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11.12.2025
Les jeunes veulent-ils encore la démocratie ?
Droitisation de la jeunesse, désamour de la démocratie des moins de 35 ans, distanciation de la politique des seniors : « Fractures françaises », dix ans d’enquête menée par le Cevipof, nous apprennent les évolutions du rapport au politique de différentes générations.
L'analyse de Anne Muxel, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, initialement publiée par notre partenaire The Conversation.Contrairement à ce qui est souvent asséné, les jeunes ne sont ni en voie de dépolitisation, ni désintéressés de la politique. Ils expriment des choix politiques et adoptent des comportements dans un cadre renouvelé du rapport à la citoyenneté.
Les données de l’enquête annuelle Fractures françaises, depuis 2013, permettent de saisir les évolutions les plus repérables du rapport à la politique dans la chaîne des générations, en en mesurant les écarts ou les similitudes entre les plus jeunes et les plus vieux, à l’échelle d’une dizaine d’années.
Évolution de l’intérêt pour la politique en fonction de l’âge (%)
Comparés à leurs aînés, les jeunes font preuve d’un niveau d’intérêt pour la politique certes moindre mais assez stable. Les fluctuations enregistrées, obéissant aux effets de la conjoncture politique et aux périodes électorales, suivent globalement celles qui sont enregistrées dans l’ensemble de la population.
Et si l’on compare le niveau de l’intérêt politique des classes d’âge les plus jeunes à celui qui est enregistré dans les classes d’âge plus âgées, au fil du temps, ils ont plutôt tendance à se rapprocher. L’intérêt pour la politique des plus jeunes augmente plutôt tandis que celui des autres classes d’âge a tendance au mieux à rester stable, voire à régresser. En l’espace de dix ans, l’écart de niveau d’intérêt pour la politique entre les moins de 35 ans et les plus de 60 ans est passé de - 25 points à - 7 points.
S’il y a dépolitisation, distanciation envers la politique, cette évolution est donc loin de ne concerner que les jeunes, elle est aussi visible, et peut être encore plus significative, dans les segments de la population plus âgés. C’est un résultat qui va à l’encontre de bien des idées reçues.
Une demande pressante de démocratie directe
La distanciation envers les partis politiques et, plus largement, la défiance à l’encontre du personnel et des institutions politiques sont bien repérés dans les analyses de sociologie politique et électorale récentes en France. Celles-ci montrent une montée d’une citoyenneté plus critique, plus expressive, plus individualisée, et de fait moins normative et moins institutionnalisée.
L’attachement à la démocratie domine toujours dans les jeunes générations et reste au cœur de leur répertoire politique. Néanmoins, les demandes de démocratie directe et de participation accrue des citoyens, sans la médiation des organisations ou des institutions politiques se font de plus en plus pressantes, et de façon encore plus marquée au sein de la jeunesse que dans l’ensemble de la population.
Les rouages de la démocratie représentative sont mis en cause et les jeunes ont endossé encore plus que leurs aînés les habits d’une citoyenneté critique, où la protestation est devenue un mode d’expression familier.
Le triptyque défiance-intermittence du vote-protestation définit le cadre d’un modèle de participation politique où les formes non conventionnelles sont assez largement investies, au risque même de la radicalité. Ainsi, parmi les moins de 35 ans, la justification de la violence pour défendre ses intérêts entraîne l’adhésion d’environ 30 % d’entre eux ces cinq dernières années.
Parmi les seniors de plus de 60 ans, celle-ci reste très en retrait sur l’ensemble de la période (15 points de moins que les moins de 35 ans en 2025).
Un cadre renouvelé du rapport à la citoyenneté
On observe dans les nouvelles générations des signes palpables d’une « déconsolidation démocratique », à savoir un affaiblissement de la croyance dans l’efficacité de la démocratie pour gouverner et répondre aux attentes des citoyens.
Le politologue Yasha Mounk utilise cette notion pour rendre compte de l’érosion de la confiance accordée aux institutions politiques représentatives dans nombre de démocraties contemporaines.
Dans la dynamique générationnelle, cette déconsolidation peut ouvrir la voie à de nouvelles formes de radicalités marquées par une polarisation aux deux extrêmes de l’échiquier politique et partisan à l’issue démocratique incertaine. La montée des populismes et des leaderships autoritaires en Europe et bien au-delà en est l’un des symptômes les plus patents.
Des seniors plus attachés à la démocratie que les moins de 35 ans
Parmi les moins de 35 ans, plus de quatre jeunes sur dix (42 %) sont d’accord avec l’idée que d’autres systèmes politiques sont aussi bons que la démocratie. Si l’on remonte dix ans en arrière, en 2014, ils étaient 29 % à partager le même avis.
Dans l’ensemble de la population, cette opinion a aussi progressé mais à un niveau plus faible, passant de 19 % à 34 %.
En revanche, et c’est une évolution notable, elle a nettement régressé parmi les seniors de plus de 60 ans, passant de 36 % à 23 %, soit une évolution en sens inverse par rapport aux plus jeunes.
