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10.07.2025
Retour sur la table ronde “Gouverner les sols vivants : vers un land New Deal ?"
Table ronde du 15 mai 2025, organisée dans le cadre du Forum européen de la transition foncière
Gouverner les sols vivants ? A l'occasion de l'accord trouvé, le 10 avril dernier, pour une proposition de nouvelle directive européenne sur la surveillance des sols, la table ronde a abordé les enjeux suivants : Comment les sols sont-ils saisis par les politiques publiques, notamment durant leur phase de mise en œuvre. Comment les propositions élaborées à Bruxelles, à Paris, sont-elles territorialisées ? Comment s’organise l’articulation entre les différentes échelles aussi au niveau des normes, du droit, et comment les différents acteurs s’en emparent-ils ?
Le 10 avril dernier, un accord a été trouvé pour une proposition de nouvelle directive européenne sur la surveillance des sols. Dans le cadre du 3e Forum sur la transition foncière, organisé à Sciences Po le 15 mai 2025 par l’Institut de la Transition Foncière, l’École Urbaine et l'Institut pour les Transformations Environnementales de Sciences Po, Pascal Canfin, député européen et coordinateur pour le groupe Renew Europe de la Commission Environnement, Santé publique et Sécurité alimentaire est revenu sur les enjeux de cette directive. La transition écologique nécessite l’élaboration d’un compromis. De son point de vue, cette directive vise à établir un vocabulaire, des indicateurs communs sur l’analyse des sols afin d’avoir une base d’échange commune et de pouvoir les protéger. Le sol est un atout européen essentiel car il supporte nos activités économiques et agricoles. Aujourd’hui il y a un enjeu à trouver un équilibre entre des méthodes de décarbonation pouvant avoir un impact sur l’artificialisation des sols, et leur préservation ainsi que celle de la biodiversité.
La suite des échanges, dans le cadre de la table ronde sur “Gouverner les sols vivants : vers un land New Deal ?”, a permis de poursuivre la réflexion sur la façon dont les sols sont saisis par les politiques publiques, notamment durant leur phase de mise en œuvre. Comment les propositions élaborées à Bruxelles, à Paris, sont-elles territorialisées ? Comment s’organise l’articulation entre les différentes échelles aussi au niveau des normes, du droit, et comment les différents acteurs s’en emparent-ils ? Le niveau de connaissance des sols est variable en Europe, ainsi que le rappellent les échanges, et dépend pour cela de la volonté des acteurs. Les sols rendent des services vitaux : ils ont un rôle déterminant dans la production alimentaire mais aussi par leur action sur différentes dynamiques géochimiques et biologiques, comme la régulation du CO2. Ils restent néanmoins davantage appréhendés en tant que surface plutôt que dans leur profondeur. La France dispose d’une palette d’indicateurs, mais la mise en place d’un cadre européen permettrait d’harmoniser les niveaux de connaissance, ou du moins de s’en rapprocher pour faciliter les transferts entre pays.
Agnès Hallosserie, Directrice du programme biodiversité à l’Institut du développement Durable et des Relations internationales (IDDRI), souligne que malgré la présence diffuse des sols dans les trois conventions cadres des Nations Unies sur le climat, la biodiversité et la désertification, ils constituent un impensé de la gouvernance internationale. Les quelques éléments que l’on trouve sur le sujet dans ces conventions suggèrent pourtant que le sol est un enjeu stratégique pour le climat, la biodiversité mais aussi l’autonomie alimentaire, ou la sécurité des personnes et des biens. La directive sur la surveillance des sols est donc innovante en ce sens qu’elle est le premier objet politique à mettre le sol au centre de la réflexion, que ce soit relativement à l’artificialisation, au changement d’usage des terres mais aussi à la qualité des sols, évaluant les pollutions chimiques comme celles causées par les pesticides. Dans l’immédiat, il s’agit cependant seulement de surveillance. Des bonnes pratiques déjà existantes peuvent aussi être inspirantes comme les méthodes de restauration des sols des carrières.
