Corinne Perraudin, Nadine Thévenot - Le travail dans la sous-traitance : plus pénible et plus dangereux

Corinne Perraudin, Nadine Thévenot - Le travail dans la sous-traitance : plus pénible et plus dangereux

Corinne Perraudin est économiste, maître de conférences au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) à l’Université de Paris 1. Ses travaux de recherche portent sur les pratiques d’établissements en matière d’organisation du travail et de gestion de l’emploi ainsi que sur leurs conséquences sur les conditions de travail des salariés.

 

Nadine Thèvenot est économiste, maître de conférences au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) à l’Université de Paris 1. Ses travaux de recherche portent sur les frontières du travail subordonné, l’éclatement des collectifs de travail et l’organisation du travail en sous-traitance.

 

Elles sont les auteures, avec Sophie Dessein, d’un rapport d’études pour la DARES sur les conditions de travail et la prévention des risques professionnels dans le travail en sous-traitance. Elles sont membres du Conseil d’orientation du Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (Gestes) dont les travaux s’inscrivent dans le champ du travail et de la santé au travail.

Le travail dans la sous-traitance : plus pénible et plus dangereux

Corinne Perraudin, Nadine Thévenot

La persistance des accidents du travail est révélatrice d’organisations du travail délétères alimentant la crise du travail. Les accidents du travail mortels racontés par Matthieu Lépine dans L’hécatombe invisible (2023) en sont une illustration récente. Divers travaux sectoriels, concernant le nucléaire (Thébaud-Mony, 2008), le bâtiment (Jounin, 2008) ou encore le nettoyage (Devetter et Valentin, 2021), et des travaux de nature quantitative (Perraudin, Thèvenot, Dessein, 2022) montrent depuis une dizaine d’années comment les entreprises, en sous-traitant, externalisent l’emploi et par là-même les risques associés au travail. Nous souhaitons ici rendre compte de la vulnérabilité particulière dont sont victimes les personnes relevant d’une organisation de travail en sous-traitance.

À partir de l’enquête Conditions de travail-Risques psychosociaux (CT-RPS) de la DARES, il est possible de rendre compte de la pénibilité et des accidents du travail auxquels font face les travailleurs de la sous-traitance. Après avoir qualifié le travail en sous-traitance comme un travail d’exécution externalisé, et quantifié son ampleur dans l’économie française, nous rendons compte de sa pénibilité ainsi que des accidents du travail qu’il produit : l’exposition aux risques physiques ainsi que la fréquence des accidents du travail sont plus importantes dans les établissements sous-traitants. Ces constats invitent à réfléchir aux politiques de prévention des risques professionnels et à la définition d’un cadre juridique conduisant à responsabiliser les donneurs d’ordres dans toutes les situations de sous-traitance, au-delà des seules situations de co-activité.

1. Le travail en sous-traitance : de quoi parle-t-on ?

D’après la définition donnée dans un avis rendu par le Conseil économique et social au début des années 1970, la sous-traitance peut être considérée comme une forme de mobilisation du travail sans responsabilité de l’emploi. En effet, parce qu’il s’agit d’une « opération par laquelle une entreprise confie à une autre le soin d’exécuter pour elle et selon un cahier des charges, une partie des actes de production dont elle conserve la responsabilité économique finale » (CES, avis du 21 Mars 1973), elle implique une mise au travail par un donneur d’ordres et la dépendance économique et monétaire du preneur d’ordres vis-à-vis de son ou ses donneurs d’ordres.

. Du travail externalisé, d’exécution, dans un collectif éclaté 

Le problème pour rendre compte de la sous-traitance comme d’une forme de mobilisation de travail à côté d’autres formes que sont les contrats de travail salarié ou le travail intérimaire, c’est que le travail mis en sous-traitance par les donneurs d’ordres n’est pas renseigné dans les données sur l’emploi en tant que tel car il ne constitue pas en France un « statut d’emploi » et ne relève pas du Code du travail. Dans les données sur l’emploi, les travailleurs de la sous-traitance sont en effet enregistrés, comme tous les autres, à partir du contrat de travail salarié signé avec l’entreprise qui les emploie, ici l’entreprise sous-traitante. Dans un travail réalisé à partir des Enquêtes annuelles d’entreprises (EAE) dans l’industrie française (Perraudin, Thèvenot et Valentin, 2013), nous avons fourni une estimation des dépenses de travail externe imputables au recours à la sous-traitance par les donneurs d’ordres sur la base d’un critère de la jurisprudence selon lequel au moins la moitié de leurs dépenses de sous-traitance, qui sont enregistrées au niveau comptable comme des dépenses de consommation intermédiaire, pouvaient être considérées comme des dépenses de travail : en moyenne par entreprise, au moins 10% des dépenses de travail relèvent d’un travail externalisé par la sous-traitance. Il s’agit donc d’un travail qui se substitue à l’emploi salarié direct des donneurs d’ordres.

