Accueil>La transition écologique à l’épreuve du social : comment les sciences sociales aident à gouverner le changement

02.12.2025

La transition écologique à l’épreuve du social : comment les sciences sociales aident à gouverner le changement

La transition écologique à l’épreuve du social : comment les sciences sociales aident à gouverner le changement

Un entretien paru dans CNRS Sciences Humaines et Sociales suite à la parution de l'article de recherche La crise écologique comme fait social. Penser le gouvernement de la transition avec les sciences sociales (Acédémie des Sciences/Géoscience)

La crise écologique est souvent présentée comme un problème technique qui nécessiterait avant tout des innovations ou des changements de comportements individuels. Pourtant, les sciences sociales montrent qu’il s’agit aussi d’un phénomène profondément enraciné dans l’histoire et l’organisation de nos sociétés. Comprendre ces dimensions collectives est indispensable pour penser une transition à la fois réaliste et juste. C’est ce qu’explique Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherche CNRS, directrice du Centre de sociologie des organisations et membre du Haut Conseil pour le Climat, dans un article paru dans les Comptes Rendus. Géoscience.

Une crise écologique qui est aussi une crise des sociétés

Le changement climatique n’est pas seulement un phénomène naturel, mais le produit de choix économiques, techniques et politiques qui ont façonné nos modes de vie depuis plus d’un siècle. Ses effets — des événements extrêmes aux bouleversements économiques — traduisent la manière dont nos sociétés ont construit une forte dépendance aux énergies fossiles. Malgré cela, les sciences sociales restent encore trop peu sollicitées pour éclairer ces enjeux.

Ce que montrent les sciences sociales

Les disciplines comme la sociologie ou l’histoire environnementale mettent en évidence le rôle des institutions, des infrastructures et des normes culturelles dans la formation de nos comportements. Elles montrent que nos gestes quotidiens sont guidés par des cadres matériels et symboliques qui ont été progressivement mis en place et qui rendent certains modes de vie plus évidents ou plus légitimes que d’autres. Elles aident ainsi à comprendre les causes profondes de la crise écologique.

Les limites d’une approche centrée sur les individus

Le débat public, en insistant sur les « bons comportements », donne l’impression que la transition repose avant tout sur les choix individuels. Cette vision ignore que nos sociétés ont été structurées pour fonctionner avec une forte consommation d’énergie fossile. Les infrastructures, l’organisation des territoires, les régulations économiques et les habitudes culturelles pèsent lourdement sur ce que chacun peut réellement faire. Voir la crise comme la somme de comportements individuels revient donc à occulter la dimension collective de ces contraintes.

Une « acceptabilité sociale » souvent mal comprise

Lorsqu’une mesure climatique rencontre de la résistance, elle est souvent attribuée à un manque d’acceptabilité sociale. Les sciences sociales montrent pourtant que cette notion est plus complexe : toute politique publique s’inscrit dans un système d’infrastructures et de normes qui conditionne sa réception. Ce qui paraît être un refus de changer relève souvent d’une inadéquation entre les mesures proposées et les réalités matérielles ou sociales dans lesquelles vivent les citoyens.

Le rôle central des inégalités

Les approches centrées sur les comportements passent souvent sous silence les inégalités d’exposition, de contribution et de capacité d’action face au changement climatique. Les ménages les moins favorisés, bien que peu émetteurs, sont les plus vulnérables aux effets de la crise et les plus touchés par certaines politiques de transition. Ces inégalités proviennent de contraintes structurelles — logement, transports, ressources — qui nécessitent des réponses collectives plutôt qu’un appel à la « bonne volonté ».

Repenser le changement social

L’idée que les changements se diffuseraient simplement de proche en proche, par imitation ou prise de conscience individuelle, ne correspond pas à la réalité. Les modes de vie actuels sont le produit d’un long processus d’institutionnalisation, soutenu par des infrastructures, des politiques publiques et des représentations culturelles. En ce sens, la transition écologique doit elle aussi reposer sur une transformation profonde des cadres collectifs qui rendent possibles des pratiques plus sobres.

Une transformation institutionnelle à engager

Sortir de la dépendance carbone nécessite de revoir en profondeur les infrastructures, les normes et les institutions qui organisent nos vies. Il s’agit d’un chantier démocratique, car il implique de redéfinir ce que nos sociétés considèrent comme souhaitable et viable. Les sciences sociales jouent ici un rôle essentiel en éclairant les mécanismes qui structurent nos comportements et en aidant à concevoir des politiques à la fois efficaces et équitables.

En conclusion, la transition écologique ne peut pas se réduire à un appel à la responsabilité individuelle. Elle nécessite de comprendre comment nos sociétés ont été façonnées par des choix collectifs qui ont rendu certains comportements difficiles à changer. En éclairant ces dynamiques, les sciences sociales montrent que la transformation à mener est autant institutionnelle et matérielle que culturelle. Intégrer pleinement ces connaissances permet d’imaginer une transition plus juste, plus réaliste et mieux à même d’affronter la crise écologique.

Référence :

Dubuisson-Quellier S. 2025, La crise écologique comme fait social. Penser le gouvernement de la transition avec les sciences sociales, Comptes Rendus. Géoscience 357 : 401-409. 

(crédits : CarlosBarquero Shutterstock)

Podcast Objets trouvés