L’accompagnement des personnes âgées à domicile au temps du Covid-19 : quel rôle des acteurs de la coordination ?
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Par Léonie Hénaut
Article rédigé le 15 avril 2020
Les EHPAD font la une des journaux à cause des nombreux cas de décès suite à l’épidémie de Covid-19. Les personnes âgées accompagnées à domicile - 60 % des 1,3 millions de bénéficiaires de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie), soit 800 000 personnes de plus de 60 ans - font moins parler d’elles, mais que deviennent-elles avec l’épidémie et le confinement ? L’identification des forces et des faiblesses de l’organisation des soins et des services à domicile est nécessaire, d’autant qu’un tel diagnostic pourrait nourrir les réflexions et les débats après la crise. A quelles conditions la qualité de l’accompagnement peut-elle être maintenue, et les effets perturbateurs de plus long terme minimisés ?
Une myriade d’acteurs et ppdes inégalités territoriales
Ce secteur d’activité est tout particulièrement exposé, en premier lieu, parce qu’il concerne directement une population très à risque d’être contaminée par le virus et de mourir en cas d’infection. En second lieu, le bouleversement de l’accompagnement à domicile est à attendre du fait de la multiplicité des acteurs professionnels impliqués, en plus des conjoints et des enfants intervenant comme proches aidants qui fournissent 80 % de l’aide.
Les acteurs les plus repérables sont les organismes délivrant directement des « services à domicile » réguliers comme l’entretien du logement, l’aide aux courses, à la préparation des repas ou à la toilette, les soins infirmiers ou encore la téléassistance. De nombreux professionnels de santé libéraux sont aussi mobilisés, de même que les établissements qui offrent un service d’accueil de jour, les mairies, les associations caritatives, les caisses de retraite, et les équipes médico-sociales des départements en charge de l’attribution de l’APA.
D’autres acteurs interviennent davantage « en coordination ». Certains ont des fonctions de coordination de parcours, c’est-à-dire qu’ils facilitent l’orientation des personnes vers le bon interlocuteur et les assistent dans leurs démarches auprès des différents acteurs cités plus haut. D’autres ont davantage des fonctions de coordination territoriale, c’est-à-dire qu’ils sont chargées d’identifier les manques et les ressources des territoires et d’organiser des réunions de concertation avec l’ensemble des acteurs de l’accompagnement.
Or, les diagnostics territoriaux sont formels : certains départements ou cantons manquent de services d’accompagnement et de soins infirmiers à domicile, de places d’accueil de jour, ou connaissent la problématique des « déserts médicaux ». Les inégalités restent également fortes entre territoires en ce qui concerne la présence et l’activité des acteurs de la coordination gérontologique. On peut alors faire l’hypothèse que la crise du Covid-19 aura des conséquences différentes selon les territoires, non seulement parce qu’ils seront plus ou moins durement exposés à la maladie, mais aussi parce qu’ils étaient plus ou moins bien dotés et organisés.
La suspension des services individuels et des activités collectives
Nous savons déjà que l’épidémie a eu des effets immédiats à domicile dans tous les territoires, même les moins exposés. Certaines personnes âgées ont suspendu d’elles-mêmes le passage des auxiliaires de vie par crainte de la contamination. Dans d’autres cas, ce sont les organismes qui ont dû réduire ou suspendre les services à domicile, en commençant par les moins essentiels comme le ménage, afin de faire face à la pénurie de personnel liée à la maladie ou tout simplement au confinement et à la fermeture des écoles. Si les infirmières libérales continuent d’assurer leur « tournée » quotidienne, les autres professionnels libéraux ont le plus souvent cessé leurs déplacements. Il en va de même des travailleurs sociaux, ce qui fait que les dossiers de demande d’aide ne pourront pas être instruits ni réévalués avant plusieurs semaines.
Les personnes âgées ainsi que leurs aidants, confinés à domicile, ne peuvent plus non plus bénéficier de l’accueil de jour ni participer aux ateliers et autres activités collectives organisées pour elles par les mairies, les associations comme France Alzheimer ou les CLIC, Centres locaux d'information et de coordination (rencontres conviviales, groupes de parole, cours de gymnastique, relaxation, bien-être, informatique). Ce n’est donc pas tant l’épidémie de Covid-19 que le confinement et ses conséquences en cascade qui sont à l’origine de la déstabilisation du secteur.
Coordonner et se coordonner autrement ?
