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25.04.2019

Venise prend-elle la voie du tourisme durable ?

L’industrie touristique est la principale ressource économique de la ville, pourtant ses excès menacent lourdement la Sérénissime, tant son patrimoine culturel et environnemental que sa population et son équilibre économique. 

La ville historique draine un tourisme international, toujours croissant : plus de 20 millions de touristes par an, jusqu’à 150 000 visiteurs/jour, soit près de 3 fois le nombre d’habitants. Les conséquences sont sévères : 

  • pollution et impact sur les fondations de la ville et l’écosystème de la lagune, dus au trafic sur les canaux, 
  • pression immobilière et fermeture des commerces de proximité,
  • dépopulation forte de la ville historique et désertification des îles de la lagune (53 000 habitants pour le centre historique aujourd’hui contre 160 000 en 1930),
  • crainte de la muséification et/ou de l’émergence d’un « Venezia Land » chez des résidents excédés,
  • risque d’une mono-industrie touristique, qui a pris le pas sur une économie traditionnelle historiquement intégrée (agriculture, artisanat,…) et n’encourage pas l’investissement dans le capital humain (faible besoin de qualification pour l’emploi local).

Face à la situation critique, la ville lève le drapeau du tourisme durable : « Pour conserver la beauté extraordinaire et l’unicité de Venise il faut élaborer un tourisme durable et en harmonie avec la vie quotidienne des résidents qui n’altère pas l’environnement artistique et naturel et n’empêche par le développement d’autres activités sociales et économiques… » (site CityPass Venezia Unica / Citta di Venezia). Mais Venise prend-elle la voie du tourisme durable? Etudions les différentes alternatives possibles et la manière dont elles sont explorées par les pouvoirs publics.

Réguler le flux de touristes? Comme si c’était inéluctable, le territoire s’organise plutôt pour favoriser l’accueil croissant de visiteurs (« objectif » de 18 millions de passages d’ici 2030 sur l’aéroport contre déjà 10,5 millions aujourd’hui) : développement des hébergements hôteliers à Mestre, projet de nouveau terminal passagers à Marghera pour accueillir les paquebots de croisière (qui n’emprunteront plus les canaux de la Sérénissime mais continueront de sillonner la lagune). 

Développer une offre de tourisme « autrement », plus respectueuse et profitable à la population locale?La sensibilisation des touristes à un comportement respectueux est promue (campagne d’affichage, réseaux sociaux #EnjoyRespectVenezia). Charte du tourisme durable et projet Detourismproposent un « autre plan de Venise » pour répartir les visiteurs et les orienter vers des acteurs locaux et plus authentiques. Cependant les offres éco-responsables sont peu relayées dans la chaîne touristique. Par ailleurs, le tourisme de luxe progresse, porté par de grands investisseurs privés. Et s’il apporte des fonds, il préempte aussi du patrimoine culturel (telle la Fondaco dei tedeschi, ex-bâtiment historique de La Poste transformé en centre commercial de luxe) et du patrimoine naturel (projets d’îles privatisées en hôtels VIP).   

Développer d’autres activités? Sur la terra ferma, le développement industriel et commercial de la zone portuaire (requalification en cours du site de Porto Marghera) se heurte aux intérêts touristiques et environnementaux, mais pose aussi la problématique de redistribution locale car le site dépend du Ministère des Transports et échappe à la gouvernance locale. 

Face au poids du tourisme et au risque de dérive vers cette seule fonction, des solutions alternatives pourraient être recherchées : activité culturelle, artistique, artisanat local haut de gamme, création... autant d’activités porteuses de diversification et de débouchés en faveur de la population, mais qui alimentent aussi une certaine gentrification.  

Au final, l’intérêt économique semble rester prioritaire sur les volets sociaux et environnementaux : l’équation du tourisme durable reste à résoudre. 

Faute d’une politique de tourisme durable inscrite dans un projet urbain et partagée entre les acteurs locaux, en l’absence d’objectifs pour réguler les flux de visiteurs et l’offre touristique (objectifs qui seraient réellement opposables aux investisseurs privés), Venise reste confrontée à un dilemme entre préservation de la manne économique apportée par le tourisme et préservation de son équilibre socio-environnemental.

 

Merci aux participants de l'Executive Master Gouvernance Territoriale et Développement Urbain pour cet article : Nathalie Mostowski, Sandrine Delage, Valentine Tessier et Alain Lotodé.

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