Penser une transition socio-écologique juste

Penser une transition socio-écologique juste

entretien avec Nathalie Blanc, novembre 2023
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Nathalie Blanc est directrice de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et directrice du Centre des Politiques de la Terre (né en 2019 d’une collaboration entre l’UPC, l’IPGP et Sciences Po). Elle a été directrice de l’UMR CNRS LADYSS (2014-2019) et est basée à l’Université Paris Cité sur le site de Paris Diderot.

Pionnière de l'écocritique en France, elle a publié et coordonné des programmes de recherche sur des domaines tels que la nature dans la ville, l'esthétique environnementale et les mobilisations environnementales. Membre fondateur du portail français des Humanités Environnementales, elle a également été, de 2011 à 2015, la déléguée française du réseau de recherche européen COST «Investigating cultural sustainability» et est ensuite déléguée du programme européen COST sur les nouveaux matérialismes «How Matter Matters» (2016-2019). Parmi ses projets de recherche récents figurent CAPADAPT Soutenir l’adaptation au changement climatique par le renforcement des capacitations citoyennes (ADEME-GICC 2017-2020) et le projet CIVIC ACT sur les croisements entre inégalités socio-environnementales et mobilisations collectives à l’échelle du Grand Paris (Université Paris Cité-Sciences Po), mené notamment au LIEPP. 
 
  • Le projet CIVICACT 2 met la question des inégalités socio-environnementales au coeur des réflexions sur la transition écologique. Pourquoi ?
Les inégalités sont le point de départ du modèle de développement et de consommation actuel, modèle de développement et de consommation qui devient problématique en ce qu’il épuise nos ressources.
Les inégalités créées par ce modèle sont très étudiées et on constate aujourd’hui qu’elles augmentent considérablement, notamment en France, mais les inégalités socio-environnementales qu’il engendre sont insuffisamment prises en compte. Il existe en France de nombreux indicateurs relatifs aux inégalités sociales, mais la manière dont les inégalités sociales et environnementales s'entremêlent n’est pas encore assez étudiée.
Or on sait d’ores et déjà que selon les classes sociales, l’impact du changement climatique ne sera pas le même, il est donc impératif d’interroger la question de la justice climatique et des inégalités face au changement climatique. 
Dans le projet CIVICACT 2, nous tentons d’apprécier la manière dont les inégalités socio-environnementales sont prises en compte par différentes mobilisations collectives qui luttent pour la justice et l’égalité dans le Grand Paris.

  • Pouvez-vous décrire le type d'actions collectives menées dans le Grand Paris en lien avec cette problématique ? Comment ont-elles évolué ? 
Du point de vue méthodologique nous avons fait le choix d’observer des communes riches et des communes pauvres qui ont été échantillonnées pour répondre à nos critères en matière de différences sociales et environnementales : des communes riches avec un environnement de qualité, beaucoup d’espaces verts, pas d’autoroutes au milieu des quartiers d’habitations et des communes pauvres sans espaces verts, dans un environnement pollué par les usines, par les transports...  
La question était de voir si les réponses en matière de mobilisations ou d’initiatives collectives prenaient en compte la diversité de ces contextes. De fait, ces différences sont largement intégrées : la majorité des mobilisations ont lieu dans les communes les plus pauvres mais aussi dans les communes ayant une culture politique de l’initiative et de la solidarité collective. 

Les actions menées dans ces communes ont évolué en deux sens : 
Les acteurs traditionnels du social comme Emmaüs, ATD Quart Monde, le Secours Populaire… décident depuis peu d’orienter leurs actions sur des problématiques liées à la transition écologique tel que la résilience énergétique, l’accès à une alimentation saine ou le recyclage.  Les associations traditionnellement environnementalistes évoluent également vers une meilleure intégration des problématiques sociales dans leur actions et leurs objectifs. Grâce à cette double évolution, la question des inégalités socio-environnementales est au cœur des préoccupations d’un grand nombre de mobilisations collectives en direction des classes populaires ; c’est assez nouveau en France. 

  • Ces formes d’actions sont-elles prises en compte par les pouvoirs publics ? 
Ces actions sont toujours prises en compte par les pouvoirs publics, que ce soit négativement ou positivement. 
Il existe dans certaines communes des interventions politiques qui peuvent impacter négativement ces initiatives. Par exemple à Clamart, un collectif environnementaliste s’est vu refuser le droit de siéger au forum des associations. A Aubervilliers, ville qui a récemment changé de couleur politique, des groupes environnementalistes ont été expulsés d’une épicerie solidaire… A l’inverse, les pouvoirs publics peuvent choisir de renforcer, d’accompagner ces initiatives. A Ivry-sur-Seine par exemple, l’expérience de l’Assemblée Citoyenne Climat a été initiée au sein de la municipalité et a reposé sur les initiatives des collectifs et des associations pour se structurer. C’était une véritable expérience de co-construction entre les initiatives citoyennes et les pouvoirs publics. Le contexte historique, économique, social et la couleur politique d’une commune ont un véritable impact sur ces initiatives.
Dans un cas comme dans l’autre, si l’on compare la situation actuelle à 2010 (date à laquelle nous avons commencé nos observations) on note une évolution certaine du lien entre politiques publiques et associations. Les pouvoirs publics reconnaissent que les associations fournissent un travail qu’ils ne seraient pas capables de fournir, que ce soit pour des raisons de personnel ou encore de compétences ou de maîtrise du sujet. Les politiques publiques environnementales ont aussi évolué : les pouvoirs publics sont rattrapés par l’urgence écologique, notamment suite à l’accélération des catastrophes naturelles liées au changement climatique (canicules, inondations…) et ont tendance à s’appuyer sur les associations, qui ont une capacité d’action et une réactivité que les administrations n’ont pas forcément. La question environnementale est une question urgente, qui demande des réponses concrètes, pensées rapidement. La temporalité impacte considérablement le lien entre initiatives populaires et pouvoirs publics, et les rend complémentaires. 

  • Dans CIVICACT 2 il est question d’une transition socio-écologique juste, comment conceptualisez-vous cette transition ?
Le projet CIVICACT 2 repose sur 4 notions : 
  • le pilier distributif, matérialisé par l'échantillonnage de 4 communes inégalement riches d’un point de vue social et environnemental 
  • la question de la reconnaissance, qui interroge la prise en compte de la diversité des identités locales par les politiques publiques 
  • la question procédurale (Quel type de processus participatifs sont utilisés ? Quelle force de l’association à la décision ? Quels acteurs sont associés à la création de ces politiques ?). 
  • la question des capabilités : Est-ce que les politiques publiques mises en place dans un lieu et un contexte donné fournissent l’opportunité aux citoyens et aux collectifs de développer leurs modes de vie d’une façon qui correspond à leurs besoins ?
La question des capabilités est celle qui est le moins prise en compte dans les réflexions sur la justice sociale en France. La notion de justice sociale est au cœur des préoccupations mais pas celle de la justice environnementale. Il y a un vrai retard de reconnaissance de cette problématique, alors que la justice sociale ne pourra être une réalité que si elle est pensée en lien avec la justice environnementale. 
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