Les donneurs d’ordres n’externalisent pas n’importe quel travail. En effet, la sous-traitance crée une hiérarchie interentreprises qui n’est pas neutre sur la structure des qualifications et des salaires. Dans un travail mené à partir de l’enquête REPONSE 2010 de la DARES (Perraudin, Petit, Thèvenot, Tinel et Valentin, 2014), nous avons montré qu’au niveau de l’économie entière, les preneurs d’ordres concentrent le travail d’exécution et la médiane des salaires par qualification y est significativement plus faible que chez les donneurs d’ordres.

Au total, ces travaux rendent compte du travail en sous-traitance comme d’un moyen de subordination et de contrôle de la main-d’œuvre pour le donneur d’ordres sans engagement de long terme et de responsabilité en droit. Du point de vue de l’organisation et du contenu du travail, le travail ainsi externalisé concerne davantage un travail d’exécution, moins bien rémunéré. Thomas Coutrot et Coralie Perez mentionnent également le peu de sens que les salariés des entreprises sous-traitantes trouvent à leur travail.

La mobilisation du travail par la sous-traitance a donc des enjeux directs pour la main-d’œuvre externalisée. Elle peut aussi avoir des conséquences pour la main-d’œuvre des donneurs d’ordres en raison de la désorganisation du travail et de la redéfinition des métiers qu’elle produit (Rousseau, Ruffier, 2016). Le rapport dit « Pompili » (2018) alerte, dans le même sens, sur les risques en matière de sécurité, et même de sureté, associés au recours massif à la sous-traitance sur les sites nucléaires. 

. Quelle ampleur du travail en sous-traitance ? 

Il n’existe pas de catégorie statistique du travail en sous-traitance. L’enquête CT-RPS de la DARES permet toutefois de repérer et quantifier les établissements relevant de la sous-traitance et l’éclatement des collectifs de travail à partir des informations données par les établissements. Il est alors possible d’identifier les établissements preneurs d’ordres (PO) et, parmi eux, ceux dont plus de la moitié du chiffre d’affaires dépend de commandes de donneurs d’ordres (PO+50). En 2019, 28% des établissements sont sous-traitants (et 7% le sont pour plus de la moitié de leur activité). Les salariés des sous-traitants, qui représentent également 28% de l’ensemble des salariés, relèvent du travail en sous-traitance (tableau 1).

Le travail en sous-traitance peut également être réalisé sur le site des donneurs d’ordres et participer à l’éclatement du collectif de travail des salariés des donneurs d’ordres. Cette situation est comparable (et souvent cumulée) à la présence de travailleurs intérimaires. Il s’agit dans les deux cas d’une forme de mobilisation de travail qui conduit les entreprises utilisatrices à contrôler une main-d’œuvre sans en être responsables en droit. Une question permet de disposer de l’information sur la présence (et le nombre) de travailleurs externes sur le site de l’établissement. Ces travailleurs externes sont, soit des salariés d’entreprises sous-traitantes intervenant sur le site du donneur d’ordres (pour son activité principale ou des activités annexes), soit des salariés intérimaires.

Nous avons construit des indicateurs permettant de rendre compte de la présence et de l’intensité du recours à la sous-traitance sur site et au travail intérimaire. Nous qualifions le recours à chacune de ces formes de travail externe d’ « intense » lorsque l’usage concerne plus de 5% de l’effectif salarié du donneur d’ordres. De ce point de vue, 10% des établissements ont recours à la sous-traitance sur site (et 7% de manière intense), et plus de 30% des établissements ont recours au travail intérimaire (24% de manière intense). Les salariés de ces établissements se trouvent ainsi en situation d’éclatement de leur collectif de travail par la présence de travailleurs externes sur leur site de production. La proportion de salariés concernés par l’éclatement de leur collectif de travail est loin d’être négligeable : 24% des salariés travaillent en présence de travailleurs de la sous-traitance sur leur site dont 13% avec une présence « intense », et 50% en présence de travailleurs intérimaires dont 30% avec une présence « intense » (Tableau 1). 

