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07.02.2019
Le manager et son impact, au coeur de la transformation
Olivier Basso, directeur pédagogique du Certificat « Leadership et Management Complexe », Sciences Po Executive Education.
Les cadres dirigeants évoluent désormais dans un univers managérial où les surprises, bonnes ou mauvaises, se succèdent de manière ordinaire : une réduction inattendue de budget, la demande inédite d’un client sous forte contrainte de temps, une réorientation stratégique brutalement annoncée … vont remettre soudainement en cause la trajectoire espérée et les prévisions de l’activité.
Ils sont de ce fait régulièrement en proie à de fortes émotions négatives qui peuvent parfois leur faire perdre contenance et rendre plus difficiles les relations avec leurs équipes.
Par ailleurs, bon nombre de managers sont également investis de la responsabilité d’animer le changement et d’embarquer les équipes et l’organisation dans la transformation organisationnelle tous azimuts que connaissent les grandes entreprises. Celles-ci sont pour la plupart prises dans un tourbillon multiforme combinant digitalisation à marche forcée, réduction drastique de coûts, migration de valeur ajoutée et lutte pour garder le contact avec le client final afin d’échapper ainsi au piège de la « commoditisation » (commodity trap).
Dans une telle situation, l’attente managériale est forte de la part des équipes : elles vont rechercher une dynamique inspirante, qui va leur apporter souffle et créativité. L’implication émotionnelle du dirigeant est ici essentielle pour donner l’impulsion et incarner la parole de changement qu’il porte.
Face à ces enjeux et à ces vagues incessantes de remise en cause, le risque est grand, pour le dirigeant, de glisser vers deux attitudes limitant sa performance :
- soit de sombrer dans une sorte de « VUCA[1]intérieur », où l’agitation extérieure contamine une intériorité inquiète qui perd ses points de repères et réagit plutôt qu’elle n’agit ;
- soit de se retrancher dans la posture d’un phare aux murailles épaisses et solides que rien ne vient ébranler, et qui ne donne prise à aucune émotion, en se soustrayant à la relation avec les autres.
Dans les deux cas, la problématique touche à la capacité du manager de vivre avec ses émotions de la meilleure manière possible pour s’ajuster à soi-même et aux autres.
Précisons notre propos en distinguant deux enjeux majeurs pour le manager d’aujourd’hui.
Enjeu #1: Agir de manière ajustée dans le tohu-bohu
La succession des surprises d’amplitude variable, la pression des coûts et des délais, la nécessité de manager des dilemmes (par exemple, «faire plus avec moins», «développer les outils numériques de management tout en restant proche de ses équipes et ses clients », «être innovant tout en respectant les consignes ») ébranlent et déconcertent les individus.
L’absence de stabilité, le sentiment d’accélération constante, la démultiplication des informations créent un contexte d’urgence généralisé porteur de désarroi et de trouble pour l’individu.
L’univers de l’action managériale est en effet marqué par
- la fin d’un idéal de perfection : les plans d’action élaborés deviennent très vite obsolètes ;
- la mise en échec de la maîtrise intellectuelle de la situation: la modélisation qui permet d’avoir prise sur le réel ne peut plus rendre compte de la complexité des évènements ;
- la disparition de l’assurance qu’apporte l’expertise : l’omniscience et le contrôle anticipé sont couramment pris en défaut.
C’est dans cet univers instable que le manager doit agir avec ses équipes et les accompagner vers la réalisation des objectifs organisationnels dont il a la charge.
La question qui se pose pour lui est alors simple : où trouver les éléments de stabilité, les points de repères, les appuis pour faire face au tumulte, et conduire, avec plus d’assurance et de sérénité, les hommes et les femmes dont il a la charge dans l’organisation ?
Car les incessantes perturbations de l’environnement de travail ont tôt fait de nous plonger dans des états émotionnels intenses (inquiétude, stress, colère, impatience, abattement, fatigue psychique…) qui viennent renforcer notre désarroi et nous affaiblissent face à la prise de décision et à la conduite à tenir vis-vis de soi-même et des autres parties prenantes.
Notre agitation intérieure vient renforcer l’instabilité de la situation : notre réaction même rend plus difficile l’équation et nous devenons une partie supplémentaire du problème à résoudre.
Pour compliquer le tout, le manager n’a pas seulement à gérer sa propre émotivité : le plus souvent, il doit, dans le même temps, faire avec une situation humaine difficile, et des relations tendues avec des personnes plus ou moins durement impactées par les évènements imprévus. C’est alors au coeur de ses émotions que le manager doit trouver repères et stabilité pour aller de l’avant.