Si la démocratie doit tenir, c’est donc davantage du côté des seniors qu’elle trouvera ses défenseurs que parmi les plus jeunes. Un constat qui peut dans l’avenir être lourd de conséquences politiques.
« Des jeunesses » plutôt qu’« une jeunesse »
S’ajoutent à ce tableau, des fractures intragénérationnelles qui rappellent les fractures sociales, culturelles, et politiques qui traversent la jeunesse. Celle-ci n’est pas une entité homogène. Elle est plurielle et divisée.
Ces fractures peuvent prendre le pas sur celles qui s’expriment au niveau intergénérationnel. Certains segments de la jeunesse, touchés par la précarité du travail et plus faiblement diplômés, ne sont pas exempts d’un repli identitaire favorable aux leaderships autoritaires d’extrême droite.
A contrario, dans la population étudiante et diplômée, à l’autre bout du spectre politique, plus active dans les mobilisations collectives, la tentation de la radicalité à gauche s’exprime.
Par ailleurs, au sein de la jeunesse issue de l’immigration, l’adhésion à certains communautarismes, non dénués de sectarisme et de séparatisme, peut remettre en cause l’universalisme républicain.
Une droitisation qui touche les jeunes générations
Les positionnements politiques des jeunes témoignent d’une certaine désaffiliation idéologique et partisane : 30 % des moins de 35 ans ne se sentent proches d’aucun parti, davantage les jeunes femmes que les jeunes hommes (respectivement 35 % et 27 %, soit un écart similaire à celui que l’on observe dans l’ensemble de la population).
Parmi ceux qui se reconnaissent dans un camp politique, comparés à leurs aînés, la gauche reste mieux placée : 34 % (contre 25 % des 60 ans et plus, et 31 % dans l’ensemble de la population). Le tropisme de gauche de la jeunesse résiste encore dans le renouvellement générationnel mais il a perdu de son acuité. En effet, les positionnements de droite (38 %), certes toujours inférieurs en nombre par rapport à ce que l’on constate chez leurs aînés (44 % des plus de 60 ans et 41 % dans l’ensemble de la population), y sont désormais plus nombreux. Le reste, se déclare au centre (28 %), qui est une position la plupart du temps utilisée comme refuge et expression d’un non-positionnement.
En l’espace de cinq ans (2020-2025), parmi les moins de 35 ans, les positionnements de droite sont passés de 28 % à 38 % (soit + 10 points), tandis que dans le même intervalle de temps les affiliations à la gauche n’ont quasiment pas progressé (33 % en 2020, 34 % en 2024). Un mouvement de droitisation est donc bien visible dans la jeunesse.
Évolution des positionnements à gauche et à droite selon l’âge, 2020-2024 (%)
La proximité déclarée envers le Rassemblement national a nettement progressé. En l’espace de quatre ans, elle est passée de 10 % à 22 % (+ 12 points) dans l’ensemble de la population, de 10 % à 19 % (+ 9 points) parmi les moins de 35 ans, et de 7 % à 20 % parmi les 60 ans et plus (+ 13 points). La progression de l’attractivité du Rassemblement national concerne donc tous les âges.
La gauche mélenchoniste, portée par La France insoumise, pénètre davantage les jeunes générations que les plus anciennes. Entre 2017 et 2025, on enregistre un faible surcroît (+ 3 points) de la proximité déclarée à La France insoumise qui passe de 11 % à 14 %, avec un pic en 2021 à 21 %. Parmi les 60 ans et plus, cette proximité a plutôt diminué, restant à un niveau bas, sans fluctuation, passant de 7 % à 3 % (soit - 4 points).
Évolution de la proximité envers le Rassemblement national selon l’âge (%)
La proximité ressentie pour le Rassemblement national supplante celle que suscite La France insoumise, y compris dans les jeunes générations. Certes à un niveau légèrement moindre que parmi les 60 ans et plus, mais le parti lepéniste apparaît plus ancré en termes de dynamique.
Les évolutions les plus repérables des positionnements politiques dans la chaîne des générations mettent donc en évidence l’équivoque de nombre d’idées reçues.
Plutôt que de s’affaisser, l’intérêt des jeunes pour la politique s’est tendanciellement rapproché du niveau de celui de leurs aînés. Par ailleurs, nos résultats ne révèlent pas de ruptures ou de discontinuités majeures entre les générations.
Les écarts observés sont dus à des phénomènes d’amplifications des effets de conjoncture et de période touchant l’ensemble de la population et qui sont plus visibles au sein des populations juvéniles. Néanmoins, les signes de déconsolidation démocratique sont plus marqués dans ces dernières, ce qui fragilise les conditions de viabilité et de renouvellement des régimes démocratiques dans l’avenir.
Anne Muxel, Directrice de recherches (CNRS) au Cevipof, Sciences Po
Légende de l'image de couverture : Stand Les Jeunes avec Marine à Reims, 5 février 2022. Stand Les Jeunes avec Marine à Reims, 5 février 2022. (crédits : Spech/Shutterstock)
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