Enfin, une question de l’enquête CT-RPS posée aux salariés permet de repérer, non pas directement le travail en sous-traitance sur site, mais les salariés qui déclarent exercer leur travail sur le site d’un « client », qu’il s’agisse d’un chantier, d’une entreprise cliente, ou en tant qu’intérimaire. Ils sont plus de 10% en 2019.

 

Les secteurs les plus concernés sont l’industrie, la construction, les transports. Par ailleurs, ce sont les plus grands établissements qui pratiquent la sous-traitance sur site et recourent à l’intérim. En revanche, il n’y a pas d’effet taille concernant les preneurs d’ordres.

 2. Quels sont les risques associés au travail en sous-traitance ?

Si le recours à la sous-traitance conduit les donneurs d’ordres à externaliser le travail d’exécution, il s’agit alors d’évaluer la pénibilité et les accidents du travail qui lui sont associés.

Une exposition aux risques physiques aggravée dans les établissements sous-traitants

L’enquête CT-RPS recueille le point de vue des représentants de la direction des entreprises sur l’exposition de leurs salariés à huit risques professionnels, que sont la manutention manuelle de charges lourdes, les postures pénibles, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes, les bruits et vibrations, le travail de nuit, le travail en équipes alternantes et le travail à la chaîne ou répétitif.

Elle permet également de repérer, d’une part, les établissements preneurs d’ordres (PO), qui travaillent en sous-traitance pour un ou plusieurs clients donneurs d’ordres et, d’autre part, les établissements donneurs d’ordres qui recourent à la sous-traitance pour leur activité principale ou cœur de métier (DOAP). Nous construisons une « chaîne » de sous-traitance permettant de classer les établissements en quatre groupes : ceux qui ne sont que « donneur d’ordres pour leur activité principale » (DOAP), ceux qui ne sont que « preneur d’ordres » (PO), ceux qui relèvent de la sous-traitance en cascade en étant à la fois « preneur et donneur d’ordres pour leur activité principale » (PO-DOAP), et enfin ceux qui ne sont ni preneur ni donneur d’ordres pour leur activité principale (hors sous-traitance).

Le graphique 1 présente le pourcentage d’établissements concernés par une exposition répandue aux risques physiques selon leur position vis-à-vis de la sous-traitance en 2016. Ainsi, alors que 7% des DOAP déclarent que plus de la moitié de leurs salariés sont concernés par la manutention de charges lourdes, cela concerne 16% des PO et 15% PO-DOAP. L’exposition aux bruits importants (pour au moins 10% des salariés) est également davantage répandue parmi les sous-traitants (20% pour les PO et 18% pour les PO-DOAP) que pour les DOAP (12%), tout comme l’exposition aux températures extrêmes (17% des PO et PO-DOAP contre 13% des DOAP). Les postures pénibles apparaissent nettement plus répandues pour les PO (19%), un peu moins pour les PO-DOAP (13%) et nettement moins pour les DOAP (9%). Et le travail de nuit concerne essentiellement les PO puisque près d’un quart de ces établissements a au moins 10% de ses salariés qui travaillent de nuit (contre 11 à 15% des autres établissements). Pour tous ces risques hormis le travail à la chaîne, nous avons montré que les établissements preneurs d’ordres sont significativement plus nombreux que les donneurs d’ordres à déclarer que leurs salariés sont concernés de manière importante, au-delà notamment des effets sectoriels (Perraudin et Thèvenot, 2021).

 

La pénibilité du travail dans les entreprises sous-traitantes qui a fait l’objet de nombreuses enquêtes de terrain apparait ainsi également au niveau quantitatif et sur l’ensemble des secteurs de l’économie française. Le travail est plus pénible pour les salariés des sous-traitants que pour ceux des donneurs d’ordres. La mise au travail par la sous-traitance a ainsi conduit les donneurs d’ordres à externaliser le travail pénible.

