Japon, l’éternel retour du Parti libéral-démocrate

31/01/2013

Le résultat des élections législatives japonaises du 16 décembre 2012 est à première vue paradoxal : c’est à Fukushima qu’a été lancée une campagne électorale qui a vu le retour au pouvoir – avec une très large majorité – du Parti libéral-démocrate (PLD), grande formation conservatrice et pro-nucléaire. L’alternance « historique »1  qui a vu le Parti démocrate du Japon (PDJ) remporter la majorité parlementaire en 2009 et mettre fin à la domination quasi-permanente du Parti libéral-démocrate sur le Japon depuis 1955, appartient désormais au passé. La déception a été à la hauteur des espoirs que celle-ci avait suscités. Yoshihiko Noda, troisième Premier ministre en à peine plus de trois ans, a eu beau repousser la dissolution promise à l’opposition pendant près d’un an, la chute de son parti dans les sondages s’est poursuivie de façon inexorable. La défaite a été sans appel : le Parti démocrate ne compte désormais plus que 57 députés contre 294 pour le Parti libéral-démocrate. Le nouveau Premier ministre, Shinzo Abe, a donc les mains libres pour mettre en œuvre son programme conservateur et nationaliste. 

 

Mais ce retour du Parti libéral-démocrate ne doit pas cacher la recomposition en cours. A côté d’une classe politique sclérosée depuis des années, de nouveaux partis ont tenté de bousculer l’offre électorale. Cette poussée de sève s’est apparentée à l’effervescence que le Japon a connue en 19932 , même si le mode de scrutin majoritaire, en vigueur depuis 1994, a cette fois protégé les partis installés. Pour comprendre les tenants et aboutissants de la période charnière que traverse la vie politique japonaise, nous étudierons dans un premier temps l’échec du Parti démocrate au pouvoir, et donc de l’alternance, puis nous nous intéresserons à l’effervescence que celui-ci a favorisée avant de finir sur la victoire du Parti libéral-démocrate en décembre dernier.

L’échec de l’alternance

Le mode de scrutin majoritaire instauré en 1994 n’a pas produit les effets escomptés. A la fin des années 1990, de nombreux Japonais – via notamment les grands syndicats – se sont battus pour une modification du mode de scrutin qu’ils voyaient comme la première étape d’une réforme politique (seiji kaikaku). Opter pour le scrutin majoritaire devait permettre, selon eux, de renouveler une classe politique figée par la domination ininterrompue du Parti libéral-démocrate depuis 1955. En effet, si l’on se réfère à la célèbre loi de Duverger3 , une modification du mode de scrutin devait faire émerger une option politique alternative, qui apporterait du sang neuf et encouragerait une gestion des finances plus saine, indispensable après l’éclatement de la bulle spéculative et les nombreux scandales de la fin des années 1980. 

 

Le scrutin majoritaire est adopté en 19944 , l’alternance aura lieu quinze ans plus tard. Le Parti démocrate, créé en 1996, a progressivement regroupé les petites formations politiques existantes, jusqu’à constituer une force équivalente au Parti libéral-démocrate5 . Cependant, si l’alternance a bien eu lieu en 2009, la sociologie du corps politique n’a guère changé. Ce sont principalement d’anciens libéraux-démocrates que l’on retrouve dans les structures du Parti démocrate. Dans l’objectif de prise du pouvoir, aucune alliance n’a été négligée, y compris les plus contrenatures en apparences. Des anciens socialistes ont toléré la venue de faucons néoconservateurs, tel Ichiro Ozawa et son Parti libéral, ou l’alliance avec les dinosaures du Nouveau parti du peuple (Kokumin shin tô)6 . Au lendemain du scrutin de 2009, Jean-François Sabouret constatait que « les Japonais aiment tellement la droite que maintenant, ils en ont deux »7

 

La seule grande nouveauté portée par les démocrates, un programme de grandes réformes sociales, a été rapidement laminée par le manque de professionnalisme du Premier ministre Yukio Hatoyama qui a conduit à la perte du Sénat dix mois après son entrée en fonction. Dans un système où il est impossible de gouverner sans l’appui des deux Chambres du parlement, le parti s’est alors retrouvé dans l’incapacité de mettre en œuvre les réformes promises, et les divisions internes ont éclaté au grand jour8 . Telle une étoile morte dont on perçoit toujours la lumière, l’alternance était d’ores et déjà finie. Le Parti démocrate a progressivement renoncé à toutes ses ambitions de réforme, pour contenter un Parti libéral-démocrate enfermé dans une posture d’opposition systématique. 

