Etienne Nouguez sur la controverse du Levothyrox et le remboursement des médicaments homéopathiques

« Si l’on se fie à l’écho médiatique et aux procédures judiciaires engagées, "l’affaire" du Lévothyrox® ressemble fortement à celle du Médiator. Mais les ressemblances s’arrêtent là… »

Deux controverses agitent le marché français des médicaments depuis septembre :

  • la première sur la nouvelle formule du Lévothyrox® accusée par de nombreux patients et médecins de présenter de graves effets indésirables ;
  • la seconde sur l’homéopathie dont l’inefficacité est pointée du doigt par le Conseil scientifique des Académies des sciences européennes.

Etienne Nouguez, sociologue des marchés de la santé, a publié un livre, le 26 octobre aux Presses de Sciences Po, sur les médicaments génériques : Des médicaments à tout prix. Sociologie des génériques en France. Il revient sur ces deux polémiques.

Expliquez-nous cette controverse autour du Lévothyrox...

La controverse remonte à la commercialisation des premiers génériques du Lévothyrox® en 2010. Confrontée à une série de signalements de déséquilibres hormonaux ou d’effets indésirables, l’Agence du médicament a diligenté une enquête pour vérifier la biodisponibilité (c’est-à-dire les modalités de diffusion du médicament dans l’organisme) dans des lots de Lévothyrox® et de ses génériques. Constatant de fortes disparités entre les lots et au sein d’un même lot, l’Agence a demandé au laboratoire Merck-Serono de proposer une nouvelle formule du Lévothyrox® « afin de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active (lévothyroxine) tout au long de la durée de conservation du médicament ».

Commercialisée en mars 2017, cette nouvelle formule a été dénoncée dans une pétition qui a recueilli plus de 250 000 signatures en 6 mois et a donné lieu à 14 000 signalements d’effets indésirables adressés à l’Agence du Médicament. Une enquête de pharmacovigilance a donc été diligentée au terme de laquelle l’Agence a remis un rapport concluant que la totalité des effets indésirables résultait d’un déséquilibre thyroïdien lié au changement de formule (la nouvelle formule s’avérant plus « efficace » et conduisant donc le plus souvent à des surdosages) et non pas aux excipients de cette nouvelle formule. La Ministre de la Santé a néanmoins accepté, sous la pression médiatique, de remettre en circulation l’ancienne formule à titre transitoire et de favoriser la commercialisation de traitements alternatifs.

Peut-on parler d’un scandale similaire à celui du Médiator ?

Si l’on se fie à l’écho médiatique et aux procédures judiciaires engagées, l’« affaire » du Lévothyrox® ressemble fortement à celle du Médiator. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Contrairement au Médiator, le Lévothyrox® est un traitement vital pour les 3 millions de patients en France qui souffrent de troubles de la thyroïde et ses bénéfices sont sans commune mesure avec ses risques pour la santé des patients. Le principal problème soulevé par le Lévothyrox® est qu’il s’agit d’un médicament dit « à marge thérapeutique étroite » dont le maniement s’avère non seulement complexe mais dont les effets sont fortement variables d’un patient à l’autre, voire selon les moments pour un même patient. Il faut d’ailleurs rappeler que cette nouvelle formule visait précisément à diminuer ces variations de diffusion du principe actif et à limiter les effets indésirables liés notamment à un excipient à effet notoire présent dans l’ancienne formule (le lactose remplacé par du mannitol et de l’acide citrique qui ne présentent aucun risque d’allergie).

Cette controverse révèle néanmoins deux dimensions fortes du rapport des Français aux médicaments. La première concerne le fort attachement au traitement et la crainte que fait naître la substitution d’un « nouveau » médicament (générique ou non) à celui que les patients ont l’habitude de prendre. Cette méfiance atteint son paroxysme pour des médicaments comme le Lévothyrox® qui traitent une maladie particulièrement perturbante pour les patients et qui supposent souvent un processus long et compliqué pour parvenir à un équilibre thérapeutique satisfaisant. Mais, cette controverse révèle également une méfiance croissante des patients vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique et des autorités sanitaires nourrie par les nombreuses affaires sur des médicaments (comme le Médiator) ou des dispositifs médicaux (comme les prothèses mammaires PIP). Ces affaires ont aussi profondément marqué les autorités sanitaires françaises qui ont cédé à la pression des patients alors mêmes qu’elles étaient persuadées de l’intérêt thérapeutique et de l’innocuité de cette nouvelle formule.

Dans son dernier rapport, le Conseil scientifique des Académies des sciences européennes pointe l'inefficacité de l'homéopathie et demande son non-remboursement. Pourquoi est-ce que l’homéopathie suscite toujours autant de débats ?

Ce rapport est l’énième avatar d’une longue controverse et est révélateur des multiples enjeux, sanitaires mais aussi politiques et économiques, soulevés par les médicaments.

Déjà en 2004, l’Académie Nationale de Médecine avait réclamé le déremboursement total des produits homéopathiques en soulignant qu’ils n’avaient pas fait la preuve de leur efficacité puisqu’ils ne se plient pas aux exigences de la médecine des preuves supposant la réalisation d’essais cliniques.

En réponse, le Ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, s’était prononcé contre leur déremboursement, en soulignant d’une part que ces médicaments étaient consommés par 10 millions de Français et prescrits par 30 000 médecins et d’autre part qu’il ne représentaient que 2 % des dépenses de médicaments de l’époque. Selon le ministre, le déremboursement de l’homéopathie conduirait médecins et patients à se tourner vers d’autres médicaments remboursés, ce qui impliquerait un risque financier avec une hausse des dépenses d’Assurance Maladie et un risque sanitaire avec les effets secondaires des traitements de remplacement.(. Le message que le ministre a souhaité faire passer était que, les médicaments homéopathiques sont peut-être des placebos, mais il est parfois préférable de consommer un placebo à bas prix plutôt qu’un remède de cheval à prix d’or.

Entretien réalisé le 19 octobre 2017

Retour en haut de page