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18.11.2019

Mise à disposition de salariés : pourquoi elle séduit les entreprises

De plus en plus d'entreprises proposent à leurs salariés de partager, pour une durée déterminée, le quotidien d'une autre organisation. Une immersion aujourd'hui perçue comme un moyen efficace de développer leurs compétences, et en premier lieu leur agilité.

C'est un chemin qu'emprunte un nombre croissant de cadres. Tout en restant salariés de leur entreprise, ils réalisent une immersion dans une autre organisation, souvent pour quelques jours, parfois durant plusieurs mois. Affectés à une mission précise, ils font profiter de leur expertise et, dans le même temps, s'imprègnent de la culture et des modes de travail de la société qui les accueille. Une parenthèse qui est aujourd'hui considérée comme un atout tant pour la société qui reçoit le collaborateur, que pour celle dont il est issu.

Une pratique encadrée par la loi

Si la mise à disposition de salariés est aujourd'hui en plein développement, c'est d'abord parce que la législation française favorise sa mise en œuvre. De fait, la loi Cherpion en a, en 2011, défini les contours. Afin de « sécuriser » cette pratique de mobilité inter-entreprise, elle a imposé aux parties de conclure une convention de mise à disposition. Le salarié doit par ailleurs donner son accord à cette même mise à disposition, son refus ne devant entraîner ni sanction, ni licenciement, ni mesure discriminatoire. Un avenant à son contrat de travail apportant différentes précisions (horaires, travail confié...) doit également être rédigé.

Surtout, la loi précise que l'opération ne peut être menée à des fins lucratifs. En conséquence, « l'entreprise prêteuse ne facture à l'entreprise utilisatrice (…) que les salaires versés au salarié, les charges sociales afférentes et les frais professionnels remboursés à l'intéressé au titre de la mise à disposition », détaille le texte.

Les ordonnances Macron sur le travail ont donné depuis le 1er janvier 2018 une nouvelle impulsion au dispositif, facilitant sa mise en place dans des start-up ou PME. Ces textes ont permis que la somme facturée par l'entreprise prêteuse soit inférieure au coût réel du salarié. De quoi donner la possibilité à des petites structures de bénéficier, pour une durée maximum de 2 ans, des compétences d'un cadre expérimenté dont elles n'auraient pu, en temps normal, se payer les services. Seules conditions : l'entreprise prêteuse doit avoir plus de 5 000 salariés, celle recevant le salarié moins de 250 salariés ou avoir moins de 8 ans d'existence.

« Trouver de la flexibilité dans un marché du travail difficile »

Une mise à disposition de salariés de plus en plus prisée des organisations ? Une évolution des mentalités est, de fait, constatée dans les entreprises. Prenant conscience des atouts d’une telle pratique, elles sont de plus en plus nombreuses à accepter que leurs collaborateurs partent temporairement dans une autre structure.
Les entreprises peuvent voir dans la mise à disposition de salariés un moyen de « trouver de la flexibilité dans le cadre d'un marché du travail difficile », indique Henri Bergeron, directeur de l'Executive Mastère Spécialisé® Management des politiques publiques de Sciences Po Executive Education. C'est d'ailleurs là l'un des moteurs historiques du prêt de main d’œuvre entre entreprises : permettre à une société d' « alléger provisoirement sa masse salariale », poursuit Henri Bergeron, sans avoir à licencier ou recourir à des dispositifs de chômage partiel. Ce qui lui évite, dans le même temps, de perdre définitivement des compétences. Si l'engagement des sociétés dans de telles démarches va crescendo, il n' exclut pas une certaine prudence quant au profil de l'entreprise avec laquelle aura lieu l'échange. La priorité étant d'éviter de transmettre, par l'intermédiaire d'un collaborateur, des informations, une expertise, un savoir-faire, qui pourraient profiter à la concurrence. « La mise à disposition de salariés se fera donc prioritairement entre organisations ayant déjà une interdépendance forte et une loyauté réciproque, ou qui n'évoluent pas sur le même marché, n'ont pas la même taille, ne sont pas en situation de concurrence », estime Henri Bergeron.

Développer l'agilité des salariés

Si la mise à disposition de collaborateur se développe, c'est aussi parce qu'il répond à un autre objectif, aujourd'hui des plus stratégiques pour les entreprises : développer les compétences de leurs cadres. « L'une d'elle est essentielle : l'agilité, explique Julie Machillot, cofondatrice d’Immersive Experience, une société qui accompagne l’immersion de salariés dans des start-up. 85 % des métiers de 2030 n'existent pas encore aujourd'hui. Il faut donc avoir des collaborateurs adaptables, capables d'évoluer dans un environnement en perpétuel mouvement. » Des missions de courte durée dans une autre société leur imposent justement de sortir de leur zone de confort et de s'intégrer rapidement à un nouvel écosystème avec ses codes, ses rituels, ses modes de travail et de management spécifiques. C'est tout particulièrement le cas lorsqu'un cadre d'un grand groupe s'immerge dans une start-up dont l'organisation est souvent bien plus horizontale. Au-delà du développement de sa propre agilité, le salarié va découvrir un environnement, parfois inspirant, où il va pouvoir puiser des bonnes pratiques. Les cadres ayant passé quelque temps dans une start-up par l'intermédiaire d'Immersive Experience doivent ainsi, à l'issue de la mission, « produire un plan d'action, explique Julie Machillot : qu'est ce que je vais changer sur un plan personnel mais aussi à l'échelle de mon service ? Qu'est-ce que je vais mettre en place au niveau des modes de travail ou, au contraire, arrêter ? »

Renforcer le réseau et le business de l'entreprise

L'échange ainsi réalisé se veut également gagnant pour la société accueillant le salarié. Les petites entreprises peuvent bénéficier d'une expertise qui leur fait habituellement défaut et qu'elles n'ont pas les moyens d'internaliser via un recrutement (par exemple des connaissances financières, en gestion des ressources humaines ou sur des expertises techniques). « Les start-up sont agiles mais manquent parfois de process, poursuit Julie Machillot. Des process que les cadres de grandes entreprises maîtrisent et qu'ils vont pouvoir déployer, apportant ainsi de la valeur [à la jeune pousse] ». Une jeune pousse qui pourra, par ailleurs, profiter de tels échanges pour construire des relations avec des acteurs économiques d'importance, enrichir son réseau et, pourquoi pas, in fine, développer son business. L'expérience, enfin, profite évidemment également au collaborateur lui-même : en s'immergeant dans un nouvel univers professionnel, il renforce ses compétences mais aussi sa connaissance du monde de l'entreprise et de ses modes de fonctionnement. Il peut également « tester » d'autres modèles d'organisations, vers lesquelles il pourra éventuellement se tourner dans la suite de sa carrière.  « C'est une vraie valeur ajoutée pour lui que de pouvoir tenter cette expérience tout en gardant son CDI », résume Julie Machillot. Ce faisant, le prêt lui permet de développer son employabilité. Ce qui constitue précisément une attente croissante des salariés, mais aussi une promesse employeur portée par de plus en plus d'entreprises. 

 

Pour aller plus loin :

Interview de Candice Lhomme, responsable innovation RH et développement des talents et Clément Moullin, auditeur financier.

Chez Mazars, des salariés en immersion dans des Start-up - Interview  

Crédit photo : Franck Juery

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