 

L’alternance n’a résolu ni le problème de l’instabilité du leadership politique9 , ni celui de l’absence de renouvellement des gouvernants10 . A la veille du scrutin de 2012, le Parti démocrate apparaissait comme le symbole de cette élite politique centrée sur ses luttes intestines que comme l’agent du retour du peuple qu’il avait promis d’être en 2009. Beaucoup de ses dirigeants se sont englués dans un cycle scandale-démission-retour (par exemple le ministre de la Justice, Keishu Tanaka, contraint de quitter ses fonctions après la révélation de ses liens avec les yakuzas11 ) et ne pouvaient que difficilement inspirer confiance au citoyen. 

 

Depuis de nombreuses années, les Japonais sont habitués à voir les mêmes visages sous des étiquettes différentes. Dernier exemple en date : celui de Makiko Tanaka, ancienne ministre des Affaires étrangères du gouvernement Koizumi (Parti libéral-démocrate) et fille du Premier ministre Kakuei Tanaka (incarnation du clientélisme des années 1970). Elle a rejoint les démocrates quelques jours avant l’alternance et est devenue ministre de l’Education en octobre 2012, pour tenter de redorer la réputation de son parti qui connaît de nombreuses défections. En 2012, le parti a connu des défections. Son hétérogénéité, acceptée lorsqu’elle permettait de gagner, est devenue insupportable alors que se profilait la défaite. De nombreuses défections ont été enregistrées. Le Parti démocrate se maintenait artificiellement au pouvoir depuis plus d’un an, le Premier ministre promettant à l’opposition des élections imminentes sans jamais en annoncer la date12

 

A la rentrée de septembre dernier, le taux de soutien au Cabinet Noda était tombé sous la barre des 20%, seuil à partir duquel il faut traditionnellement passer le flambeau13 . Le Premier ministre a fini par dissoudre l’Assemblée le 16 novembre 2012. Afin d’éviter l’implosion, le Parti démocrate a demandé à ses candidats de signer une promesse de fidélité et une charte programmatique. Celle-ci avait peu à voir avec le projet de 2009. Autrefois partisan d’une politique de relance et d’aide sociale sans hausse d’impôt, le parti est devenu, après quelques années de pouvoir, le porte-drapeau de la rigueur budgétaire et de l’augmentation de la TVA. Yukio Hatoyama, ancien Premier ministre et co-fondateur du parti, a d’ailleurs préféré quitter la vie politique plutôt que de cautionner ces revirements.

L’effervescence politique

Loin d’impulser un renouvellement de la classe politique, le mode de scrutin de 1994  a rendu plus difficile l’entrée sur le marché politique. L’électeur japonais a été progressivement enfermé dans un choix binaire PLD-PDJ qui, petit à petit, a perdu en pertinence, du fait de la volte-face programmatique des démocrates. Or, à partir de 2009, de nouvelles formations se sont créées pour renouveler l’offre politique. Toutes construites sur le même modèle, elles jouent le peuple contre les élites politique et administrative, s’organisent autour d’un chef charismatique et médiatique (issu de cette élite) et utilisent habilement des techniques de communication. Elles ont un programme simple, divisé en quelques thèmes et incarnés dans des propositions selon le dualisme principe abstrait-proposition concrète, cher au marketing politique. Ces partis sont souvent qualifiés de populistes, concept qui n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui sur l’Archipel. 

