David Santana sur l’actualité du nucléaire en France

« La reconversion des emplois du nucléaire implique des réflexions différentes selon qu’il s’agit de la fermeture de quelques centrales seulement ou d’un arrêt rapide et total du nucléaire. »

Alors que notre avenir énergétique est un des enjeux de la campagne présidentielle, au cours des derniers mois ce sont des problèmes de sécurité nucléaire qui ont nourri l’inquiétude concernant la fourniture d’électricité à l’approche de l’hiver. Plus récemment, entre d’autres actualités concernant l’EPR de Flamanville ou la recapitalisation d’Areva, nous apprenions la décision d’EDF de fermer la centrale de Fessenheim.

David Santana vient de soutenir une thèse financée par EDF sur la sûreté dans l’industrie nucléaire. Il nous aide à comprendre les enjeux de la situation de la France vis-à-vis du nucléaire.

Où en est la France vis-à-vis du nucléaire ? Est-elle en train de préparer l'après nucléaire ?

Pour l’instant il n’y a pas vraiment de réflexion ou de préparation sur l’après nucléaire, si ce n’est de la part d’associations anti-nucléaires. Le scénario officiel est celui d’une poursuite de la production nucléaire telle qu’on la connaît, avec peut-être quelques fermetures de centrales dans les prochaines décennies. Les débats sur la transition énergétique ont démarré, mais tout cela reste très hypothétique.

Si des motivations écologiques poussent vers la fin du nucléaire, la fermeture des centrales nucléaires représente un enjeu en matière d'emploi. Comment surmonter cette difficulté ?

Il est vrai que l’industrie nucléaire est une grande pourvoyeuse d’emplois en France, entre 50 000 et 200 000 selon les emplois concernés. La centrale nucléaire de Fessenheim emploie directement et indirectement entre 1000 et 2000 personnes selon les périodes.

La reconversion des emplois du nucléaire implique des réflexions différentes selon qu’il s’agit de ne fermer qu’une ou quelques centrales ou que l’objectif est un arrêt rapide du nucléaire.

La fermeture de Fessenheim pourrait être facilement absorbée par EDF grâce à des départs à la retraite anticipés ou à la redistribution de certains employés dans la région. D’ailleurs, « fermer » une centrale n’implique pas de la vider complètement : même après un arrêt définitif, il faut continuer à surveiller le réacteur 24h/24h, ce qui implique de continuer à employer des équipes de conduite et de maintenance réduites. Ensuite, les centrales nucléaires doivent être démantelées, ce qui demande des compétences particulières qui pourraient en partie être fournies par les ingénieurs et techniciens d’EDF. Si l’on ne sait pas vraiment comment déconstruire les vieux réacteurs, on sait que ce sera une opération techniquement difficile et qui prendra quelques dizaines d’années pour chacun d’entre eux. Pour l’instant, EDF a décidé de repousser à 2100 le démantèlement de ses six réacteurs graphite-gaz arrêtés dans les années 1970-1980. Peut-être que ses employés hautement qualifiés pourront participer à ces chantiers ?

Dans un contexte de transition énergétique et de fermeture totale du nucléaire, une réflexion plus large devra être engagée pour reconvertir les emplois du nucléaire dans d’autres domaines techniques. Cela a été fait, dans une moindre mesure, par le passé avec les ouvriers des Charbonnages de France par exemple. Sur ce point, les associations anti-nucléaires avancent que l’investissement dans de nouvelles formes d’énergie et dans la sobriété énergétique (isolation des bâtiments notamment) apportera bien plus d’emplois que ceux du nucléaire. Mais ce ne seront pas forcément des agents EDF et la reconversion de ces agents qui sont attachés à leur outil de production et à leur territoire ne sera pas aisée.

On vient d'apprendre la décision d'EDF de fermer Fessenheim en 2018. Quelles sont les motivations de cette décision ?

La motivation est principalement politique : il s’agit d’une promesse de François Hollande. Si Fessenheim a été au centre de l’attention, c’est d’abord parce qu’il s’agit de la plus vieille centrale nucléaire de France, mise en service en 1978, or les centrales nucléaires avaient été prévues pour une durée de vie de 40 ans. Du point de vue de la sûreté nucléaire, depuis 2005 Fessenheim a eu à gérer quatre incidents de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7. Par ailleurs, on a découvert qu’elle se situait dans une zone à risque sismique, certes plus faible qu’au Japon, mais non négligeable. Fessenheim est aussi la centrale sur laquelle pèse le plus le regard international car elle est frontalière de l’Allemagne et proche de la Suisse. Les anti-nucléaires des trois pays s’y retrouvent ainsi régulièrement.

Tous ces éléments ont fait que la centrale nucléaire de Fessenheim a été constamment au centre de l’attention médiatique, militante et politique. L’annonce de la fermeture a ainsi de quoi apaiser de nombreuses tensions, mais pour les anti-nucléaires ce ne sera pas suffisant.

Ces derniers mois, on a parlé de failles de sécurité dans les cuves de sept réacteurs, à l'EPR de Flamanville et à l'usine du Creusot. Le contrôle de la sécurité nucléaire en France est-il efficace et qui en sont les protagonistes ?

La régulation française de la sûreté nucléaire repose sur un dialogue technique approfondi entre l’Autorité de Sûreté Nucléaire (en charge du contrôle), l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (en charge de l’expertise) et les exploitants. Ce dialogue fait la force du système français et le rend en même temps moins transparent pour les citoyens par rapport à celui beaucoup plus formel des pays anglo-saxons.

Dans les centrales nucléaires d’EDF particulièrement, tout incident ou évènement significatif est reporté en interne et à l’Autorité de Sûreté Nucléaire par des services de sûreté plutôt indépendants des préoccupations opérationnelles liées à la production. Par ailleurs, la pratique du « retour d’expérience » est bien installée, elle permet de produire des connaissances sur les incidents et accidents afin de mieux les prévenir dans le futur.

Cependant, les exemples du Creusot (Areva) et du chantier de l’EPR montrent que ce système a ses limites. Au Creusot, les anomalies mises à jour datent de plusieurs dizaines d’années, indiquant des dissimulations permises par le management. Elles laissent imaginer un « côté obscur » de l’organisation de l’usine qu’il va falloir mettre à jour et réformer. Ces anomalies ont par ailleurs un impact sur toute la filière nucléaire et fragilisent la production d’électricité. Le chantier de l’EPR est quant à lui un bon exemple des dérives des pratiques du BTP : prévisions de fin de chantier beaucoup trop optimistes, pressions à la baisse des coûts.

Le contrôle nucléaire comme l’industrie nucléaire font face à des enjeux de taille. L’Autorité de Sûreté Nucléaire et les entreprises concernées vont devoir analyser ces failles dans le détail pour s’assurer qu’elles ne se reproduiront plus, tandis qu’EDF va devoir convaincre de sa capacité de rallonger la durée de vie des centrales nucléaires.

Entretien réalisé le 21 février 2017

Retour en haut de page