Entretien avec Marie Degrémont-Dorville au sujet du prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires et de la loi de transition énergétique

Doctorante au CSO, Marie Degrémont-Dorville prépare une thèse de sciences politiques (Libéralisation et montée en puissance des collectivités territoriales. Recompositions politiques et transitions énergétiques) sous la direction d’Olivier Borraz et Patrick Le Lidec (CEE).

Elle accepte de commenter l’annonce faite, le 28 février dernier, par la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, au sujet du prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires et de la loi de transition énergétique.

La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit notamment qu’en 2025 la part du nucléaire dans la production d'électricité passe de 75 à 50%. Est-ce réalisable si la durée de vie des centrales nucléaires est prolongée ?

Au vu de l’âge moyen des centrales nucléaires françaises, en fermer après 40 ans d’exploitation oblige à retirer à peu près 40% du parc nucléaire français d’ici à 2025, entraînant la disparition d’environ 25 gigawatts de capacités de production. En tenant compte des prévisions concernant l’ensemble de la production d’électricité à cet horizon, cela porterait à 40% la part du nucléaire dans cette production, soit moins que l’objectif fixé par la loi. Pour passer de 75% (actuellement) à 50% (souhaité), il faut donc prolonger la durée de vie d’une partie des centrales et/ou mettre en service de nouvelles centrales, comme l’EPR de Flamanville. L’annonce de la ministre ne remet ainsi pas en cause le respect de l’objectif des 50% en 2025, car elle ne précise pas combien de centrales pourront être prolongées. Cette décision est, en priorité, du ressort de l’Agence de sûreté du nucléaire (ASN).

Quel que soit le nombre de centrales dont la durée d’exploitation sera prolongée, cela ne fait que décaler le problème d’une dizaine d’années : que va-t-on in fine faire de ces centrales ? Par quoi vont-elles être remplacées ? Par quel type de moyens de production ? Comment ces choix coûteux seront-ils financés ? Nous avons déjà des idées assez précises des niveaux de consommation à cette échéance, il faut donc prendre des décisions dès maintenant pour préparer cette transition. Elles seront lourdes de conséquences économiques et environnementales : il doit donc y avoir un débat éclairé (sans jeu de mots) à ce sujet.

La prolongation de la durée d’exploitation des centrales répond à d’autres objectifs de la loi de transition énergétique, comme la sécurité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique.

Pour le premier, il faut pouvoir remplacer les quelques 170 térawattheures annuels qui ne seront plus produits par des centrales nucléaires. La consommation d’électricité n’est pas près de diminuer, et les scénarios de production indiquent que les énergies renouvelables électriques les plus prometteuses (éolien, photovoltaïque) permettront de produire autour de 40 térawattheures supplémentaires d’ici à 2025. On est donc loin du compte. Par quoi va-t-on combler cette différence ? Du gaz ? Du charbon ? C’est le plus probable. Il faudra les importer, et depuis plusieurs années les institutions du système énergétique alertent les pouvoirs publics sur les risques de pénurie à court et moyen terme.

C’est là qu’intervient le deuxième objectif, climatique. La loi de transition énergétique impose qu’en 2030 les émissions de gaz à effet de serre soient inférieures de 40% à celles de 1990. Ce n’est pas en mobilisant les énergies fossiles pour compenser le déficit de production électrique que nous y parviendrons. C’est même tout le contraire qui risque de se produire.

Dans ce contexte, il est donc urgent de mener une réflexion d’ensemble sur nos niveaux et nos types de consommation et sur les choix qui en découlent en termes de modes de production d’énergie.

Que peut-on dire du paysage énergétique en France, source de 150 000 emplois ? Il était question de fermer deux réacteurs, normalement ceux de la centrale de Fessenheim…

Ces décisions ont aussi de lourdes implications sociales. Le nucléaire représente entre 100 000 et 120 000 emplois directs en France, beaucoup plus si l’on considère les emplois indirects. La fermeture et le démantèlement des centrales changent profondément le profil des emplois concernés. Il faut donc faire attention lorsqu’on évoque les possibilités de reconversion de la main d’œuvre concernée. Il faut également être prudent en mettant en avant les emplois dits « verts » : leur nombre est difficilement estimable, et rien ne dit que ces filières embaucheront beaucoup.
Tout cela nécessite des transitions sociales à préparer sereinement.

En outre, la loi de transition énergétique a vocation à développer les énergies renouvelables, domaine dans lequel la France accuse un retard… Quelles sont vos observations ?

Il est vrai que la France est en retard par rapport à ses objectifs européens de production d’énergie renouvelable, mais il faut rappeler qu’elle reste un des pays de l’Union européenne avec le plus faible niveau d’émissions de gaz à effet de serre par habitant. Ses défis sont avant tout dans le domaine de l’efficacité énergétique, principal levier pour diminuer son empreinte carbone ; et de la recherche des moyens de ne pas accroître sa consommation d’énergies fossiles.

Entretien réalisé le 12 mars 2016

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