 

L’attaque contre la sclérose politique et ceux qui l’incarnent est une stratégie politique ancienne, aujourd’hui en pleine expansion. Les succès de l’ancien Premier ministre Jun’ichiro Koizumi dans cet exercice14  ont sans doute décomplexé les plus ambitieux. Après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée en 2009, Yoshimi Watanabe et quelques autres parlementaires ont quitté le Parti libéral-démocrate pour fonder le Parti de tous (Minna no tô), dont le programme s’articule autour du dégraissage de l’administration et de la lutte contre les hausses d’impôt15

 

En juillet 2012, le « shogun de l’ombre » Ichiro Ozawa – qui fut secrétaire général à la fois du Parti libéral-démocrate (de 1989 à 1991) et du Parti démocrate (entre 2006 et 2009) – quitte les démocrates avec 49 parlementaires (37 députés et 12 sénateurs) pour fonder sa propre formation, dont le nom peut se traduire par La vie des citoyens d’abord (Kokumin no seikatsu ga daiichi). Celle-ci s’oppose fermement à la hausse de la TVA et plaide pour une sortie rapide du nucléaire16

 

Le 25 octobre 2012, le très nationaliste et droitier gouverneur de Tôkyô, Shintaro Ishihara17 , âgé de 80 ans, a démissionné de son poste afin de créer le Parti du soleil (Taiyô no tô), à partir d’une formation nommée Debout le Japon (Tachiagare Nippon) fondée par cinq parlementaires Parti libéral-démocrate, en avril 2010. Elle entendait restaurer la fierté du pays par la promotion, entre autres, de la culture nationale18 . Son but est désormais la mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle qui donnerait notamment au Japon le droit de disposer pleinement de son armée19 , opération qui ne peut être accomplie qu’à la Diète.

 

Enfin, le 28 juillet 2012 a été fondé le Parti vert (Midori no tô), issu de l’association le Futur vert (Midori no mirai) créée en 2008. Malgré la catastrophe de Fukushima et l’activisme anti-nucléaire qui s’en est suivi, les Verts ont beaucoup de mal à se faire une place dans le paysage politique japonais. En effet, ils disposent de ressources financières limitées20  et leur capacité à nouer des alliances reste faible.

 

L’effervescence politique a été avant tout locale. L’autonomie progressivement acquise ces vingt dernières années à la faveur de la décentralisation offre désormais aux baronnies politiques les moyens de contester le pouvoir central. En tête de file de ses opposants se trouve l’homme politique le plus populaire du pays depuis de nombreux mois, que les médias adorent haïr21 , Toru Hashimoto. Avocat de formation, il s’est fait connaître en dispensant ses conseils juridiques dans un show télévisé entre 2003 et 200722 . Elu gouverneur d’Osaka en 2008 avec l’appui du Parti libéral-démocrate, il est aujourd’hui maire de la ville23 . Son parti local, l’Association pour la restauration d’Osaka (Osaka ishin no kai) – référence à la restauration Meiji (Meiji ishin) –, est devenu national en devenant l’Association pour la restauration du Japon (Nippon ishin no kai) en septembre 2012, grâce au soutien de sept parlementaires24 . Toru Hashimoto entend utiliser son charisme médiatique au service d’un programme radical incluant la suppression du Sénat, la diminution du nombre de députés et l’élection du Premier ministre au suffrage universel25 . Il compte également sur le soutien des futurs diplômés de son Institut politique de restauration (Ishin seiji juku) qu’il a ouvert le 24 mars 2012 à Osaka afin de former les décideurs de demain. 

 

De son côté, le maire de Nagoya, Takashi Kawamura, a créé en 2010 Le Japon pour la réduction des taxes (Genzei nippon) pour pérenniser sa promesse de baisser de 10% les impôts de la ville26 . Il entend aujourd’hui ancrer son parti au niveau national et pour cela promet de diminuer le nombre des parlementaires et de diviser par deux les indemnités qu’ils perçoivent. En cette période de crise économique, la rémunération des élus est au cœur des débats sur la nécessité d’un assainissement des finances. Enfin, le gouverneur d’Aichi (préfecture de Nagoya), Hideaki Omura, a également fondé son parti en août 2012, l’Association pour la restauration du Chukyo27  (Chûkyô ishin no kai), soutenu par le populaire ex-gouverneur de Miyazaki (2007-2011), Hideo Higashikokubaru, ancien comique de télévision28

