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17.06.2020
François-Aïssa Touazi : « La région MENA, riche en opportunités pour les entreprises françaises »
La région MENA (Middle East and North Africa) connaît aujourd'hui de profondes mutations économiques, sources de nouvelles opportunités d'affaires pour les entreprises françaises.
Quelles sont les origines de ce changement ? Sur quels nouveaux secteurs d'activité se concentrent les pays concernés ? Quels « codes » culturels et sociaux les professionnels français doivent-ils intégrer pour s'engager avec succès dans la région ?
L'analyse de François-Aïssa Touazi, président du Comité Scientifique du Certificat « Entreprendre et réussir en région MENA » proposé par Sciences Po Executive Education et le think tank CAPmena.
Comment expliquer les mutations économiques qui traversent aujourd'hui les pays de la région MENA ?
François-Aïssa Touazi - Dans cette vaste région englobant le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord ainsi que la Turquie et l'Iran, la plupart des économies se sont engagées dans des transitions vers de nouveaux modèles de développement économique plus inclusifs et plus durables pour faire face aux nombreux défis économiques, sociaux et sécuritaires auxquels ils font face. Parmi ces éléments de vulnérabilité, il est important d’insister tout d’abord sur la dépendance d’une bonne partie des économies arabes à l’exportation d’un seul produit, qui rend toute croissance volatile et donc fragile. A cela s’ajoute un secteur privé qui n’a pas su s’imposer, une économie informelle très ancrée et des tensions très fortes sur le marché du travail avec un chômage des jeunes très élevé. Enfin, les nombreuses crises et conflits qui ont plongé certains pays de la région dans l’instabilité voire le chaos et qui se manifeste aujourd’hui dans le sort réservé aux réfugiés et aux déplacés. Un mouvement de transition et de réformes tend à s'accélérer aujourd'hui dans de nombreux pays et entraîne des évolutions importantes aux niveaux légal, juridique ou encore financier. C'est donc aujourd'hui une période charnière pour l'ensemble de cette région, porteuse de changements profonds et aussi d'opportunités et de perspectives d'avenir pour les entreprises souhaitant s’y développer.
« Un mouvement de transition et de réformes tend à s'accélérer aujourd'hui dans de nombreux pays et entraîne des évolutions importantes aux niveaux légal, juridique ou encore financier. »
François-Aïssa Touazi
Président du Comité Scientifique du Certificat « Entreprendre et réussir en région MENA »
Les opportunités se concentrent-elles dans certains pays ? Des secteurs d'activités sont-ils plus porteurs que d'autres ?
François-Aïssa Touazi - La région MENA ne constitue pas un bloc monolithique. Les mutations que nous venons d’évoquer concernent bien l’ensemble de la région mais varient en fonction des pays et de leurs ressources. On peut en effet regrouper les pays de la région en plusieurs sous-ensembles : • les pays du Golfe, peu peuplés, relativement riches grâce à l’exportation de leurs hydrocarbures, exploitant leur position stratégique entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie sur laquelle se développe leur diversification, • un second groupe de pays incluant les pays du Maghreb, l’Egypte, l’Iran aux larges populations nationales, des économies plus vulnérables, avec de fortes disparités sociales et dont la transition économique constitue une priorité, • et enfin un troisième sous-ensemble faisant face à des vulnérabilités structurelles profondes, à une forte instabilité comprenant l’Irak, le Liban, la Libye ou le Yémen et où la question de la reconstruction pourrait se poser. Le cas de la Turquie est plus complexe. Membre du G20, ce n’est pas un pays exportateur de pétrole et son économie est très diversifiée et très axée sur les exportations. Les enjeux se portent davantage sur la résilience de son économie face aux chocs pétroliers et monétaires. Le cas des pays du Golfe, qui sont engagés dans une course contre la montre pour diversifier leur économie et réussir l'après-pétrole, est emblématique. De nouveaux secteurs de croissance émergent dans les secteurs aussi divers que la pétrochimie, le tourisme, le divertissement ou la logistique. La région est aujourd’hui un pôle d’attraction majeur en accueillant des événements internationaux culturels et sportifs comme l’Exposition universelle de 2020 à Dubaï et ambitionne de devenir un pôle d’innovation. Les pays du Maghreb entendent également profiter de leur position de carrefour, entre l'Europe et l'Afrique. Chaque pays y porte aujourd'hui ses propres ambitions : • le Maroc ambitionne de devenir un hub industriel régional pour de nouvelles activités (aéronautique, automobile... • la Tunisie souhaite se positionner sur le digital, l’industrie pharmaceutique et le tourisme médical • l'Algérie cherche, quant à elle, à s'imposer comme un géant énergétique et minier. Il faut bien comprendre, dans ce contexte, la nature des enjeux présents dans chaque pays pour les transformer en opportunités d’affaires. L’industrie française dispose de tous les atouts pour se positionner dans cette région. Mais elle doit également prendre conscience des retards qu’elle a pu accumuler face à d’autres concurrents, les anglo-saxons et les asiatiques notamment, dans son approche des marchés de la région.
« La région est aujourd’hui un pôle d’attraction majeur en accueillant des événements internationaux culturels et sportifs comme l’Exposition universelle de 2020 à Dubaï et ambitionne de devenir un pôle d’innovation. »
François-Aïssa Touazi
Président du Comité Scientifique du Certificat « Entreprendre et réussir en région MENA »
Quels sont les « clés d'entrée » indispensables pour des acteurs économiques souhaitant s'implanter ou travailler avec les entreprises de la région ?