. Des accidents du travail davantage répandus dans la sous-traitance

Les statistiques diffusées pour quantifier les accidents du travail sont celles issues des données de la Sécurité sociale qui permettent de rendre compte du nombre et de la fréquence des accidents reconnus et indemnisés par la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM), ayant engendré a minima un jour d’arrêt de travail (Inan, 2022). Si cette source permet d’informer sur la sinistralité des accidents du travail, elle passe de facto sous silence les accidents du travail bénins et ceux non-déclarés, que ce soit par méconnaissance des salariés ou du fait d’une pression exercée par l’employeur. Mais elle omet également les accidents du travail non-reconnus, les femmes étant tout particulièrement concernées (Daubas-Letourneux, 2021). L’enquête CT-RPS constitue une source permettant de contourner certains biais en matière de reconnaissance officielle des accidents du travail, désormais bien documentés. En effet, cette enquête permet de recueillir les réponses des salariés sur le nombre d’accidents du travail (hors accident de trajet domicile-travail) dont ils ont été victimes, indépendamment de la question de leur reconnaissance par la CPAM. L’hypothèse largement partagée est que ce questionnement limite les stratégies de sous-déclaration et permet de « visibiliser » des accidents du travail n’ayant pas conduit à des arrêts de travail. En revanche, une de ses limites est qu’elle ne renseigne pas les accidents les plus graves ayant conduit à un long arrêt de travail ainsi que les accidents mortels, puisqu’elle interroge des salariés en activité.

À partir des réponses des salariés à cette enquête, on peut calculer le pourcentage de salariés concernés par au moins un accident du travail dans leur emploi actuel, qu’il ait conduit à un arrêt de travail ou non, et le pourcentage de salariés concernés par au moins un accident du travail avec arrêt.

Le graphique 2 montre que les risques sont différents selon le type de contrat de travail : les salariés intérimaires ou en CDD sont bien davantage victimes d’accidents du travail que les salariés en CDI. En 2019, 15% des intérimaires déclarent avoir eu au moins un accident du travail dans les 12 derniers mois contre 10% des salariés en CDI. Les salariés travaillant habituellement à l’extérieur de leur établissement, sur le site d’un client, sont également davantage concernés par les accidents du travail (14%).

 

Mais au-delà du statut d’emploi, le travail dans les établissements de la sous-traitance apparait plus dangereux. Coutrot et Inan (2023) ont récemment indiqué que les accidents du travail sont plus fréquents chez les preneurs d’ordres employant en majorité des employés et des ouvriers. En adoptant notre manière de repérer le travail en sous-traitance, on observe entre 2013 et 2019 une tendance à la hausse de la présence d’accidents du travail pour les salariés des sous-traitants, que ce soient des PO ou des PO pour plus de 50% de leur CA (graphique 3). Le recours massif à la sous-traitance sur site et à l’intérim peut également constituer un risque de désorganisation du travail susceptible de produire davantage d’accidents du travail. C’est ce que l’on peut constater pour les salariés des établissements qui recourent de manière intense au travail intérimaire. Les salariés des établissements donneurs d’ordres ayant du travail en sous-traitance sur leur site sont quant à eux plus nombreux sur la période à être victimes d’accidents du travail, mais ils restent cependant moins concernés que les salariés des preneurs d’ordres.

Dans un travail en cours, nous avons évalué les facteurs déterminant le risque d’accident du travail pour un salarié. Au-delà des caractéristiques individuelles (les hommes, les jeunes, les ouvriers et les employés étant particulièrement touchés) et des effets sectoriels (l’hébergement et la restauration, le commerce, les transports et l’entreposage, l’enseignement, la santé et l’action sociale), le risque d’accident du travail est accru pour les salariés travaillant à l’extérieur de leur établissement (dont les intérimaires), pour les salariés des preneurs d’ordres pour plus de 50% de leur CA et pour les salariés des établissements ayant un recours intense à l’intérim (+5%).

3. L’insuffisante prévention des risques externalisés 

En recourant à la sous-traitance, les donneurs d’ordres ont externalisé le travail pénible et dangereux vers les sous-traitants. Les preneurs d’ordres mettent-ils en place une prévention dimensionnée aux risques professionnels accrus auxquels font face leurs salariés ? Est-ce à eux seuls de le faire ?

La présence de risques professionnels et d’accidents du travail accrus chez les sous-traitants pose la question des moyens et ressources dont disposent ces établissements pour mettre en place des politiques de prévention. Les obligations en la matière reviennent en effet aux employeurs. L’enquête CT-RPS renseigne les dispositifs de prévention des risques professionnels en interrogeant les représentants de la direction. L’éventail des mesures retenues dans l’enquête est relativement large, allant de ce qui relève des obligations légales telles que l’élaboration ou l’actualisation d’un document unique d’évaluation des risques (DUER) ou le respect de normes relatives aux équipements de protection individuelle (EPI), à la formation à la sécurité ou à des modifications de plus grande ampleur touchant à l’organisation du travail.

