infectious Diseases) de la National Institute of Health considéré comme la personnalité la plus fiable par l’opinion publique américaine n’a pas non plus été épargné et a été la cible des attaques du président Trump. 

Le monde entier était responsable de tout ce qui ne fonctionnait pas, à l’exception du président et de son entourage politique. Faisant fi des meilleurs avis médicaux, Donald Trump n’a cessé de prôner la prise préventive d’hydroxychloroquine, vendue sous le nom de Plaquenil par l’entreprise pharmaceutique française Sanofi, au sein de laquelle le président détient un « petit intérêt financier »1

Miami Downtown, FL, 31 mai 2020 : Un homme manifeste contre le président Donald Trump. Copyright: Shutterstock


Des réponses politiques imparfaites 

Il est aisé – et compréhensible – d’imputer la gravité de la crise à l’incompétence, à la négligence et à l’égocentrisme politique de l’administration Trump qui reste néanmoins convaincant pour 42% des Américains2.
Les Etats-Unis disposent d’une structure gouvernementale censée répondre aux urgences de santé publique. Al Mauroni, directeur de l’U.S. Air Force Center for Strategic Deterrence Studies, la présente de la façon suivante :

Le Congrès a désigné le secrétariat d’Etat à la Santé et aux Services sociaux, par le biais de la loi sur le service de santé publique [Public Health Service Act], pour diriger la réponse fédérale aux urgences de santé publique. Sous la juridiction de ce département, l'Institut national de la santé [National Institute of Health] supervise l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses [National Institute of Allergy and Infectious Diseases], qui dispose d’un plan stratégique pour la recherche sur le Covid-19. Le secrétaire adjoint à la préparation et à l’intervention, également du ministère de la Santé et des Services sociaux, supervise l’Autorité pour la recherche et le développement biomédical avancés [Biomedical Advanced Research and Development Authority - BARDA]. Depuis 2004, cette agence est responsable du développement et de la fourniture de contre-mesures médicales pour les menaces de santé publique, y compris les maladies infectieuses émergentes, et de leur intégration dans les réserves nationales stratégiques3

Or cette infrastructure organisationnelle - fondée davantage sur le principe de santé publique que sur celui de la sécurité nationale - a été négligée et largement mise de côté par l’administration Trump depuis l’accession de ce dernier à la tête de l’Etat en 2016.Comme l’a récemment souligné dans un webinaire du Belfer Center, Tara O’Toole, sous-secrétaire du Homeland Security pour la science et la technologie sous l’administration Obama, il n’existe aucun dialogue entre les personnes en charge de la santé publique et celles qui s’occupent du renseignement.

Le fossé qui existe entre santé publique et sécurité nationale a été encore élargi par la décision prise par l’administration Trump de fermer les départements du National Security Council (NSC) en charge des pandémies4. L’ancien ambassadeur aux Nations unies et conseiller à la sécurité nationale John Bolton a indiqué qu’il s’agissait simplement d’une question de « rationalisation bureaucratique »5. Pour d'autres, il était question d’une « réorganisation nécessaire »6. Cette fermeture était la chose la plus visible ; en effet, l’administration avait auparavant écarté le plan de réponse aux pandémies, de 65 pages, élaboré par l’administration Obama7. En outre, décision avait été prise de réduire de 75% le budget de PREDICT, le système de surveillance des maladies infectieuses d’USAID8. Anthony Fauci est pour sa part devenu le souffre-douleur du président et le Center for Disease Control, historiquement considéré comme un leader mondial dans la lutte contre les maladies infectieuses, a été largement ignoré par une administration qui s’est tourné vers le secteur privé pour trouver des solutions (médicaments ou vaccin)9

Les rues vides de New York City lors du confinement. Copyright: Shutterstock


Trump et le reste du monde 

Si sa gestion de la crise a été mauvaise au niveau national, Trump ne s’est pas non plus illustré dans ses relations avec les dirigeants étrangers. Il s’est d'abord attelé à dresser la liste des manquements de plusieurs États, dont la Chine, les États membres de l’Union européenne, l’UE elle-même et, plus récemment, le Brésil. La décision de fermer partiellement les frontières a eu peu d’effets positifs, notamment en raison de la date tardive à laquelle les restrictions à l’entrée sur le territoire américain ont été mises en œuvre. De plus, beaucoup de personnes ont pu en être exemptées et les Américains revenant de l’étranger n’ont pas fait l’objet de tests à leur retour. La conséquence directe des déclarations de Trump et des mesures prises par son administration a été la colère des dirigeants étrangers. Une réponse nationaliste a été apportée à la pandémie qui demandait une réponse multilatérale. Les États-Unis se sont enfermés dans une stratégie isolationniste en poursuivant en solitaire la lutte pour l'accès aux équipements de protection et  la mise au point de médicaments ou d’un vaccin. Le pays  a même essayé de s’octroyer le droit de propriété sur tout médicament créé par la société française Sanofi10… 