Le retour du Parti libéral-démocrate

Ces nouveaux partis se sont affrontés ou rassemblés lors des élections de décembre 2012. En dépit de leur nombre élevé (14), la campagne n’a pas attiré les électeurs (le taux d’abstention a dépassé les 40%). Elle a globalement été décevante, car marquée par un flou généralisé quant aux projets et aux choix de société. Autre cause du désintérêt : si de nouveaux partis sont certes entrés en scène, les sujets qui monopolisaient l’actualité n’ont, eux, pas changé : l’énergie nucléaire (son avenir à long-terme et le redémarrage des réacteurs à court-terme), le Trans Pacific Partnership (TPP)29  et la hausse ou non de la TVA. Tous les partis ont eu à se positionner sur ces trois sujets, et ont privilégié l’opposition ou l’ambiguïté. 

 

Au final, malgré une image détériorée depuis de longues années, le Parti libéral-démocrate est revenu au pouvoir, comme par défaut, avec une très large majorité. En tête dans les sondages depuis plus de deux ans, sa victoire était attendue. En termes de sièges, il a pleinement profité de la prime majoritaire. Dans les 300 circonscriptions qui élisent leurs députés au scrutin uninominal à un tour, le Parti libéral-démocrate a obtenu 43% des voix et 79% des sièges. A l’inverse, le Parti démocrate n’a remporté que 9% des sièges avec 23% des voix. Le rapport est plus équilibré concernant les 180 postes obtenus au système proportionnel de liste, malgré une légère prime aux partis de tête. Le Parti libéral-démocrate a aussi profité d’une assise locale plus forte que ses concurrents : au scrutin proportionnel, il n’obtient « que » 28% des voix (contre 43% au scrutin majoritaire). La personnalité locale du candidat semble ainsi avoir eu plus de poids que l’étiquette du parti à l’échelle nationale. Au total, la formation conservatrice recueille plus de 60% des sièges et peut donc gouverner seule. Si l’on ajoute le résultat de ses fidèles alliés du Komeito, les libéraux-démocrates disposent de 325 sièges sur un total de 480, soit près de 70%. 

 

Les nouveaux partis n’ont donc pas réussi à empêcher le retour en force du Parti libéral-démocrate. Considérant le mode de scrutin (majoritaire), seule l’union pouvait les conduire au succès. Or au lieu de former une vaste coalition, ce qu’avait su faire le Parti démocrate en 2009, les nouvelles formations se sont présentées divisées en deux groupes sans réelle logique programmatique. Les élections se sont donc jouées entre quatre pôles : le PDJ et ses alliés, le PLD et ses alliés, l’Association de restauration du Japon et une coalition nommée Parti du futur. 

 

L’alliance des formations que l’on classerait en France à l’extrême droite a obtenu 72 députés, ce qui en fait la première force d’opposition, devant l’ancienne majorité démocrate. Cette coalition est composée de l’Association de restauration du Japon de Toru Hashimoto, alliée au Parti du soleil de Shintaro Ishihara et au Parti de tous. Les deux hommes étaient initialement en désaccord sur les principaux sujets de campagne : le nucléaire – Ishihara est favorable au maintien et Hashimoto à une réduction –, la hausse de la TVA – Hashimoto y est opposé ; Ishihara est pour si celle-ci finance la sécurité sociale – et le Trans Pacific Partnership – Hashimoto y est plutôt favorable alors qu’Ishihara est résolument contre. Un compromis a pourtant été trouvé le 17 novembre : la coalition a repris le nom et le programme de l’Association de restauration du Japon mais placé Ishihara à sa tête. Tel Saint-Denis, elle a donc la tête séparée du corps.

