Entretien avec Olivier Borraz sur les risques volcaniques (projet ANR)

"Les sciences sociales ont un rôle à jouer dans l'intégration des connaissances scientifiques produites par les chercheurs en sciences de la terre aux dispositifs de gestion de crise par les décideurs publics."

Olivier Borraz est directeur de recherche au CNRS. Ses travaux portent notamment sur la gestion des risques et des crises. Il a travaillé sur la préparation à la gestion de crise dans le secteur nucléaire, et démarre aujourd’hui un nouveau projet, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), sur les risques volcaniques.

Vous intégrez une équipe, animée par l'Institut de Physique du Globe de Paris, qui réunit des chercheurs de disciplines diverses autour de la question des crises volcaniques. Quel est l’objectif de ce projet ANR ?

Le projet V-Care entend développer un outil d'alerte des éruptions volcaniques. Il prend appui sur des travaux récents en sciences de la terre qui permettent, à partir de l'étude de cristaux présents dans les magmas, d'évaluer le risque d'une éruption volcanique assez longtemps en amont.

La difficulté pour mettre en œuvre un tel outil tient non seulement aux incertitudes qui font que l'on ne peut pas être certain que l'éruption aura bien lieu, mais également dans l'usage qui sera fait d'une telle alerte par les pouvoirs publics et les populations. D'où l'idée de rassembler différentes disciplines, y compris des sciences sociales, pour mettre au point un dispositif d'alerte qui soit utilisable par les services de l'Etat pour préparer l'éventualité d'une éruption, mais aussi par les populations lorsqu'il s'agira de gérer la période d'attente. L'originalité du projet tient au fait qu'il ne conçoit pas l'outil indépendamment de ses utilisateurs et des enjeux de gestion de crise qu'une alerte comporte.

Comment les chercheurs en sciences sociales vont-ils contribuer à ce projet ?

Notre contribution sera de deux ordres. Tout d'abord, il s’agira de cerner la manière dont les services de l'Etat et les populations interprètent des données indiquant un risque élevé d'éruption volcanique, dans un délai compris entre plusieurs mois et plusieurs années. Quel sens peuvent-ils donner à cette information ? Comment peuvent-ils concilier ce nouveau risque avec l'ensemble des autres contraintes qui pèsent sur leur activité ? S'agissant plus précisément des services de l'Etat, dont le CSO assurera l'étude, comment une telle alerte s'inscrit-elle dans les plans de gestion de crise existants ?

Ensuite, il s'agira d'échanger avec nos collègues des sciences de la terre pour les amener à produire des données qui intègrent ces attentes et représentations. Cela se fera à la fois lors de discussions entre nous, mais aussi avec différentes catégories d'utilisateurs. Il s'agira d'amener nos collègues à "sortir de leur zone de confort" pour proposer des informations qui soient compréhensibles et évaluables par les différents utilisateurs. Cela nécessitera au préalable que nous soyons en mesure de mieux saisir les modes de raisonnement et de démonstration employés, afin de ne pas dévoyer la démarche scientifique de nos collègues.

Comment s’est construite la collaboration entre l’IPGP et les chercheurs en sciences sociales ?

L'idée est née au sein de l'IPGP, fort de ses mauvaises expériences concernant les relations entre experts et décideurs. Des psychologues de l’IPGP ont convaincu leurs collègues des sciences de la terre d'engager un projet interdisciplinaire qui permettrait de sortir d'une situation de face-à-face tournant souvent à l'incompréhension entre scientifiques d'un côté et pouvoirs publics de l'autre. Une démarche intégrant les sciences sociales en amont doit permettre de mieux organiser l'espace de discussion entre experts et décideurs.

Des réflexions en ce sens avaient déjà eu lieu entre l'IPGP et Sciences Po lorsque Bruno Latour était directeur scientifique et avait porté un projet de politiques de la terre. Mais à l'époque, les attentes des sciences de la terre à l'égard des sciences sociales portaient surtout sur des enjeux de communication : autrement dit, comment mieux communiquer les savoirs scientifiques auprès des décideurs et des populations - sans remettre en cause la production des premiers.

La nouveauté vient ici de ce que les sciences sociales ont un rôle à jouer dans l'intégration des connaissances scientifiques produites par les chercheurs en sciences de la terre aux dispositifs de gestion de crise par les décideurs publics. Le cœur du projet sera la production de ce que nous avons appelé une "early warning clock" qui sera surtout un dispositif de rencontre et d'échange entre différentes formes de connaissance.

Qu’est-ce que les éruptions volcaniques ont de spécifique par rapport aux crises industrielles ou climatiques ?

Les éruptions volcaniques, comme les tremblements de terre, ont toujours posé la question de leur prévisibilité, car il s’agit d'événements plus difficiles à anticiper que les cyclones ou les ouragans, par exemple. On sait où ils pourront se produire, mais jamais quand. Ils sont relativement rares, mais peuvent avoir des conséquences catastrophiques qui ont souvent frappé l'imaginaire dans le passé. Ce projet s'inscrit donc dans une quête déjà ancienne d’outils de prédiction de ces catastrophes qui permettraient de mieux les rendre gouvernables.

Le CSO conduit actuellement des réflexions collectives sur la question de la décision. Est-ce que vos investigations sur ce projet peuvent contribuer à ce champ de recherche ?

Oui, absolument. Il existe de fait peu d'études sur la décision en situation d'urgence. On pense au livre de Graham Allison sur la crise des missiles de Cuba, ainsi qu'à des études sur les situations de catastrophe. Mais finalement, on sait peu de choses sur la manière dont se construit la décision en situation d'urgence. Les récits ex-post tendent à masquer les nombreuses incertitudes et les facteurs liés au temps et à l'urgence, qui sont pourtant déterminants durant la crise elle-même. Lorsqu'un préfet doit prendre la décision d'évacuer une population ou non, il court le risque de ne pas évacuer alors que le risque se réalise (erreur de type 1) ou d’évacuer alors que le risque ne se réalisera pas (erreur de type 2). Ces deux erreurs ont été commises au 20e siècle à la Martinique (1906) et à la Guadeloupe (1976), c’est entre autre pour cela que nous avons choisi d’étudier ces terrains. Ce passif ne facilite pas la tâche pour le préfet face à la possibilité d’une future alerte. L'enjeu du projet est de voir s'il est possible d'organiser la prise de décision de telle manière à traiter les informations au fur et à mesure qu'elles se présentent, en permettant au préfet de se prononcer en toute connaissance de cause - et en tenant compte de multiples facteurs, y compris d'ordre réputationnel.

Entretien réalisé le 3 mai 2019

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