Enjeu #2 : Inspirer la mise en mouvement de la transformation
Une problématique similaire apparaît pour tous ceux qui sentent aujourd’hui que leur seule intelligence, fût-elle considérable, sera insuffisante à assurer la transformation réelle de leur activité.
Il ne s’agit plus seulement ici de définir un cadre et de répartir le travail, en programmant les personnes et les tâches. Certes, les objectifs de réduction de coûts, propres à tout mouvement de transformation, pourront plus ou moins aisément être atteints par le chef d’orchestre qui a aura identifié les gisements…
Mais qu’en est-il de l’essentiel ?
De la dynamique entrepreneuriale d’ensemble. Du climat dans lequel vont se dérouler ces actions. Est-ce que, moi, employé, je me sens participer à un mouvement qui va au-delà de la énième réorganisation ? Est-ce que je vais accomplir ce que l’on attend de moi parce que j’y perçois un enjeu de changement qui a du sens pour moi, ou est-ce que je vais faire mon job, consciencieusement, comme je l’ai toujours fait et parce que je suis payé pour le faire ? Il est aisé de percevoir ici une forte différence de ressenti individuel, d’atmosphère collective dans les postures de travail de chacun. Cette variation d’intensité et d’engagement dans les équipes ne peut être sans relation aucune avec l’atteinte des résultats du processus de changement profond qui a été lancé.
Pour certains managers, ultraperformants, cette réflexion est dépourvue de sens.
Dotés de qualités professionnelles remarquables (sens de l’organisation, acuité intellectuelle, résistance physique…), ils paraissent être quasiment dépourvus de tout ressenti émotionnel ; ils semblent comme humainement absents de leurs rôles. Leur grande maîtrise formelle des techniques de gestion – définition des objectifs et allocation de moyens – dissimule, pour un temps, leur défaut de présence réelle.
Investis de responsabilités importantes voire cruciales au sein de l’entreprise, ils courent ainsi le risque de ne jamais habiter leur discours, de ne jamais être présents dans leur apparition :
- l’animation des équipes se réduit alors souvent à la présentation précise de leur plan d’action et à la rigueur de son exécution ;
- l’interaction avec les proches collaborateurs se déroule essentiellement en mode one to one ;
- les réunions du comité de direction montrent un fonctionnement en étoile, avec au centre le dirigeant qui pose à chacun des questions souvent très pertinentes et en attend les réponses, les autres membres du comité attendant passivement leur tour.
Dans une telle perspective, et avec une telle posture, l’idée de co-création, de projet collectif et collaboratif désigne rarement une réalité possible. Il n’y a pas création véritable d’un espace ouvert et bienveillant où un test and learn, individuel et collectif, permet d’explorer les voies à inventer.
Pour cette raison, les probabilités du succès de mener à bien une transformation organisationnelle profonde et compliquée paraissent alors peu élevées : cela demande au porteur du changement d’entraîner ses équipes, de susciter leur implication dynamique et de montrer que lui-même incarne ce processus d’ouverture créative au changement. En un mot, le dirigeant qui pousse à la transformation organisationnelle pourra difficilement en faire l’économie pour sa propre posture.
Se transformer pour animer la transformation ?
Dans les deux cas de figure que nous venons d’esquisser, c’est bien la dimension émotionnelle du manager qui constitue l’axe principal de progrès sur lequel travailler pour améliorer sa performance managériale.
Pour ce faire, plusieurs approches sont possibles.
Nous croyons, pour notre part, que tout commence avec l’effort de faire retour à soi, de prendre le temps de se connaître davantage, d’explorer à la fois ses habitudes, ses appuis, ses manières d’entrer en relation… et ses limitations potentielles. Il s’agit alors de prendre soin de soi et de développer d’autres dimensions – émotionnelles et physiques - qui constituent les fondements d’une stabilité personnelle retrouvée et autorise une mise en animation créative de soi-même, plus riche, plus colorée.
Cette stabilité interne vivante permet ensuite d’agir de manière plus ajustée face à l’inattendu et à la complexité des relations humaines.
C’est cette différence de présence et d’impact qui va probablement créer le différentiel de performance durable dans le monde managérial d’aujourd’hui. C’est la visée du programme « Leadership et Management Complexe » que propose Sciences Po Executive Education.
[1]VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) : cet acronyme qualifie la nature de l’environnement dans lequel les organisations évoluent aujourd'hui.
Olivier Basso
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