D’un mémoire sur les poubelles à une thèse sur le gaspillage alimentaire. Entretien avec Marie Mourad

Doctorante au Centre de Sociologie des Organisations, Marie Mourad prépare une thèse sur la prise en charge collective et institutionnelle du « gaspillage alimentaire » en France et aux États-Unis. Elle rentre des USA où elle a passé huit mois à l’Université de Berkeley dans le cadre d’un échange doctoral avec Sciences Po.

Pourquoi vous intéressez-vous au gaspillage alimentaire ?

Mon mémoire de master portait sur les formes de militantisme concernant le gaspillage alimentaire, notamment sur les groupes de militants qui récupèrent les aliments dans les poubelles et les associations qui les redistribuent. Ce gaspillage, qui nous concerne tous, m’intéresse d’autant plus que le sujet s’institutionnalise. Des chiffres circulent au niveau mondial, comme l’estimation avancée par l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) de 20kg par personne et par an de gaspillage en France. Le sujet dépasse le cadre du militantisme et se place désormais au niveau des politiques publiques. En 2012, le gouvernement proposait un Pacte national contre le gaspillage alimentaire avec pour objectif de le faire baisser de moitié en France d’ici à 2025. En mai dernier, la loi sur la transition énergétique était votée à l’Assemblée nationale et elle inclut une « interdiction de jeter » des aliments comestibles. C’est un vrai sujet d’actualité mobilisant des associations de militants, des ONG, des entités publiques sur les sujets d’alimentation et environnement, des entreprises liées à l’agro-alimentaire, la grande distribution et la restauration. Ma thèse se concentre sur plusieurs cas empiriques, notamment le Pacte National en France et le Zero Food Waste Forum aux Etats-Unis.

Quelle est la définition du gaspillage alimentaire ?

Cette notion de gaspillage alimentaire est subjective, il existe plusieurs définitions selon les acteurs ou organisations concernés. Par exemple, pour un hypermarché, un article est gaspillé dès lors qu’il est invendu. Pour une association, un produit qui est donné mais qui n’est pas consommé est gaspillé. A l’échelle d’une ville, le gaspillage concerne aussi la gestion des déchets. On peut toutefois avancer une définition du gaspillage alimentaire comme étant une utilisation sous optimale de ressources pour un acteur donné. On note aussi une notion de « pyramide » ou de « hiérarchie » des différentes actions à mettre en œuvre – nourrir des humains, des animaux, produire de l’énergie - générant des tensions entre elles. Par exemple, si un produit est consommé par des individus, il n’est pas gaspillé mais qu’en est-il s’il se transforme en compost ? Ces frontières font débat.

Comment agir sur ce gaspillage alimentaire ?

Les organisations mettent en place plusieurs formes de prise en charge : le recyclage des « déchets » ou de « gisements », la redistribution des surplus existants aux plus démunis, l’optimisation des processus et la réduction des « pertes », et la prévention. Pour les acteurs les plus radicaux, l’objectif est de changer le fonctionnement du système agroalimentaire afin de produire et de consommer moins ou mieux. C’est ainsi qu’est née en France et aux USA la campagne sur les fruits et légumes « moches » mais bons à consommer. Cette initiative de la grande distribution est néanmoins controversée car elle pourrait représenter une optimisation marketing sans remettre en question le fonctionnement du système...

Qu’avez-vous fait pendant votre séjour à l’Université de Berkeley ?

Grâce au partenariat entre Sciences Po et l’Université de Berkeley, j’ai assisté, en tant qu’auditeur libre, à des cours en sociologie sur les systèmes alimentaires, spécifiquement destinés à des doctorants.
En octobre dernier, le Zero Food Waste Forum, le forum national sur le gaspillage alimentaire aux USA, se tenait justement à Berkeley et cette manifestation m’a permis d’identifier et de travailler avec les principaux acteurs américains en matière de gaspillage alimentaire. Ce fut une belle opportunité de terrain avec plus de 90 entretiens menés en 8 mois. De retour en France, je dois maintenant aborder un important travail d’analyse et de comparaison des données.

Entretien réalisé le 19 juin 2015

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