Entretien avec Daniel Benamouzig au sujet de l’organisation d’un plan d’actions pour la programmation de la recherche en santé

En mai 2014, le Président de la République a confié à l’Alliance Aviesan la mission de préparer et d’organiser un plan d’actions pour la programmation de la recherche en santé. Une synthèse de ce plan a été remise le 15 juillet dernier à Marisol Tourraine, Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de la femme, et à Thierry Mandon, Secrétaire d’Etat à la Recherche. Daniel Benamouzig a participé à l’élaboration de ce plan en tant que Directeur adjoint de l’ITMO de Santé Publique de l’Alliance Aviesan. Il nous en présente la teneur et les enjeux.

Revenons tout d’abord sur les raisons de la mission de la programmation de la recherche en santé...

Avant cela, j’aimerais souligner l’importance du titre de la mission, qui s’étend au-delà de la seule recherche médicale et inclut la santé dans son ensemble, incluant ainsi la santé publique et les sciences sociales plus singulièrement. Cette mission est liée à un constat simple : il existe en France une très grande diversité et un certain éparpillement des moyens de recherche consacré à la recherche en santé avec l’existence de nombreuses structures telles que l’INSERM, l’ANR, le CNRS, l’INCA, les caisses de sécurité sociale, différentes directions des ministère… Et le paysage s’est progressivement complexifié. Au point que dans le domaine des recherches contractuelles, sur appels à projets, le paysage est devenu à peu près illisible pour les décideurs, pour les chercheurs et pour les acteurs internationaux. Par exemple : il n’existe pas de vision d’ensemble des budgets consolidés de la recherche sur projets alors que ce domaine est important puisqu’il concerne un très grand nombre de disciplines (chimie, biologie, sciences humaines et sociales…). Il était indispensable de réfléchir à une meilleure coordination et une plus grande lisibilité de l’action publique dans ce domaine. La réflexion sur la programmation répond à cette exigence.

Pourtant, cette recherche s’est structurée…

Effectivement, ces dernières années, d’importants efforts de coordination et de transversalité ont été engagés comme en témoigne la création de structures transversales, comme l’INCA –Institut National du cancer - qui coordonne la recherche dans ce domaine, l’IRESP – Institut de recherche en santé publique - ou Aviesan – Alliance nationale pour les Sciences de la vie et de la santé – qui rassemble l’ensemble des opérateurs publics intervenant dans son périmètre de compétence. Au titre de cette convergence, deux axes de l’action publique ont aussi été lancés au cours des dernières années : une Stratégie nationale de recherche pilotée par le ministère de la Recherche, dont un atelier porte sur la recherche en santé et une Stratégie nationale de santé pilotée par le ministère de la Santé. Cette philosophie de coordination a d’ailleurs aussi concerné le secteur privé, les industriels intervenant dans le domaine de la santé s’étant organisé en miroir de cette organisation publique. On ne part donc pas de rien.

Néanmoins, le dispositif de recherche en France reste fragmenté. En mai 2014, lors de la cérémonie des 50 ans de l’INSERM, le Président, François Hollande, missionne AVIESAN – dont vous êtes membre – pour réfléchir à un plan d’actions pour la programmation de la recherche en santé en France.

Créé en 2009, AVIESAN a pour mission de développer une coordination scientifique des grandes thématiques de recherche, transversales à tous les organismes, et une coordination opérationnelle des projets, des ressources et des moyens. La mise en œuvre de ces objectifs est réalisée au sein des neuf instituts multi-organismes, les ITMO. Leur rôle principal est d’animer la réflexion stratégique auprès de leurs communautés scientifiques respectives. Ils interviennent sur un continuum allant de la biologie jusqu’à la recherche clinique et à la santé publique. Il existe en particulier un ITMO en Santé publique, dirigé par Geneviève Chêne et dont je suis directeur adjoint. Cet ITMO s’est vu confier par le Président d’AVIESAN la mission d’élaborer et d’animer le plan d’action pour la programmation de la recherche en santé en raison de la transversalité de la santé publique, qui peut dialoguer avec l’ensemble des disciplines et communautés de recherche concernées. Nous nous sommes de fait trouvés au cœur du dispositif de programmation au cours de l’année écoulée.

Quels sont les constats de cette mission après neuf mois de travail ?

Nous relevons quatre constats majeurs : une forte complexité politique et institutionnelle du fait des très nombreux acteurs intervenant dans ce domaine avec des intérêts différents, voire quelque fois divergents ; une volonté de renforcer la convergence entre les acteurs de la recherche en santé ; la prise en compte de réflexions et d’actions qui ont déjà été menées en matière de convergence, comme par exemple la Stratégie nationale de recherche ; et enfin, las but not least, l’importance de communautés de chercheurs promptes à se mobiliser. Partant de ces constats, il nous est apparu nécessaire de déplacer le curseur des initiatives depuis l’administration, concernée au premier chef par ces financements, vers les communautés de recherche elles-mêmes, qui sont les mieux à mêmes de signaler les priorités stratégiques en termes de recherche. En France, et contrairement à ce que l’on observe dans d’autres pays, la culture d’association des chercheurs aux activités de financement de la recherche en santé est inégalement répartie dans l’administration. Il s’est agi de la conforter et de la faire partager. C’est une entreprise de longue haleine à laquelle la programmation de la recherche en santé peut contribuer.

Quelle est la teneur du plan d’actions que le groupe de travail a remis aux ministres ?

