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11.09.2024

Liza Baghioni, Nathalie Moncel - Le travail au temps de la « transition écologique »

Liza Baghioni est sociologue et anthropologue du travail au Département Travail Emploi et Professionnalisation (DTEP) au Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications (Céreq). Ses recherches portent sur la précarité de l’emploi, la pluriactivité, l’accompagnement des actifs, la « transition écologique » (en tant qu’objet des politiques publiques) et les transformations du travail. Elle a co-publié en 2022 « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental », Céreq BREF, n°423.


 

Nathalie Moncel est économiste du travail, responsable du Département Travail Emploi Professionnalisation (DTEP) au Centre d’Études et de Recherches sur les qualifications (Céreq). Ses recherches portent sur les transformations des systèmes de formation et d’emploi, les mutations du travail et les trajectoires d’insertion des jeunes.
Elle a co-publié en 2022 « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental », Céreq BREF, n°423, et « Normes environnementales : quels effets sur le travail et les formations ? », Céreq BREF n°432.


LE TRAVAIL AU TEMPS DE LA « TRANSITION ECOLOGIQUE » 

Liza Baghioni, Nathalie Moncel

Face à l’urgence climatique, « la transition écologique » tient le haut de l’affiche des politiques publiques et s’inscrit dans un renouvellement de la planification avec la mise en place en juillet 2022, auprès des services de la première ministre, d’un secrétariat général à la planification écologique (SGPE) sous la bannière « France Nation verte » qui vise une « mobilisation collective pour réaliser ensemble une transition écologique juste et efficace ». Au sein de cette organisation du processus de transition écologique, quelle est la place faite au travail ? Dans cet article, nous resituons d’abord les effets sur l’emploi tels qu’ils sont d’une part mesurés, et d’autre part anticipés, puis les transformations observées dans les métiers et les activités, et enfin les conditions d’une écologisation du travail visant une intégration systémique et systématique des préoccupations environnementales.

La nécessité d’engager les pays dans une transition énergétique et écologique fait désormais consensus et s’inscrit à l’agenda des politiques publiques d’emploi et de formation. En France, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, portant la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) qui, par décret, fixe les objectifs de réduction de consommation d’énergie et de développement d’énergies renouvelables, a marqué un tournant en ce sens, notamment en associant à cette programmation, un ensemble de plans et schémas nationaux dont le Plan de Programmation des Emplois et des Compétences (PPEC). En février 2019, est publié le rapport Parisot de préfiguration de ce PPEC afin d’examiner « à quelles conditions les politiques d’emploi, de formation et d’évolution professionnelle pourraient être en cohérence et en synergie avec les objectifs fixés par la transition énergétique et écologique » (p.6). Dans cette perspective, le rapport élargit la problématique d’une transition vue à l’aune des éco-activités et des métiers verts à une transformation globale de tous les métiers. À ce jour cependant, il n’existe toujours pas de PPEC opérationnel et élargi à l’ensemble des secteurs. Pour autant, plusieurs instruments de l’action publique sont déjà mobilisés, dont le Plan d’Investissement dans les Compétences 2018-2022 qui soutenait notamment les efforts de transformation des compétences et de qualification de la main d’œuvre en lien avec la transition écologique. De son côté, la loi « Climat et résilience », adoptée en août 2021, comporte un chapitre II intitulé "Adapter l’emploi à la transition écologique" qui promeut une évolution de la gouvernance de l’emploi à trois niveaux : l’entreprise via les CSE (art. 40-41), les régions via les CREFOP (art.42) et les branches et leurs opérateurs via les OPCO (art.43).

Sous l’égide de plusieurs producteurs de données et d’analyses (voir encadré), un travail est en cours à deux niveaux. Au niveau global, il convient d’appréhender les transformations du système d’emploi, les transferts et reconversions d’un secteur à l’autre ou à l’intérieur des secteurs. À un niveau plus fin, il s’agit de caractériser les transformations dans le cours des activités de travail impactées par la transition écologique et énergétique. 

Comment mesurer la transformation des emplois et des métiers à l’heure de la transition écologique ?

Le conseil national de la transition écologique (CNTE), instance de dialogue social environnemental composée de collèges des trois chambres, des partenaires sociaux et de la société civile, a produit en 2020 le rapport « Vision de la France neutre en carbone et respectueuse du vivant en 2050 » dans lequel il est consigné que la transition écologique a un impact positif sur la création d’emploi. Que nous disent les chiffres de l’emploi sur l’ampleur que prend la transition écologique ? Plusieurs mesures sont produites.

L’ONEMEV (observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte) développe deux approches du verdissement de l’emploi. Une première approche décompte les emplois dans les « éco-activités » (voir encadré définitions). Celles-ci mobilisent en 2018, près de 563 000 emplois en équivalent temps plein, soit 2,1 % de l’emploi intérieur total français. Ce volume est en augmentation et porté par le dynamisme de l’agriculture biologique et du développement des énergies renouvelables.

Une autre approche des emplois de l’économie verte distingue les métiers verts et les métiers verdissants (voir encadré définitions). On en compte 140 000 pour les premiers (soit 0,5% des emplois en 2018) et presque 3,8 millions pour les seconds (soit 14% de l’emploi). L’évolution de ces métiers est contrastée, avec une diminution du volume des emplois verts et une légère progression des métiers verdissants dont la proportion au sein des emplois reste identique entre 2013 et 2018 alors que le volume d’emploi total augmente de 1,2% (graphiques 1 et 2).