Accueil>Portrait de Paul Cukierman, lauréat de l’appel à modules ELIPSS pour les doctorant.e.s 2024
21.07.2025
Portrait de Paul Cukierman, lauréat de l’appel à modules ELIPSS pour les doctorant.e.s 2024
Depuis 2024, le CDSP publie un appel à propositions de modules d’enquête à destination des doctorant·e·s en sciences humaines et sociales pour les soutenir dans leur travail de recherche.
Alors qu’une seconde édition a été organisée au printemps 2025 pour une passation en juillet, nous vous proposons de revenir sur les modules sélectionnés et administrés au panel ELIPSS durant l’été 2024.
Cette semaine, Paul Cukierman, doctorant au laboratoire Géographie-cités, nous présente son travail de recherche et les premiers résultats de son module SOCLIM sur les représentations, attitudes et sociabilités autour de la question du changement climatique.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre travail de recherche ?
Je suis doctorant en troisième année à l'Université Paris-Cité en géographie sociale et je travaille sur la diffusion sociospatiale des styles de vie bas-carbone.

Très concrètement, je m'intéresse à la façon dont se diffusent dans la société certaines pratiques jugées vertueuses pour la protection du climat (par exemple, le fait de moins manger de viande, moins prendre l'avion, etc.). On peut penser à plusieurs canaux de diffusion : les médias, évidemment, qui relaient des injonctions écocitoyennes souvent conçues par les pouvoirs publics, mais également l'environnement social, avec des cercles de sociabilité plus ou moins proches, qui favorisent certaines interactions sociales plutôt que d'autres.
Par exemple, on imagine mal, dans le cercle professionnel, reprocher à un client rencontré le jour-même sa consommation excessive de viande là où ce genre de remarques critiques est plus facilement acceptable dans le cercle familial proche. Enfin, un canal de diffusion moins fréquemment étudié dans la littérature, mais qui m'intéresse tout particulièrement en tant que géographe est l'espace. En effet, en tant que support physique des relations sociales, il recèle de très nombreuses "prises" susceptibles de socialiser les individus par "imprégnation" à de nouveaux comportements. Un exemple célèbre est celui de la diffusion spatiale des panneaux solaires installés sur les toitures d'habitations, qui opère par imitation du voisinage, sans nécessairement que des discussions à ce sujet aient lieu. Le simple fait d'observer les évolutions chez un voisin peut conduire à faire adopter un comportement ou une innovation.
Quelle(s) méthode(s) d’enquête mobilisez-vous pour votre travail doctoral ?
J'ai élaboré un dispositif méthodologique mixte, c'est-à-dire que mes analyses de thèse s'appuient à la fois sur des données quantitatives, comme celles récoltées dans le cadre du module SOCLIM, et sur des données qualitatives. Je réalise à ce titre deux terrains d'enquête à Grenoble et Paris auprès d'individus de classes moyenne et supérieure avec lesquels j'organise des entretiens semi-directifs.
Pour quelles raisons avez-vous répondu à l’appel à projets doctorants 2024 proposé par le CDSP ? Quels apports potentiels envisagiez-vous ?
J'ai répondu à l'appel à projets doctorant·es 2024 car aucune enquête quantitative produite à l'époque ne s'intéressait finement aux interactions socialisatrices à la réforme écocitoyenne des modes de vie. Une partie des hypothèses de recherche que je souhaitais creuser ne pouvait ainsi être traitée que du point de vue qualitatif. Un intérêt majeur du module est qu’il permet de mesurer la distribution de ces interactions dans la société via une enquête en population générale. Ainsi, je sais maintenant grâce au module que certaines catégories ont un comportement de groupe spécifique.
Par exemple, les cadres ont en moyenne tendance à participer à davantage d'interactions sociales liées à l'environnement que les ouvrier.es ou les employé.es. Toutefois, tous les cadres n'ont pas tous la même exposition à ces questions environnementales : les ingénieur·es et professeur·es, par exemple, y sont davantage exposés que les cadres administratifs du secteur public ou privé, ou encore que les professions libérales. Je peux ensuite chercher à mettre en perspective les spécificités de chaque sous-groupe par les entretiens semi-directifs que je réalise, dans l'idée de mieux comprendre les raisons qui peuvent expliquer les différences statistiques observées d'une catégorie à l'autre.
Quels sont les premiers résultats tirés du module de questions que vous avez conçu et diffusé pendant l’été 2024 au panel ELIPSS ? Avez-vous un chiffre clé ou un résultat saillant à nous présenter ?
Les premiers traitements que j'ai pu réaliser sur les données collectées dans le cadre du module SOCLIM m'ont permis de quantifier la prévalence dans la société de certaines interactions socialisant à la réforme écocitoyenne des modes de vie, puis de les situer socialement et géographiquement. Par exemple, à l'échelle de la société, la consommation de viande fait l'objet de critiques plus régulières que la consommation de vêtements neufs : 55 % des répondant·es ont déjà entendu des critiques à propos de la consommation de viande mais seul·es 45 % ont déjà entendu critiquer l'achat de vêtements neufs.