Partant de ces constats, nous proposons la création d’un dispositif inclusif, prévisible et évolutif. Prévisible et évolutif car il sera reconduit chaque année à partir des acquis de l’année précédente et pourra être ainsi amélioré chaque année. Inclusif puisqu’il intégrera l’ensemble des communautés de la recherche concernées, ainsi que des acteurs non académiques, parfaitement légitimes pour identifier des priorités de recherche. En effet, en amont de la programmation chacun des neufs ITMO associe, dans son domaine de recherche des acteurs pertinents tels que des chercheurs, des responsables administratifs, et bientôt des industriels et des représentants de patients … La démarche se veut ouverte et pluraliste. Ces travaux permettent d’identifier chaque année des priorités de recherche, en tenant compte de celles qui ont été retenues l’année précédente, pour les prolonger ou les réviser.

Il faut aussi ajouter un volet plus organisationnel, piloté par l’ANR. Il vise à mutualiser une logistique et une méthode d’évaluation communes. Cela implique la mise en place d’un site internet commun à l’ensemble des appels d’offres, d’un formulaire « type » de réponse aux appels à projets et d’un planning annuel régulier partagé par tous les acteurs de la recherche. L’évaluation s’effectuera, quant à elle, au sein de jury organisé pour chaque appel à projet dans le respect de normes d’indépendance et d’excellence scientifique, garanties par l’ANR. Tout cela ne peut fonctionner sans l’adhésion des financeurs à cette nouvelle démarche, que beaucoup pratiquent déjà depuis plusieurs années. La nouveauté tient à la transversalité et la coordination d’ensemble du processus de programmation. Nous l’avons déjà fait fonctionner grandeur nature au cours de l’année à titre expérimental, nous devons maintenant le consolider, l’améliorer et surtout le faire progressivement partager par les communautés de recherche concernées.

Plusieurs centaines de chercheurs sont mobilisés par les différents ITMO pour définir des priorités scientifiques. Comment fonctionnent ces groupes de travail ?

Les groupes thématiques des neufs ITMO identifient et justifient des axes prioritaires de recherche. Ils sont constitués à dessein et leur pluralisme les rend à même de faire ce travail d’une année sur l’autre. Mais, comment passer de plusieurs dizaines d’axes thématiques à quelques priorités nationales, étant entendu que les priorités sont par définition hétérogènes ? Seuls des critères explicites et partagés, portant à la fois sur les objectifs généraux des priorités et sur les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre permettent de poser cette redoutable équation ! Nous avons donc identifié des paramètres et des méthodes permettant de rendre plus explicites la hiérarchisation des priorités. Des expériences conduites à l’étranger sont regardées de près, et cette réflexion sera progressivement amendée à l’usage. Au final, les priorités sont arbitrées par un comité de pilotage national et par un comité scientifique international.

On imagine combien les enjeux sont importants à l’image du secteur de la recherche en santé en France…

C’est un espace dynamique qui représente environ 200 millions d’euros annuels. Environ 800 projets de recherche en moyenne sont financés chaque année. Mais force est de constater que ces efforts sont peu coordonnés. Or ce domaine de recherche fait face à des enjeux transversaux importants, comme en témoigne par exemple l’émergence des données numériques et une production massive d’information.

Vos propres recherches sur l’évaluation économique dans le domaine de la santé vous ont certainement été utiles pour aborder cette mission ?

Effectivement mais c’est une pure coïncidence car cette « commande » émane du Président de la République ! J’ai mené des études comparatives en Grande-Bretagne et en Allemagne. J’ai notamment dirigé un projet intitulé « Evaleco », dans le cadre duquel je me suis intéressé à une agence britannique, le NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence), chargée d’évaluer l’efficience des innovations thérapeutiques avant leur mise sur le marché. En regardant les choses de plus près, il apparaît que cet organisme a pour une part importante été suscité par un petit groupe d’économistes ayant préalablement participé à un exercice de programmation de la recherche en santé, proche de celui qui a été envisagé en France. Ils étaient en particulier chargés de réfléchir à la hiérarchie des priorités à partir de critères explicites de valorisation, ce qui leur permettait d’occuper une position transversale dans le dispositif. Considéré à distance, le schéma britannique n’était pas sans utilité pour imaginer un dispositif adapté aux spécificités françaises, et pour analyser, chemin faisant, le dispositif que nous étions en train de concevoir. La comparaison révèle des différences sensibles d’un pays à l’autre. En Grande-Bretagne, l’antériorité de la réflexion sur la programmation recherche et l’implication des économistes ont ensuite permis d’associer, de manière assez fluide, les communautés de recherche concernées, notamment celle des économistes de la santé, au travail d’évaluation des innovations thérapeutiques conduit par une agence publique. A l’inverse, l’agence homologue française, la Haute Autorité de Santé, a été créé en 2004 dans le cadre d’une loi réformant l’assurance maladie, indépendamment de toute réflexion sur la recherche. Plusieurs années après, elle a du mal à travailler avec le monde académique, dont dépend pourtant la qualité de ses expertises scientifiques. Mes travaux m’ont permis de mieux connaître les vertus et les limites des deux systèmes, et dans une certaine mesure d’éclairer les orientations privilégiées en France. D’un point de vue plus personnel, cette mission a constitué un cadre d’observation et d’action tout à fait privilégié pour un sociologue des organisations. Ni purement critique, ni contemplatif, j’étais en position d’acteur agissant au titre d’une connaissance produite en sciences sociales : une sorte de translation d’une recherche en sciences sociales vers la décision et l’action publiques. Mais au-delà de la conception collective, le dispositif de programmation de la recherche en santé doit continuer d’évoluer au cours des prochaines années pour devenir un instrument de pilotage plus cohérent et plus lisible, pour les pouvoirs publics aussi bien que pour les chercheurs auxquels il est destiné.

Entretien réalisé le 12 novembre 2015

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