Donald Trump s’est à plusieurs reprises attaqué à l’OMS et a dénoncé « l’asservissement » de l’organisation à la Chine qui, selon lui, aurait volontairement trompé le monde  en minimisant l’ampleur de l’épidémie à Wuhan. Pourtant, les États Unis ont toujours été le principal contributeur de l’OMS qu’ils ont financée dès sa création, dans le cadre d’un processus de construction d’institutions internationales post-Seconde Guerre mondiale11. La décision de l’administration de geler le financement puis de cesser toute relation avec l’organisation a eu pour  conséquence immédiate de laisser vacant le leadership mondial en matière de santé publique – une place qui, selon les commentateurs, devrait être occupée par la Chine… 


Trump est-il le seul à blâmer ? 
 

La liste des échecs de l’administration Trump au niveau national comme international pourrait être encore plus longue. Lorsque des historiens travailleront sur notre époque, la gestion de la crise sanitaire par le Président ne sera sans doute pas très flatteuse. 

Cependant, il serait erroné d’imputer à l’administration Trump l’entière responsabilité de cette dernière, qualifiée par l’ex-président Barack Obama de « désastre chaotique absolu »12. Ici encore, comme pour de nombreux événements de ces quatre dernières années, Donald Trump est à la fois la cause et le symptôme de la façon dont les choses évoluent. 

Il existe plusieurs interprétations du concept de sécurité, notamment au sein des milieux académiques américains. Les universitaires travaillant dans le domaine de la sécurité nationale ont en effet longtemps minimisé l’importance de la sécurité humaine qu’ils considèrent comme marginale par rapport à leurs priorités, à savoir la guerre conventionnelle et nucléaire, et plus récemment la lutte contre le terrorisme, la guerre irrégulière et les cyberconflits. Si les questions liées à la sécurité humaine, comme la traite des êtres humains, ont été régulièrement évoquées dans les documents stratégiques nationaux, elles ne figurent pas parmi les priorités dans l'infrastructure de sécurité nationale. Quant à la santé publique, elle, est, elle, largement ignorée.

Ces différences d’appréciation sont encore plus visibles dans les débats universitaires sur la Grande Stratégie américaine. Le débat entre réalisme et libéralisme, toujours central, se concentre principalement sur des menaces « cinétiques » venues d’États (et occasionnellement de groupes comme Daesh) et auxquelles on peut apporter une réponse militaire. La question de la biosécurité a également fait l’objet de débat,  on s’est inquiété d’une éventuelle utilisation d’agents biologiques par des terroristes mais les choses ne sont pas allées très loin13.  

Deux types de menaces ont été ignorés : les menaces anthropiques, qui représentent les conséquences non souhaitées de l’activité humaine (par exemple le changement climatique) et  les menaces d’origine naturelle qui peuvent causer un très grand nombre de morts. Le Covid-19 en est un exemple. Le virus a causé plus de morts aux Etats Unis que les guerres de Corée et du Vietnam réunies.

Les différences d’appréciation des menaces caractérisent également les politiques publiques, avec pour effet un décalage entre les discours et les effets concrets sur le terrain. À la fin de la Première Guerre mondiale, les professionnels de la santé ont tiré des leçons de l’épidémie de grippe espagnole, qui aurait provoqué la mort d’environ 50 millions de personnes dans le monde, dont 675 000 Américains. Depuis l’apparition du SIDA dans les années 1980, les administrations successives ont pris de plus en plus conscience du danger que peuvent représenter les menaces d’origine naturelle (H1N1, SRAS, MERS et Ebola). De fait, le H1N1 a causé 12 469 décès aux États-Unis14. Si l’administration Reagan a été lente à réagir devant le virus du SIDA, ses successeurs se sont montrés davantage proactifs. George H.W. Bush a admis que le SIDA était une épidémie mondiale15 tandis qu’en 1996 le Président Clinton a mis en place une « politique nationale et des actions pour faire face à la menace des maladies infectieuses émergentes en améliorant les mesures de surveillance, de prévention et de réaction »16. Le président démocrate a même élargi l’action du Department of Defense (DoD) afin que figurent parmi ses missions « la surveillance, la formation, la recherche et la réponse globales aux menaces des maladies infectieuses émergentes »17. George W. Bush a quant à lui identifié la menace à la sécurité internationale que représentait le SIDA en mettant en place le President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) pour financer le traitement et la prévention dans les pays africains18. Enfin, le président Obama a fait de son pays le leader en matière prévention et de préparation face aux maladies infectieuses19. « L’Amérique est le leader mondial dans la lutte contre les pandémies, y compris le SIDA, et dans l’amélioration de la sécurité sanitaire globale20 » a affirmé le président qui, en 2015, a déployé 3 000 militaires en Afrique pour éradiquer la propagation du virus Ebola sur ce continent. 