Selon nos travaux, lorsque les établissements font face à des risques professionnels, la mise en place d’une politique de prévention active (allant au-delà de la poursuite des actions antérieures) est plus fréquente pour les donneurs d’ordres que pour les preneurs d’ordres. De plus, les sous-traitants présentant des risques du travail disposent de moyens plus faibles, relativement aux donneurs d’ordres, pour impulser la mise en œuvre des actions de prévention et agir sur les conditions de travail. En effet, les représentants syndicaux et les comités en charge de la santé et de la sécurité au travail y sont relativement moins présents (Perraudin et Thèvenot, 2021).

Face à la pénibilité du travail et aux accidents du travail dans la sous-traitance, l’enjeu est de penser un cadre juridique prévoyant de responsabiliser les donneurs d’ordres, en particulier en étendant leur responsabilité à la prévention des risques externalisés et des accidents du travail (Barnier, 2021 ; Guillemy, 2009). C’était au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et c’est au Comité social et économique (CSE) depuis les Ordonnances de 2017, de procéder à l’analyse des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés des établissements. Or, la fusion des instances de représentation du personnel dans le CSE a produit un amoindrissement du rôle des comités en charge des questions de santé et sécurité au travail. Les « Commissions santé sécurité et conditions de travail » (CSSCT), obligatoires dans les seuls établissements de plus de 300 salariés (soit moins de 1% des établissements), peuvent être absentes dans les plus petits qui ne disposent alors plus d’instances dédiées aux questions de conditions de travail qui se trouvent diluées dans les thématiques du CSE (Farvaque coord., 2019).

En cas de sous-traitance sur site, la loi prévoit que les CSE des entreprises extérieures puissent être impliqués dans les dispositifs de coordination mis en place par les donneurs d’ordres en matière de prévention (dans le cadre d’une CSSCT élargie, ou d’un plan de prévention impliquant les sous-traitants) mais, rien n’est pensé pour la sous-traitance « en général » au-delà des situations de co-activité pour responsabiliser les donneurs d’ordres vis-à-vis des risques externalisés. Dans une recherche menée à partir de l’enquête REPONSE pour la DARES sur ce qu’on a appelé « l’entreprise éclatée » et le périmètre de la représentation collective (Thèvenot et al., 2023), il apparaît que la capacité des instances de représentation du personnel à « représenter » les salariés d’unités plus éloignées des lieux d’exercice du pouvoir se trouve largement mise en défaut. Le cadre juridique à définir doit ainsi permettre de réunir les conditions d’une action solidaire des représentants du personnel aptes à exercer un contre-pouvoir afin d’assurer la protection des collectifs de travail éclatés par la sous-traitance.

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Consultez les autres textes de la série "Que sait-on du travail ?"

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Références bibliographiques 

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Daubas-Letourneux Véronique (2021), Accidents du travail : des morts et des blessés invisibles, Bayard.

Devetter François-Xavier et Valentin Julie (2021), Deux millions de travailleurs et des poussières. L’avenir des emplois du nettoyage dans une société juste, Paris, Les Petits Matins.

Guillemy Nathalie (2009), « Sous-traitance et réglementation du travail », dans Héry Michel, La sous-traitance interne, EDP Sciences, INRS, p. 25-40.

Farvaque Nicolas (dir.) (2019), « Appropriation et mise en œuvre des ordonnances du 22 septembre 2017 réformant le droit du travail. Étude de terrain qualitative », Rapport d’Etudes, N°1 Dares, octobre.

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Jounin Nicolas (2008), Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, La Découverte, coll. « Textes à l’appui ».

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Thébaut-Mony Annie (2008), Travailler peut nuire gravement à votre santé, La Découverte, coll. « Poche ».

Thèvenot Nadine, Devetter François-Xavier, Geymond Maé, Perez Coralie, Perraudin Corinne et Valentin Julie (2023), « Face à l’éclatement des entreprises, une représentation collective mise en défaut : une analyse à partir de l’enquête REPONSE 2017 », Revue de l’IRES, N°107-108, mars.

  

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