Accueil>Entretien avec Alain CHENU, Référent à l'intégrité scientifique de Sciences Po

10.01.2023

Entretien avec Alain CHENU, Référent à l'intégrité scientifique de Sciences Po

>L'intégrité scientifique est un élément clé de la confiance que la société accorde à la science et à la recherche. Alain Chenu, Professeur émérite des universités, chercheur à l'Observatoire sociologique du changement, nommé référent à l'intégrité scientifique (RIS) de Sciences Po fin 2021, avait répondu à ces quelques questions.

Comment définiriez-vous votre rôle de référent ? Quels sont les enjeux principaux de l'intégrité scientifique ?

Alain Chenu. “L’activité scientifique obéit à des principes d’autonomie et de collégialité : les chercheurs considèrent que seuls d’autres chercheurs sont à même de juger de la valeur scientifique de leurs travaux. Si le socle de ces principes est resté le même depuis longtemps, les modalités de l’évaluation par les pairs (peer review) ont obéi à des règles de plus en plus explicites en matière de déontologie. À mesure que les effectifs et les budgets s’accroissaient, les institutions se sont différenciées. Les comités d’éthique ou de déontologie de la recherche, ainsi que les référents à l’intégrité scientifique, comptent parmi les derniers nés dans ce processus. Leur rôle n’est pas d’empiéter sur l’évaluation par les pairs, mais de contribuer à ce que cette évaluation se déroule plus aisément. Ils veillent au respect de la propriété intellectuelle, à la transparence et l’innocuité des opérations de recherche, à l’absence de tout lien de dépendance familiale, économique ou autre entre les évaluateurs et les évalués.”

Pouvez-vous nous définir plus précisément les domaines d’intervention ?

“ Le respect de la propriété intellectuelle : puisque le rôle des chercheurs est de produire de nouveaux savoirs, il est essentiel que le neuf ne soit pas de l’ancien maquillé en neuf. Donc le plagiat est proscrit ; mais en pratique, il n’est pas toujours facile à identifier : il arrive qu’un chercheur parfaitement intègre pense avoir des idées originales alors qu’il ne fait que répéter les idées des autres. Le Référent à l'intégrité scientifique intervient dans les arbitrages à propos de la paternité, ou de la maternité, de certaines analyses scientifiques. Confidentialité et présomption d’innocence sont de règle lorsqu’il est saisi d’un cas.

La transparence des opérations de recherche : puisque le rôle des chercheurs est de produire des savoirs en faisant appel à des observations et à des méthodes bien identifiées, l’intégrité consiste à ne pas forger des observations imaginaires, à ne pas tricher sur les méthodes, à ne pas dissimuler des résultats troublants, à ne pas subordonner une analyse aux exigences de tel ou tel commanditaire. Là encore, la ligne n’est pas toujours facile à tracer entre une simple erreur et un comportement déviant – désormais qualifié de « manquement à l’intégrité scientifique ». Le RIS aide les chercheurs à améliorer la traçabilité de leurs travaux.

L’innocuité des opérations de recherche : il arrive que des chercheurs travaillant sur des sujets sensibles ou des zones à risque puissent se mettre en danger, ou mettre en danger – le plus souvent involontairement – des personnes ou des collectivités sur lesquelles ils ont enquêté. De tels risques peuvent être limités grâce à diverses règles et procédures : demandes de consentement, anonymisation, protection ou éventuellement destruction de fichiers ou de notes... En liaison avec la déléguée à la protection des données, le RIS aide les chercheurs à se conformer à ces règles, qu’il n’est pas toujours facile de rendre compatibles avec les exigences de bon archivage et de transparence (au cœur de la politique de science ouverte / open science). Toute demande de soutenance de thèse à huis clos doit, par exemple, lui être soumise.

Les questions d’intégrité scientifique se déclinent assez différemment d’une discipline à une autre et d’un pays à un autre. Le RIS participe à des réseaux nationaux (OFIS, RESINT) et internationaux (ENRIO, etc.) (*) de coordination entre spécialistes de l’intégrité scientifique. Cette expérience permet de contribuer à l’élaboration de guides de bonnes pratiques, ainsi qu’à la sensibilisation et à la formation des chercheurs et des futurs chercheurs.”

(*) OFIS : Office français de l'intégrité scientifique. RESINT : Réseau national des référents à l'intégrité scientifique. ENRIO : European Network of Research Integrity Offices.

Contact : integrite.scientifique@sciencespo.fr.

En savoir plus sur le site de la Recherche de Sciences Po.

Entretien réalisé fin 2021 par l'équipe éditoriale de Sciences Po.