Reste que cette rhétorique et les initiatives qui ont été prises par la suite par Washington ont souvent eu des résultats politiques médiocres. La préparation aux pandémies a souvent été de l’ordre du symbolique : les réserves de PPE ont souvent été réduites (l’administration Trump a notamment approuvé la diminution des stocks), personne n’a pensé à maintenir ou à ressusciter la production nationale de respirateurs. De manière encore plus problématique, le lien entre sécurité sanitaire et sécurité nationale est resté ténu aux plus hauts niveaux du gouvernement. Le financement et les ressources allouées à la sécurité sanitaire ont par conséquent souvent été réduits à néant alors que dans le même temps le budget de la sécurité nationale augmentait. 

Rappel des règles de sécurité durant le confinement. Copyright: Shutterstock


Les perspectives

Contrairement à la plupart des Européens, les Américains croient profondément en la capacité de l’homme et de la technologie à dompter la nature. Cette croyance s’enracine dans l’histoire du pays : les colons ont traversé le pays et ils ont conquis les déserts de l’Ouest, la toundra gelée du nord du Midwest et les marais du sud du pays. Le sol californien est devenu une terre fertile pour l’agriculture américaine. Cette croyance appartient à la culture américaine. Le débat sur l’« immunité collective » n’a pas eu lieu aux États-Unis. Le confinement a été refusé par une grande partie de la population dans divers états et les Américains attendent qu’un traitement ou un vaccin soient disponibles contre le coronavirus ou bien que la météo estivale contribue à réduire le taux d’infection. En attendant ce moment, les personnes qui souhaitent rester chez elles peuvent le faire… Le taux de mortalité continuera de croître tant que les groupes pharmaceutiques ne proposeront pas de traitement.

Cependant, le principal préjudice subi par les Etats Unis est peut-être la perte de crédibilité sur la scène internationale. Le potentiel de bonne volonté parmi les alliés des États-Unis a été largement épuisé par la saisie juridiquement contestable des fournitures de PPE par l'administration américaine, par son refus de contribuer financièrement aux efforts collectifs pour la mise au point d’un vaccin, par les accusations souvent injustifiées qu’elle a proférées et par des interdictions de voyage arbitraires. Bien qu’il soit prématuré d’affirmer que la Chine exerce désormais le leadership mondial, le discrédit des Etats Unis a eu pour conséquence de  consolider la position de Pékin dans certains domaines et auprès de certains États.

Une victoire de Joe Biden – réputé plus sensé, plus fiable et plus crédible que Trump –  à l’élection présidentielle de novembre prochain pourrait contribuer à restaurer la crédibilité des États-Unis auprès de leurs alliés. Celle-ci est en effet nécessaire pour faire face aux nombreux problèmes qui se posent à la planète, des pandémies au changement climatique, en passant par une catastrophe économique imminente et une éventuelle nouvelle agression russe dans l’Arctique, les pays baltes et l’Ukraine. Il faut beaucoup de temps pour construire une crédibilité, et peu de temps pour la détruire. 

L’Europe reviendra vers les Etats unis si Biden est élu en novembre prochain, mais plus par nécessité que par affinité. Si Trump devait l’emporter de nouveau – et il est permis d’en douter si l’on en croit les derniers sondages–, la pandémie de Covid-19 aurait alors été l’une des prémices de défis encore plus importants. 

Traduction par Miriam Périer.

Illustration principale : NEW YORK, NY-26 mars : Un homme en combinaison intégrale livre du matériel médical à l’hôpital Elmhurst pour affronter la pandémie de Covid-19, le 26 mars 2020. Quartier du Queens, New York City. Copyright: Shutterstock.

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