Se pose alors la question de comment s’organise la prise de conscience auprès des élus mais aussi quelle est la place des acteurs locaux, par exemple les agriculteurs. Laurence Fortin L’Hour - Vice-présidente du Conseil régional en charge des territoires, de l’économie et de l’habitat de Bretagne, a fait part de son expérience en la matière. La question de la sobriété foncière est un sujet important en Bretagne, dont le sol est un grenier pour l’alimentation française, et est un territoire très attractif et densément maillé. Dans le cadre de la loi climat et résilience avec le ZAN (Zéro Artificialisation Nette), les élus locaux ont dû travailler sur une mise en œuvre qui n’a pas toujours été évidente. Cependant, il s’agit ici d’un sujet de justice territoriale, de survie écologique, et donc d’un sujet politique essentiel de réduction de consommation des terres. Le ZAN n’est pas la fin de l'aménagement du territoire ni une mise sous cloche mais amène l’élu à agir en tant que rénovateur, protecteur et aménageur. Cela s’est cristallisé par 12 journées de concertation avec 26 SCOTs de Bretagne afin de construire des critères objectifs pour répartir le foncier à l’échelle de la région Bretagne, de construire les projets à partir des territoires. Cela pose des questions sur la gouvernance, les responsabilités mais permet en somme de se mettre d’accord sur les désaccords et de créer une boussole, des outils communs.
A l’échelle européenne, l’enjeu consistant à proposer une approche partagée aux différents États a été abordé par Mirco Barbero, Responsable de la protection des sols et de la gestion durable des terres à la Direction Générale de l’Environnement de la Commission européenne. Ce travail s’est d’abord concentré sur la définition de la notion de la santé des sols, sur la recherche d’un langage commun pour mettre d’accord les États membres afin d’avoir une comparabilité des données et échanger des connaissances. Il s’agissait de construire quelque chose qui n’existe pas encore au niveau européen avec des connaissances limitées. Cependant il y avait déjà des connaissances au niveau national, des expertises diverses, pouvant être rattachées et utilisées dans la législation. Par exemple, la Belgique a mis en place des inventaires des sites contaminés en ligne, avec un processus de gestion de ceux-ci très développé; L’Allemagne a une loi sur le sol qui date de plusieurs années et le travail législatif s’inscrit dans une perspective de compromis ; L’Italie surveille l’artificialisation de ses sols à un niveau très détaillé. Enfin, aux Pays Bas il y a eu une estimation de leur empreinte sol: aujourd'hui pour répondre aux différents besoins, les Pays-Bas auraient besoin de 3 fois la surface de leur pays. Ces éléments suggèrent que les États membres peuvent s’appuyer sur leur expérience actuelle sur les différentes facettes du sujet, pour mettre en œuvre la directive et partager leurs initiatives. C’est ce qui a été fait, nécessitant donc une loi compatible avec tout, et une position institutionnelle reflétant la diversité entre les pays.
Julie Marsaud, Experte plaidoyer au WWF France, a présenté les liens avec l‘avis adopté par le Conseil économique, Social et Environnemental (CESE) en janvier 2025 sur le règlement sur la restauration de la nature, 1ère loi au monde sur la restauration de la nature et de la biodiversité. Le sol n’est pas présent directement dans ce règlement, et demeure un impensé de cette politique, bien qu’il soit nécessaire pour la réalisation des objectifs : les indicateurs de mise en œuvre que les Etats membres devront renseigner ne peuvent s’améliorer et atteindre un état satisfaisant qu’avec des sols en bonne santé. Le seul élément s’y référant concerne le stockage du carbone organique par les milieux agricoles et forestiers. Toutefois, l’enjeu de la préservation du sol rejoint de nombreux prérequis et enjeux préalables du plan restauration de la nature comme l’acquisition continue de connaissances en lien avec le pilotage des objectifs, l’organisation des acteurs et de leurs compétences. A ceci s’ajoute la question de la gouvernance, et d’identifier quels acteurs pourraient agir sur la restauration des sols. La mise en visibilité des objectifs liés aux sols peut permettre de mobiliser le public autour des enjeux associés et de la question du foncier. Tout cela vient en appui du pilotage - de la conception à l’évaluation en passant par la mise en œuvre - pour permettre une appropriation par les acteurs locaux et l’appréhension de différentes marges de manœuvres selon les territoires.