François-Aïssa Touazi - Pour réussir sa stratégie de développement en direction de la région MENA , il est indispensable de bien saisir les dynamiques économiques, politiques et culturelles en cours sans ignorer les enjeux sécuritaires et géopolitiques et de s’adapter aux nouvelles orientations économiques et des opportunités qu’elles offrent. Cette compréhension au niveau macro doit également s’accompagner d’une connaissance plus fine des réalités du terrain. La relation commerciale traditionnelle est de plus en plus révolue. Les pays de la région recherchent des partenaires de long terme, qui s’engagent à produire et à créer des emplois localement. Il est important de comprendre, au-delà du maillage institutionnel officiel, la réalité des mécanismes de décision, de savoir identifier et recourir utilement aux bons interlocuteurs et partenaires, de s’adapter aux exigences locales. Cette remarque s’applique également à la recherche de financements, à la connaissance du rôle et la complémentarité des différents acteurs. Le management interculturel doit être aussi au cœur des réflexions des entreprises souhaitant travailler avec cette région. Il faut avoir à l’esprit les différences entre nos cultures d’entreprise, la place des traditions et coutumes locales, l’importance de construire des relations de proximité avec ses interlocuteurs.
Quel impact la pandémie actuelle de Covid-19 aura-t-elle sur la région ?
François-Aïssa Touazi - A court terme, avec une réduction du PIB estimée à 4,2% cette année, le coût économique devrait être important. Cela va se traduire par une aggravation des déficits budgétaires, des situations de récession et des inégalités encore plus criantes au sein des populations. Ainsi, le tourisme et l'industrie sont aujourd'hui en berne dans des pays comme la Tunisie, le Maroc ou l'Egypte. L'Algérie et les pays pétroliers sont quant à eux frappés de plein fouet par la chute des cours du baril. Mais tous les pays de la région se sont engagés dans la relance de leur économie et si l'on se projette à plus long terme, ce sombre tableau peut toutefois être nuancé. Les pays du Golfe ont par exemple une capacité de résilience importante en raison de leurs réserves financières colossales estimées à 2,500 milliards de dollars. Cela n'est, certes, pas le cas pour d'autres Etats. Mais la crise pourrait toutefois être porteuse d'opportunités pour certains d'entre eux, notamment ceux qui ont les infrastructures et l'expérience pour accueillir les investissements étrangers. Beaucoup d'entreprises internationales vont en effet souhaiter réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine. Des pays comme l'Egypte ou la Turquie pourraient en profiter. Même chose au Maghreb, qui dispose d'une main d’œuvre de qualité, jeune, bien formée, et d'une position géographique stratégique. Des atouts à faire valoir auprès d'entreprises souhaitant relocaliser leurs investissements dans les chaînes logistiques ou les services aux entreprises.
Les entreprises doivent à la fois maîtriser les mutations économiques en cours et intégrer des « codes » propres à chaque pays de la zone MENA. Le Certificat « Entreprendre et réussir en région MENA » va-t-il embrasser l'ensemble de ces thématiques ?
François-Aïssa Touazi - Comme tout marché prometteur, la région se caractérise par une concurrence ardue. Notre ambition est de permettre aux entreprises de mieux se positionner sur l’ensemble des marchés de la région pour accompagner la diversification économique. Cette formation de haut niveau sera animée à la fois par des chercheurs spécialisés pour permettre aux participants de disposer d’une solide connaissance des mutations politiques et économiques, de comprendre les recompositions géopolitiques et sécuritaires leur permettant d’évaluer les risques comme les opportunités ainsi que par des professionnels reconnus et expérimentés qui viendront partager leur expérience et leur expertise et permettre aux participants de maîtriser les spécificités de la région dans des domaines aussi divers que la réussite d’une implantation, le choix des partenaires, le management et pilotage de projets, le positionnement par rapport à la concurrence, la recherche de financements, l’adaptation aux juridictions locales, les enseignements à tirer des échecs ou des succès notamment dans le cadre des appels d’offres… Des acteurs économiques de la région viendront également apporter leur témoignage pour expliquer ce qu’ils attendent de leurs partenaires européens et éclairer sur les opportunités sectorielles. Cette combinaison de savoirs académiques et pratiques permettra de positionner au mieux nos entreprises dans cette région complexe, passionnante et stratégique.
« Notre ambition est de permettre aux entreprises de mieux se positionner sur l’ensemble des marchés de la région pour accompagner la diversification économique. »
François-Aïssa Touazi
Président du Comité Scientifique du Certificat « Entreprendre et réussir en région MENA »
Comment est née cette formation ?
François-Aïssa Touazi - Elle est le fruit d'échanges nourris entre Sciences Po et les experts réunis autour de CAP Mena qui ont une solide expertise des enjeux économiques et financiers de la région MENA et souhaitent mettre cette expertise au profit du certificat. De son côté, Sciences Po menait une réflexion sur la meilleure manière d'intégrer les changements en cours dans cette région à son offre de formation. Le partenariat que nous avons noué a abouti à la création de ce certificat qui va permettre aux entreprises d'acquérir les compétences et l'expertise nécessaires pour réussir leur développement dans la région.