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13.09.2022

L'art de décrypter : L’École des Maris, une leçon de management

Relire Molière pour questionner les enjeux du leadership, l’exercice peut sembler décalé et anachronique. À l’occasion du 400ème anniversaire de la naissance du dramaturge, Michel Barabel, directeur scientifique de plusieurs programmes de formation dédiés au management et aux ressources humaines à Sciences Po Executive Education, s’y est plié avec enthousiasme.

Molière, critique intemporel de nos organisations

 

Molière, né Jean-Baptiste Poquelin, est sans conteste le plus moderne de nos classiques. Il reste d’ailleurs le dramaturge le plus joué en France. La raison de cet engouement est simple. Caricaturiste narquois des suffisants, des intrigants ou des misogynes, explorateur implacable des arcanes de notre société, Molière continue, encore aujourd’hui, de nous interpeller sur nos travers humains.  “L’intrigue de l’École des maris n’est pas à proprement parler moderne”, tempère Michel Barabel. 

Publiée aujourd’hui, cette histoire de deux frères d’âge mûr auxquels on demande d’éduquer deux jeunes orphelines dans l’attente de les épouser se verrait sans doute attirer les foudres des critiques dénonçant l’éloge du patriarcat et criant au droit des femmes de décider de leur destin. Mais, l’argument autour des deux modes d’éducation radicalement opposés défendus par chacun des frères : confiance/méfiance, liberté/contrôle, reste quant à lui d’une puissante actualité. 

Cette confrontation des modes éducatifs n’est d’ailleurs pas sans rappeler la typologie dressée par Kurt Lewin, père de la psychologie sociale, comparant et opposant leadership autocratique, laxiste et démocratique. “D’autres modèles de leadership ont depuis émergé au fil des décennies à l’image du leadership transactionnel, basé sur le mécanisme récompense/sanction, ou du leadership transformationnel glorifiant la figure du leader charismatique. Tous ont fini par montrer leurs limites.”

Le graal du leadership idéal est un leurre

 

Rassurant, notamment en temps de crise, le modèle autoritaire peut s’avérer délétère pour la créativité et l’innovation et contre-productif pour l’atteinte des objectifs poursuivis. “C’est le postulat de l’École des Maris, qui, s’achevant sur l’émancipation d’Isabelle face au despote Sganarelle, conclut à l’inefficacité de la défiance et du contrôle”, commente Michel Barabel. À l’inverse, le modèle démocratique, en misant tout sur la créativité des collaborateurs, risque de brouiller les objectifs, jusqu’à conduire à une perte de repères anxiogène pour le collectif.  Le leadership transactionnel (récompense/sanction) traduit une vision étriquée de la psychologie humaine. Enfin le leadership transformationnel compromet fortement l’épanouissement des collaborateurs en les réduisant à de simples fidèles d’un leader devenu gourou.

“Molière aurait sans doute beaucoup ri de ces modes managériales, de l’engouement pour les leaders charismatiques comme Carlos Ghosn ou Elon Musk”, s’amuse Michel Barabel. “La réalité, c’est qu’il n’existe pas de leadership idéal.“

Deux concepts émergents semblent pourtant ouvrir une nouvelle voie. Le premier, dit leadership jardinier, a pour objet de créer les conditions et l’environnement nécessaires au développement des équipes. Si l’expression est un rien Voltairienne, la posture est très proche de celle défendue par Molière qui, à travers Ariste, fait l’éloge d’une éducation basée sur la bienveillance et la confiance. Le second, dit réflexif, repose sur l’idée qu’un leader, pour être utile au collectif, doit d’abord faire preuve de réflexion critique pour identifier ses points forts et ceux de son équipe.  “Ces deux approches sont intéressantes, commente Michel Barabel. Les opposer serait contre-productif et ce, d’autant plus que nous vivons une période de profonde mutation sociétale."

Le manager de demain devra être ambidextre

 

Covid, retour des guerres en Europe, dérèglement climatique, accélération des technologies ont, en effet, fortement remis en question le rapport au travail. Le phénomène de grande démission en est la meilleure preuve. “Les collaborateurs aspirent aujourd’hui à un bon équilibre entre leur vie privée et professionnelle, à des organisations plus flexibles dans lesquelles la culture est sympathique, les collectifs apprenants et les leaders inspirants”, reprend Michel Barabel. Les managers doivent-ils pour autant faire du passé table rase ?  Rien n’est moins sûr car les incitations financières, le courage managérial, l’exemplarité, la valorisation des équipes restent de puissants vecteurs de motivation. 

“Le manager de demain devra être ambidextre, savoir jongler avec des registres managériaux complémentaires pour donner à ses collaborateurs l’envie et les moyens de s’investir dans une expérience professionnelle épanouissante. Il se distinguera donc d’abord par sa capacité à s’adapter, à improviser, à prendre acte des challenges et à s’appuyer sur ses équipes pour les relever”, conclut Michel Barabel. Face à cette nouvelle donne, le manager d’aujourd’hui a donc tout intérêt à développer ses softs skills et à réviser ses humanités sous peine de devenir demain manager malgré lui. Relire Molière prend ainsi tout son sens.

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