Le monde en 2030 – Russie : l'inconnue Poutine

Marc Nexon, avec la contribution d'Anne de Tinguy

14/01/2020

ÉPISODE 7. La Russie de Poutine revient en force sur la scène internationale. Pour mieux cacher ses faiblesses ? En partenariat avec Sciences Po Ceri.

En Syrie, Vladimir Poutine est chez lui. Lors de sa visite le 7 janvier à Damas le président russe a pris soin de visiter la vieille ville, la cathédrale grecque-orthodoxe, la Grande Mosquée des Omeyyades, puis il a passé en revue ses troupes stationnées dans le pays depuis 2015, date de l’intervention militaire russe destinée à sauver le régime du dictateur syrien Bachar el-Assad.

Une opération, certes, menée au prix de bombardements massifs mais conclue avec succès et qui signe le grand retour de la Russie sur la scène internationale. Désormais, dans ce pays ravagé par huit ans de guerre civile, plus rien ne se décidera sans l’aval de Moscou. Et pour un long moment. « La Russie apparaît aujourd’hui comme le pivot des évolutions du Moyen-Orient », souligne Anne de Tinguy, chercheur au Ceri-Sciences Po.

D’autant que sa soif de puissance hors des frontières ne s’arrête pas là. Moscou tente aussi de regagner en Afrique ses positions abandonnées après la chute de l’URSS. Lors d’un sommet en octobre à Sotchi réunissant une quarantaine de chefs d’État africains, Poutine a promis de doubler les échanges commerciaux avec le continent d’ici à cinq ans. Quitte à s’imposer dans la zone d’influence française à travers des accords militaires (au Mali) ou miniers (en Centrafrique).

Sa dernière incursion s’opère dans une poudrière : la Libye. La Russie a décidé de voler au secours du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est du pays, parti à la conquête de la capitale Tripoli, tenue par le gouvernement libyen d’union nationale (GNA). En échange d’un appui militaire, Haftar promet monts et merveilles à Moscou. « Du pétrole, des chemins de fer, des autoroutes, tout ce qu’ils veulent », fait-il savoir.

Un retour logique et attendu

Une fois encore, dans ce pays pétrolier, verrou stratégique sur la Méditerranée, Poutine entend se placer en arbitre. Les coups de menton du chef du Kremlin à l’étranger obéissent à une logique. Depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 et les sanctions occidentales, le géant russe se démène pour briser son isolement international. Et il y parvient. « Son autre grande réussite est le partenariat stratégique noué avec la Chine, poursuit Anne de Tinguy. Les deux puissances ne cessent de mettre en scène leur rapprochement. » De fait, Poutine et le président Xi Jinping se sont déjà rencontrés une vingtaine de fois. « Un niveau de relations sans précédent », se félicite le président russe. Poutine, « mon meilleur ami », affirme Xi Jinping. Conséquence, les contrats se multiplient. Dernier exemple ? Un accord conclu entre le numéro un des télécoms chinois Huawei et son homologue russe MTS pour le déploiement du réseau 5G en Russie.

Carton plein pour Poutine ? Pas si vite. Le grand basculement du pays vers l’Asie ne lui garantit en rien un avenir prospère. « On n’est pas dans une relation d’égal à égal, souligne Anne de Tinguy, la Russie est un nain économique par rapport à son voisin, ce qui a une signification politique forte. Elle n’a jamais voulu être le partenaire junior des États-Unis mais elle est, de fait, celui de la Chine même si les Chinois se montrent plus diplomates. » Témoin, le méga-contrat d’approvisionnement en gaz de 400 milliards de dollars signé entre les deux pays en mai 2014. Moscou n’a pas eu d’autre choix que de se plier aux conditions financières draconiennes de Pékin.

Autre bémol : la perte d’influence de la Russie observée dans son pré carré et qui promet de durer. « Plusieurs des anciennes républiques soviétiques ont pris leurs distances, explique Anne de Tinguy, à commencer par l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie qui ont signé des accords d’association avec l’Union européenne ». Mais d’autres desserrent volontiers les liens. Comme le Kazakhstan ou l’Arménie, de plus en plus tournés vers l’Occident. « Ils comprennent cependant que la meilleure façon de protéger leur indépendance, c’est de ménager la Russie. »

Quel successeur pour Poutine

Même le Bélarus, dont l’économie dépend à 50 % de la Russie, se montre un allié intraitable. La volonté de Moscou d’intégrer son petit voisin à la fédération russe se heurte au « niet » d’Alexandre Loukachenko, l’homme fort du pays, habitué à souffler le chaud et le froid avec Poutine et décidé à défendre la souveraineté du Bélarus.