En période de confinement, le rôle des acteurs de la coordination va s’avérer décisif pour les personnes âgées accompagnées à domicile. Pour celles qui ont été hospitalisées, l’enjeu est d’organiser le retour à domicile en coordination avec l’hôpital, la famille, les professionnels libéraux et les organismes de soins et services à domicile. Dans tous les autres cas, il faudra contacter les personnes âgées afin d’évaluer leur situation, recenser leurs nouveaux besoins et, le cas échéant, trouver des solutions de remplacement et s’assurer qu’elles fonctionnent.
Mais selon les territoires, la capacité de réaction, d’adaptation voire d’innovation des acteurs sera sans doute variable. D’abord, une offre de soins et de services insuffisante en temps normal l’est, d’autant plus, en temps de crise. Ensuite, les coordinatrices des Centres communaux d’action sociale (CCAS) et des CLIC qui n’avaient pas eu les moyens de se faire connaître de la population et des professionnels du territoire, ni de suivre leurs usagers, seront forcément mises en difficulté. Celles qui étaient déjà très actives et reconnues par les autres acteurs du territoire ont-elles pu faire face aux nouvelles demandes ? Celles qui, au contraire, étaient plus en retrait, ont-elles pu faire valoir leurs compétences dans ce contexte unique ?
Enfin, cette crise du Covid-19 met à l’épreuve le travail d’organisation et de mise en relation de l’ensemble des acteurs de l’accompagnement des personnes âgées. Dans les territoires où ce travail a été réalisé avant la crise, notamment par les « pilotes MAIA » (Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie), les professionnelles des plateformes territoriales d’appui (PTA) et des nouveaux dispositifs d’appui à la coordination (DAC), on peut penser que les acteurs pourront faire remonter des informations, par exemple sur les services à domicile suspendus, les arrivées de matériel ou encore les places disponibles en EHPAD, et mieux coordonner leurs actions. Quels services en particulier, et quelles formes d’organisation et de gouvernance territoriale, ont joué un rôle déterminant ? Les contacts préalablement établis aux niveaux régional et national ont-ils permis aux acteurs des territoires qui n’avaient pas encore été exposés à l’épidémie d’apprendre de ceux qui s’y étaient déjà affrontés ?
Les aidants et les familles en première ligne
Quelles que soient les capacités de coordination et les efforts consentis par les professionnels, il y a fort à parier que les proches aidants paieront un lourd tribut de la crise du Covid-19. Non seulement ils ont plus de tâches à accomplir au domicile du fait de la suspension de certains services à domicile ou du report de l’entrée en EHPAD, mais ils ne bénéficient plus non plus des solutions de répit ni des rencontres conviviales. S’il sera possible pour certains de maintenir un lien avec les membres des groupes et des cours auxquels ils participaient, par téléphone ou en visio-conférence pour les plus équipés, pour beaucoup le confinement signera l’arrêt des services d’aide aux aidants. Or, l’enrôlement des aidants étant souvent long et difficile à réaliser et à maintenir dans la durée, le moindre arrêt peut entraîner une sortie définitive. Là encore, il est donc d’autant plus crucial que les établissements et les structures de coordination ayant connaissance d’aidants à risque d’épuisement puissent continuer de les suivre et de les accompagner, même à distance, notamment pour éviter que la suspension des services formels conduise à des situations d’épuisement.
En matière de recherche, cette crise offre une occasion unique d’étudier les relations entre « l’aide formelle » apportée par les professionnels et « l’aide informelle » apportée par les aidants : assiste-t-on à une substitution simple d’une forme par une autre du fait de l’évolution soudaine de l’offre de services, ou à une redéfinition avec le report sur d’autres aidants ou d’autres formes d’accompagnement ? Certaines situations particulières devraient aussi être étudiées de près, comme par exemple celle des « jeunes aidants » (enfants et adolescents) qui aura nécessairement évolué à cause du confinement.
Pour conclure, nous rejoignons les appels formulés par la communauté scientifique - voir par exemple le récent appel de chercheurs canadiens, et la création du groupe « COVID-19 Knowledge Exchange Group » au sein de l’International Foundation for Integrated Care (IFIC) - pour documenter les changements dans les pratiques et les organisations des services et des soins à domicile au temps du Covid-19, et tirer toutes les conséquences des dysfonctionnements observés.
Pour aller plus loin
- Marie-Aline Bloch et Léonie Hénaut, Coordination et parcours : la dynamique du monde sanitaire, social et médico-social, Paris, Dunod, Coll. Santé Social, 2014.
- Sébastien Gand, Léonie Hénaut et Jean-Claude Sardas, Aider les proches aidants. Comprendre les besoins et organiser les services sur les territoires, Paris, Presses des Mines, Économie et gestion, 2014.