Entretien avec Jérôme Pélisse, nouveau professeur des universités rattaché au CSO

« Entre les travaux sur les entreprises et les firmes, les groupes professionnels ou les risques notamment en matière de santé qui constituent autant de thèmes travaillés au CSO, j’ai de nombreux collègues avec qui échanger ! »

Jérôme Pélisse rejoint Sciences Po en tant que professeur des Universités, rattaché au CSO.

Vos recherches sont à la croisée de la sociologie du travail et sociologie du droit, de la sociologie des relations professionnelles et sociologie des organisations. Avant d’entrer à Sciences Po, quelles étaient vos relations avec les chercheurs du CSO ?

J’ai croisé le CSO comme entité collective de deux manières depuis que je fais de la sociologie comme étudiant puis enseignant-chercheur.

La première est pédagogique et se déroule pendant mes années de formation puis, comme maître de conférences à Reims. Chargé de plusieurs cours de (psycho)sociologie des organisations entre 2005 et 2010, j’ai présenté à de nombreux étudiants en technique de commercialisation à l’IUT ou sciences sanitaires et sociales à l’Université, les apports de l’analyse stratégique qu’ont développé les fondateurs du CSO. Enseigner l’analyse sociologique des organisations est une manière très pédagogique de faire comprendre aux étudiants ce qu’apportent les sciences sociales à la compréhension de nos sociétés.

La seconde rencontre avec les chercheurs du CSO – ceux d’aujourd’hui– s’est faite par ma participation en 2012 à un séminaire sur l’entreprise organisé par Pierre François, Claire Lemercier et Denis Segrestin, durant une année. Nous y avons lu des textes, j’ai animé l’une des séances et j’ai à cette occasion rencontré et échangé avec plusieurs membres du CSO autour de la nature institutionnelle des entreprises et des relations professionnelles, la nécessité de saisir le droit à la fois comme un cadre et une ressource pour les organisations, ou les apports de la sociologie du droit américaine dans ce domaine. De fait, entre les travaux sur les entreprises et les firmes, les groupes professionnels ou les risques notamment en matière de santé qui constituent autant de thèmes travaillés au CSO, j’ai de nombreux collègues avec qui échanger et à qui je peux sans doute apporter !

Vous vous intéressez aux intermédiaires du droit et aux processus actuels de juridicisation des relations de travail et des activités économiques. Qui sont ces acteurs et quelles places tiennent-ils ?

J’ai en effet proposé d’élaborer cette catégorie d’intermédiaires du droit dans mon HDR (Habilitation à diriger des recherches) soutenue en décembre dernier. Il s’agissait par-là de prendre en compte ces professionnels qui ne sont pas des professionnels du droit mais le manient au quotidien dans leurs activités professionnelles. Ces intermédiaires contribuent à cadrer les formes de légalité ordinaire des usagers, collègues, clients ou autres salariés qu’ils représentent, sur ou avec qui ils travaillent. Me centrer sur ces acteurs, comme les experts judiciaires, les conseillers emplois, les DRH et les militants syndicaux ou les responsables sécurité dans les laboratoires de nanosciences que je suis en train d’étudier, vise à éclairer les processus d’endogénéisation du droit. C’est à dire les manières dont ces intermédiaires situés à l’interface entre droit et organisation contribuent à juridiciser les relations de travail, autrement dit à faire du droit une référence de plus en plus présente dans les interactions quotidiennes de travail ou les échanges économiques.

Observez-vous des changements de processus entre le pouvoir politique, le monde du travail et le monde économique ?

Mes travaux, depuis ma thèse sur les 35 heures soutenue en 2004, intègrent en effet toujours l’action publique et en particulier le fait qu’elle passe la plupart du temps par l’énoncé de règles juridiques qui visent à encadrer mais aussi donner des significations (des modèles ou des références pour l’action) et permettre des mises en débat. En ce sens, le pouvoir politique entendu dans un sens institutionnel, est un lieu essentiel d’élaboration de ces règles, même s’il est concurrencé par bien d’autres acteurs ou enceintes qui développent des règles juridiques (comme les juges et les tribunaux) mais aussi des règles techniques (les normes ISO par exemple), professionnelles ou sociales – et toutes ces règles ont aussi des portées normatives. Le monde politique est donc loin d’exercer un pouvoir univoque ou même important sur le monde du travail ou le monde économique, qui sont aussi dotés d’instances politiques qui font valoir leurs intérêts. Et aujourd’hui tous les intérêts ne sont pas défendus avec les mêmes ressources, loin de là, tant le pouvoir politique de certains, au sein du monde du travail ou du monde économique, peut s’appuyer sur des ressources matérielles et symboliques que certains concentrent et d’autres peinent à réunir.

Quels enseignements donnerez-vous aux élèves de Sciences Po ?

Pour cette année, je découvre un peu l’institution que je connais en réalité assez mal. Mais je prévois d’assurer un suivi et un encadrement d’étudiants de master de sociologie – en collaboration avec Gwenaële Rot, notamment dans le cadre d’une enquête collective avec la Mairie de Paris pour les « première année » de master. Je prévois aussi de proposer en seconde année un cours de sociologie du droit développant notamment les apports de la sociologie américaine, très dynamique dans ce domaine, et d’initier à l’analyse des relations professionnelles les étudiants du master Organisations et Ressources Humaines.

Quels sont vos projets ?

M’intégrer au CSO et échanger avec les collègues tout d’abord ! J’ai sinon un programme assez dense puisque j’envisage d’écrire au moins deux ou trois articles, notamment tirés de la recherche que j’ai coordonnée pour la DARES sur l’exploitation quantitative et monographique de la dernière édition de l’enquête REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprises, 2011). J’envisage également écrire un ouvrage s’appuyant sur l’enquête que je suis en train de terminer sur la gestion de la sécurité dans les laboratoires de nanosciences en France et aux Etats-Unis.

Entretien réalisé le 17 septembre 2015

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