Le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de revenus sont les variables qui jouent généralement le plus : par exemple, 60 % des cadres ont déjà entendu des critiques du transport aérien contre seulement 34 % des ouvrier·es, et 64 % des diplômé·es du supérieur ont déjà assisté à ce type de critiques contre seulement 36 % des diplômé·es de CAP-BEP. Enfin, certaines évolutions de comportement apparaissent plus importantes dans certains territoires que d'autres. Ainsi, si 15,5 % des répondant·es résidant dans l'agglomération parisienne indiquent que beaucoup de personnes autour d'eux ont diminué leur consommation de viande, c'est le cas de seulement 4 % des habitant·es d'une agglomération de taille moyenne.
Un autre résultat original issu de l'exploitation de SOCLIM concerne la compréhension des mécanismes socialisateurs à l'origine de l'écologisation des comportements. Dans le cas de pratiques quotidiennes et visibles comme la consommation de viande, les individus qui ont verdi leur régime alimentaire semblent plus influencés par les évolutions de comportements qu'ils observent autour d'eux (c'est-à-dire par une socialisation par "imprégnation") que par des remarques critiques ciblant directement la consommation de viande (socialisation par "inculcation"). À l'inverse, pour des pratiques plus ponctuelles et moins immédiatement observables, comme les voyages en avion, le fait d'être exposé·e régulièrement à des critiques directes est cette fois-ci corrélé à une diminution du nombre de voyages. Les remarques critiques voire moralisatrices, parfois dénoncées comme contre-productives, semblent ainsi conduire à une limitation des pratiques polluantes mais seulement dans certains domaines.
Ces résultats confortent-ils vos hypothèses de départ et les résultats de vos recherches préalables ? Y-a-t-il des “surprises” de terrain ?
Ces résultats confortent certaines hypothèses de départ, notamment la distribution socialement inégale des interactions liées à l'écologie qui recoupe assez nettement les hiérarchies liées à la profession et au niveau d'éducation. Parmi les surprises, le terrain m'a permis de prendre conscience d'un clivage important au sein de la catégorie des 18-25 ans, parfois présentée comme une "génération climat" homogène.
Or si cette tranche d'âge est celle parmi laquelle on retrouve le plus de régimes végétariens (7 % environ contre 4 % pour l’ensemble de la population adulte résidant en France métropolitaine), c'est également la plus carnivore (28 % des répondant·es de cette tranche d'âge mangent de la viande à tous les repas contre 20 % de l’ensemble de la population).
Quel bilan faites-vous de cette expérience ?
Je suis très heureux de cette expérience qui m'a permis d'obtenir des données quantitatives ajustées aux questionnements de recherche qui m'animent et pourront, je l'espère, prolonger certains autres jeux de données déjà récoltés dans le cadre du panel ELIPSS.
J'ai été très épaulé par l’équipe ELIPSS qui a été particulièrement disponible pour des échanges, avant, pendant et après l'administration du module. Je leur en suis tout particulièrement reconnaissant !
Quelles sont les prochaines étapes de votre travail de thèse ?
Je suis actuellement en train de clôturer mes terrains d'enquête qualitative. À l'issue de cette phase, j'aurai récolté tout mon matériau de thèse et il s'agira pour moi de prendre le temps de me pencher plus en détail sur les différentes données récoltées, notamment le module SOCLIM afin de conduire des analyses plus approfondies en croisant matériaux quantitatifs et qualitatifs.
Auriez-vous des conseils à donner aux doctorants qui postuleront aux prochaines éditions de l’appel à proposition de module de question ?
Je conseillerais tout d'abord aux jeunes chercheur·es qui souhaitent postuler de bien prendre le temps de réfléchir aux hypothèses de recherche qu'ils et elles souhaitent tester à travers le module doctorant·es, et de se demander comment les opérationnaliser. Le module étant relativement court, il est important de ne sélectionner que quelques items originaux qui constituent le cœur des questions de recherche. En revanche, le panel ELIPSS ouvre la possibilité à une articulation avec des enquêtes antérieures, ce qui peut permettre d'enrichir le module doctorant·es via des variables déjà relevées dans le cadre d'autres projets de recherche. C'est là une grande richesse du panel et il me semble donc tout particulièrement important de réfléchir à la manière de se saisir de cette opportunité.
Je conseillerais enfin à tout·e candidat·e de ne pas hésiter à contacter l’équipe d'ELIPSS en amont du dépôt de candidature pour poser leurs questions éventuelles et bien comprendre le fonctionnement du panel et des croisements possibles avec des enquêtes précédentes.