Séminaire « Numérisation des services publics de l’emploi »

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L’apparition des bureaux publics de placement a permis la construction de marchés nationaux de l’emploi. À partir de ce maillage institutionnel, les individus ont pu – et parfois ont dû – circuler au sein d’un espace unifié, brisant les tours d’octroi de chaque commune, conduisant à des déplacements plus intenses de la campagne à la ville, voire une installation hors de la paroisse de naissance. Bref, au lieu d’être tributaires de leur corporation ou de leur réseau personnel local (Luciani 1990), les chercheurs d’emploi ont recouru à une institution nationale et à ses agents, qui proposaient aux habitants d’une extrémité du pays de candidater à une offre localisée à l’autre extrémité ou de changer de métier pour s’orienter vers des filières moins embouteillées.

Toutefois, l’activité qu’y accomplissent les agents et les entretiens qu’ils conduisent avec les chômeurs connaissent une médiation technique. L’histoire des services publics d’emploi est celle d’une succession d’outils techniques, dont l’évolution historique ou la dotation inégale prescrivent en partie les politiques d’emploi possibles et impossibles, imaginables et inimaginables, coûteuses et gratuites.

Désormais, les ordinateurs sont présents dans chaque pièce des agences pour l’emploi d’Europe : dans des halls à disposition des chômeurs, dans des bureaux pour les rendez-vous entre chômeurs et conseillers, dans la base arrière administrative pour gérer l’activité. L’informatisation globale de l’intermédiation a ainsi conduit à ce que les versements indemnitaires, les opportunités de formation et la force de travail soient pilotés par des logiciels, réhabilitant le vieux rêve cybernétique d’un placement immédiat et ajusté (Pillon 2015) : un « appariement » entre offre et demande. Cet intérêt pour les outils numériques implique d’étudier simultanément leurs formes discrètes et les controverses engagées. Certes, au quotidien, la plupart des logiciels, des serveurs et des applications sont mobilisés par des usagers sans polémique. Ils constituent donc une forme invisible de régulation publique des pratiques. Cependant, on assiste depuis peu à la montée de controverses qui soulignent les conséquences ignorées, latentes, implicites, voire cachées, des algorithmes et des données manipulés par le service public d’emploi, vis-à-vis de différents groupes sociaux vulnérabilisés (Allhutter et al. 2020; Prietl 2019).

Le séminaire propose donc de saisir les enjeux de la dématérialisation des services publics d’emploi. D’une part, la mise à distance répond à de très anciennes préoccupations – en matière de placement, comme en témoigne le rêve cybernétique d’une mise en relation instantanée chez les inventeurs des Bourses du travail, ou en matière disciplinaire, comme l’illustre la méfiance marquée chez les hauts fonctionnaires de la plupart des pays européens dans les années 1930 et 1940, soucieux de ne pas concentrer une masse de chômeurs dans un même espace (Buchner 2015). D’autre part, la dématérialisation introduit de nouvelles logiques d’action publique, qui reposent sur une division originale du travail public-privé avec des prestataires éventuellement étranger, accroît la discrétion des choix politiques et reconfigure les inégalités d’usage parmi les usagers et les agents. Ces deux volets se croisent pour reconfigurer profondément l’identité des chômeurs et leur citoyenneté sociale (Sztandar-Sztanderska et Zielenska 2018).

Mais pour les explorer, ce séminaire entend ouvrir la boîte noire des logiciels, des applications et des programmes eux-mêmes. Plutôt que d’étudier la dématérialisation comme processus digital global, ce que de nombreux travaux ont déjà accompli, nous prenons comme objet les outils numériques eux-mêmes pour analyser leurs variations entre pays, institutions, voire agences. Ce faisant, nous considérons les logiciels de l’intermédiation publique – qu’il s’agisse de logiciels de gestion, de traitement du public, de récolte automatisée de données, d’appariement offre/demande ou d’appui aux agents – comme autant de scripts politiques qui équipent inégalement les individus face à différentes épreuves, suivant leur interface et les catégories intégrées (Clouet 2021).

En cela, le séminaire engage une double critique de l’équipement numérique du service public d’emploi : une critique externe, consacrée à l’articulation entre les logiciels et le recours à l’administration ou le marché de l’emploi, ainsi qu’une critique interne, consacrée aux effets sociaux propres des logiciels sur les rapports de force ou les interactions au sein du service public d’emploi.

Organisateurs : 

Hadrien Clouet, chercheur postdoctorant à l'IDHES (Paris Nanterre)
Alizée Delpierre, chercheuse postdoctorante au CSO (Sciences Po)
Jean-Marie Pillon, maître de conférence à l'Irisso (Paris Dauphine)

calendrier des séances

La première séance du séminaire est fixée le lundi 14 mars 2022 de 10h à 11h30, dans la salle de réunion du Centre de sociologie des organisations (1, place Saint Thomas, 75007 Paris). Un plan des locaux est accessible ici.
  • Intervention de Daniela Böhringer, de l'IAQ (Institut sur le travail et les qualifications) à l'université de Duisburg, pour une présentation en anglais intitulée " Self-Service in Action: Characteristics and Implications of Face-to-Screen Encounters in the Welfare State ".
Le séminaire est à la fois en présentiel et via Zoom. Le lien d'inscription, que vous souhaitiez y assister en présentiel ou par voie numérique, est ici.
  • Monday 9th of May, 10-11.30 am Center for Sociology of Organization (or Online).
    Intervention de Karolina Sztandar-Sztanderska (University of Warsaw) "Sloppy statistics and black-boxing of algorithms. Epistemic limitations of the algorithm for profiling the unemployed in Poland". 
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