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20.10.2025

Quatre familles politiques pour penser autrement le clivage gauche-droite

Les travaux de Kevin Arceneaux, directeur du Cevipof et Anne Muxel, directrice de recherches et directrice déléguée au Cevipof,  à partir de la dernière vague de l’enquête Fractures françaises (20 octobre 2025, à consulter ici), mettent en lumière quatre profils d’électeurs – libéraux nationaux, étatistes ouverts, étatistes nationaux et libéraux ouverts. Cette typologie éclaire la fragmentation des valeurs politiques et l’hétérogénéité croissante des soutiens partisans.


On parle depuis des années de tripartition de l’espace politique français et, depuis quelques mois, le déclin du macronisme s’accentuant, d’un retour du clivage entre la gauche et la droite. Et si les choses étaient plus compliquées que cela ? Surtout lorsqu’on regarde le paysage politique du point de vue des électeurs et non des appareils politiques.

A partir de deux indicateurs synthétiques, l’un mesurant la position sur l’axe gauche droite en fonction des opinions relatives à la liberté économique et à l’interventionnisme de l’État, l’autre évaluant le degré d’ouverture à l’égard de l’immigration, nous avons distingué quatre sous-populations qui constituent autant de familles politiques.

La première, les « Libéraux nationaux », la plus importante catégorie de l’échantillon (41 %), est constituée de personnes ayant à la fois des attitudes plutôt libérales en matière économique et réticentes face à l’immigration. 

La deuxième, les « Étatistes ouverts », constitue 25 % de l’échantillon et rassemble des citoyens plutôt ouverts en termes de migration et favorables à l’intervention économique de l’État. Ces deux premières populations sont antithétiques en termes d’attitudes par rapport à la puissance publique et par rapport à l’« autre » en tant qu’immigré.

La troisième population, les « Étatistes nationaux », agrège 22 % des Français qui sont favorables au rôle économique et social de l’État mais peu convaincus des vertus supposées de l’immigration. Enfin, une quatrième famille, les « Libéraux ouverts », représente la petite minorité (12 %) de citoyens ouverts au fait migratoire tout en étant hostiles à un rôle important de l’État dans la redistribution économique et sociale.

Poids significatif des Étatistes nationaux

On retrouve dans les deux premières populations la classique opposition entre, d’un côté, une droite libérale et plutôt réticente au fait migratoire et, de l’autre, une gauche étatiste et plutôt ouverte à la migration. 73 % des citoyens proches de la droite classique et 66 % des proches de l’extrême droite sont des Libéraux nationaux. 58 % de ceux qui sont sympathisants des partis de gauche et 65 % de ceux qui sont proches de la gauche radicale sont des Étatistes ouverts.

Mais, plus inattendu est le poids significatif des Étatistes nationaux (entre 8 % et 29 %) qui viennent brouiller l’opposition entre la gauche et la droite, introduire une préoccupation anti-immigrés au sein de la première et une sensibilité étatiste au sein de la seconde. Ils sont 29 % parmi les soutiens de l’extrême droite. À l’heure de l’érosion du clivage entre la gauche et la droite et de la critique des partis traditionnels, on en compte aussi 28 % parmi les Français ne se sentant proches d’aucun parti.

Leur présence est également sensible à gauche, puisqu’ils représentent respectivement 17 % et 15 % des soutiens de la gauche traditionnelle et de la gauche radicale. Enfin, en ce qui concerne la population relativement restreinte des Libéraux ouverts, elle se retrouve nettement surreprésentée chez les électeurs du bloc central (31 %) davantage ouverts au fait migratoire et à la liberté économique, caractéristique d’une économie elle-même ouverte. Elle est, en revanche, quasi inexistante (3 %) parmi les sympathisants de l’extrême droite.

Ainsi, un bon tiers de la population (22 % d’Étatistes nationaux plus 12 % de Libéraux ouverts, soit 34 %) échappe largement à la binarité gauche droite et introduit du « bruit » et de l’hétérogénéité dans les divers groupes de soutien aux partis politiques. Bien sûr, cette hétérogénéité est particulièrement forte parmi les Français qui refusent de se situer dans le système partisan (23 % d’Étatistes ouverts, 36 % de Libéraux nationaux, 13 % de Libéraux ouverts et 28 % d’Étatistes nationaux), mais aussi dans le bloc central (respectivement 14 %, 41 %, 31 %, 14 %) et même à gauche (respectivement 58 %, 13 %, 12 %, 17 %).

Hétérogénéité des valeurs

Les fractures qui traversent la société française ont donc du mal à se réduire au seul clivage entre la gauche et la droite et donnent un espace à ceux qui savent jouer, comme le Rassemblement national, sur plusieurs clivages (économique, social, identitaire, territorial), cherchant à opérer une synthèse entre le conservatisme classique, libéral et peu favorable à l’immigration, et un communautarisme national à la fois anti-immigration et étatiste.

Ce communautarisme national travaille tous les électorats, de la gauche radicale à l’extrême droite. Seuls la droite classique et le bloc central y échappent assez largement (respectivement 8 % et 14 %). Même parmi les Français proches de la gauche, l’attitude « libérale ouverte », caractéristique de la « nouvelle gauche », est toujours dominée par l’attitude « étatiste nationale ». Cela montre les limites d’une recomposition des gauches qui croirait pouvoir faire l’économie d’une réflexion sur la question migratoire et identitaire. Quant à la droite classique et l’extrême droite, toutes deux marquées par un fort « libéralisme national » (73 % et 66 % respectivement de Libéraux nationaux en leur sein), elles divergent néanmoins sur la place accordée au tempérament « national étatiste » (8 % contre 29 %).

Ainsi, toutes les sensibilités politiques de l’arc partisan sont travaillées par une certaine hétérogénéité des valeurs et des attitudes économiques, sociales et culturelles de leurs soutiens, particulièrement importante parmi les Français proches du bloc central et de l’extrême droite. Mais aussi parmi ceux qui ne se reconnaissent dans aucun parti en particulier. C’est sans doute l’un des facteurs du profond malaise politique que connaissent les Français vis-à-vis de leur représentation politique, non sans répercussions sur la multiplication des signes de fragmentation de l’Assemblée nationale elle-même.

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