Certes, la Russie dispose de leviers militaires et économiques, mais dont l’efficacité reste limitée. « Elle ne parvient pas à empêcher l’élargissement à l’est de l’Otan qui s’est rapprochée de ses frontières », souligne Anne de Tinguy. Une chose est sûre : les conflits gelés qu’elle entretient à l’est de l’Ukraine ou dans les provinces géorgiennes d’Abkhazie ou d’Ossétie du Sud ne font que renforcer l’aspiration de ces deux pays à rejoindre l’Otan.

Pour la Russie, la décennie à venir repose néanmoins sur une énorme inconnue : la succession de Poutine. En 2024, l’ancien officier du KGB remettra en principe les clés du pouvoir puisque la Constitution l’empêche de briguer un troisième mandat consécutif. En principe… Car rien ne s’opposerait à ce qu’il procède à un échange de poste avec l’un de ses fidèles comme en 2008 lorsqu’il est devenu Premier ministre avant de reprendre son fauteuil présidentiel à Dmitri Medvedev quatre ans plus tard. Un tel tour de passe-passe lui permettrait de se présenter à nouveau en 2030 à l’élection présidentielle. Après tout, à cette date il n’aurait que 78 ans, l’âge du démocrate Joe Biden actuellement dans la course à la Maison-Blanche.

Les questions de Poutine

Sauf que le 19 décembre lors de sa conférence de presse annuelle Poutine a prononcé une phrase énigmatique : « Ce qu’on pourrait faire concernant ces mandats, c’est de supprimer le qualificatif consécutifs », a-t-il dit. Une remarque qui alimente à nouveau toutes les spéculations. Est-ce à dire qu’il souhaite empêcher un éventuel successeur de pratiquer comme lui un aller-retour ? Ou songe-t-il à tirer sa révérence ? « Si quelqu’un se demande si le chef fera un nouveau mandat, il ne le fera pas », a lancé dans un tweet Margarita Simonian, l’influente directrice de la chaîne de télévision RT.

Dès lors, qui pour le remplacer ? Plusieurs noms circulent comme celui de son ministre de la Défense Sergueï Choïgou, 64 ans, avec lequel il passe régulièrement des vacances en Sibérie, et artisan des récentes campagnes militaires. Ou encore celui d’Alexeï Dioumine, 47 ans, ancien membre des services secrets, ex-garde du corps de Poutine et actuel gouverneur de Toula. Deux représentants de la faction dure, éduqués pour assurer la continuité du régime.

Les faiblesses russes

Si le scénario de la continuité s’impose, les projets de développement du pays devraient patiner. Après avoir reculé de trois places en cinq ans, au douzième rang mondial, l’économie russe demeure confrontée au même défi : la modernisation. Effondrement du système de santé, défaillances des infrastructures routières, absence de pôles de technologie… L’État s’abstient de toute innovation et vit sur la très aléatoire rente du pétrole et du gaz (40 % des recettes du budget fédéral). Seule exception : le complexe militaro-industriel, dont la moitié du budget est désormais consacré à la création de nouveaux systèmes d’armes. « La prise de conscience de cette nécessaire modernisation existe, mais il y a une incapacité à passer à l’acte », résume Anne de Tinguy. En cause, un système oligarchique fondé sur la corruption et lié aux clans du pouvoir. « La modernisation évoque aussi pour les Russes les années Gorbatchev et la perestroïka qui se sont conclues par un écroulement général. »

Résultat ? La Russie détient le record des inégalités. 1 % de la population accapare 60 % de la richesse nationale. La fortune cumulée des 98 milliardaires du pays dépasse la totalité de l’épargne des 145 millions d’habitants.

À cela s’ajoute un poison lent : le recul démographique. Selon l’ONU, la Russie pourrait perdre 20 millions d’habitants à l’horizon 2050. Dans l’extrême orient russe, la population a chuté de 20 % depuis 1991. Pour ne rien arranger, un récent sondage indique que 53 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans souhaitent quitter définitivement la Russie. Anne de Tinguy prévient : « Le grand nord se vide, des villages disparaissent, la cohérence du territoire est en jeu. »

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