 

Le bloc du Parti du futur (Mirai no tô), très hétérogène et plus marqué à gauche, n’a pas rencontré le même succès. Le 28 novembre a été annoncée la création de la coalition, dirigée par la gouverneur écologiste de la préfecture de Shiga, Yukiko Kaga. Elle rassemble La vie des citoyens d’abord emmenée par Ichiro Ozawa et Le Japon pour la réduction des taxes de Takashi Kawamura. Le Parti du futur fonde son unité sur une forte opposition au nucléaire, mais il a échoué à proposer une politique énergétique crédible. En dépit d’un terrain propice – l’opinion publique est largement anti-nucléaire –, son discours n’a pas rassuré les Japonais. Au final, la coalition n’a remporté que 11 sièges. Le Parti communiste, qui se présentait seul, a obtenu huit députés. Les élections ont ainsi marqué l’effondrement de la gauche. Le Parti démocrate, reconverti en formation centriste, a également subi un sérieux revers et n’a conservé que 57 sièges (contre 308 obtenus en 2009), auxquels il faut ajouter l’unique siège obtenu par ses alliés du Nouveau parti du peuple. 

 

Il paraît clair que les alliances se sont principalement faites sur des stratégies de pouvoir plutôt que sur des convictions idéologiques. Il est en effet difficile de voter pour une coalition qui rassemble une myriade de partis aux positions très divergentes. Comment imaginer les actions politiques que mettraient en œuvre en cas de victoire des alliances comme celle unissant Shintaro Ishihara et Toru Hashimoto, celle rassemblant le Parti démocrate et le Nouveau parti du peuple ou encore celle entre Ichiro Ozawa et les écologistes ? Face à ces coalitions dénuées de cohérence programmatique, démagogiques et n’existant que par leur opposition au nucléaire, à la hausse de la TVA et au Trans Pacific Partnership, le Parti libéral-démocrate est apparu comme le choix le plus rassurant et responsable.

 

Le 26 décembre 2012, Shinzo Abe est redevenu Premier ministre, sans toutefois susciter l’enthousiasme. Car c’était lui qui avait inauguré en 2006 la période, toujours en cours, des Cabinets éphémères (sept Premiers ministres en à peine plus de six ans). Face à une population préoccupée par les problèmes économiques, il avait à l’époque préféré suivre un programme idéologique nationaliste, visitant notamment le controversé sanctuaire Yasukuni30 . Sa popularité avait alors rapidement baissé. Il retrouve à présent le devant de la scène, avec une faible légitimité en raison des circonstances de son investiture à la tête du Parti libéral-démocrate. Il a en effet difficilement remporté la primaire du parti en septembre dernier, les adhérents des sections locales lui ont largement préféré l’ancien ministre de la Défense et de l’Agriculture, Shigeru Ishiba. Mais, ce dernier n’ayant pas obtenu la majorité lors du second tour où seuls les parlementaires étaient autorisés à voter, Shinzo Abe a finalement remporté l’élection. Cette primaire illustre à sa façon l’usure de la classe politique : Abe est le petit-fils de l’ancien Premier ministre (et criminel de guerre) Nobusuke Kishi ; un des quatre candidats, Nobuteru Ishihara, est quant à lui le fils de l’ex-gouverneur de Tôkyô. En outre, Abe s’est imposé lors du scrutin grâce au vote des parlementaires, et contre la volonté des membres du parti. 

 

Durant la campagne, il a voulu imposer l’image d’un homme neuf qui a appris de ses erreurs et tenté d’incarner un leadership de nature charismatique. Il a systématiquement critiqué le Parti démocrate (lui reprochant notamment sa faiblesse face à la Chine), considéré l’option zéro nucléaire comme irréaliste et irresponsable, mais est resté flou sur le redémarrage des réacteurs et l’avenir de cette énergie. De nombreux signes indiquent qu’il va poursuivre son action dans la voie nationaliste : son refus de négocier à propos des territoires que le Japon, la Chine et la Corée se disputent, sa volonté de réformer les manuels scolaires et celle de renforcer les Forces d’auto-défense. A cela il faut ajouter sa promotion du productivisme industriel (ce qui inclut le nucléaire, d’où l’ambiguïté du discours sur ce sujet)31 . Le Parti libéral-démocrate prévoit un plan de 200 trillions de yens sur la décennie. Ses adversaires y ont vu un retour déguisé au clientélisme (baramaki) des années de Haute-croissance.

L’essor de la silver politics 

Le résultat des élections japonaises de 2012 n’incite pas à l’optimisme. L’échec de l’alternance et l’éternel retour du Parti libéral-démocrate nourrissent la défiance généralisée du peuple envers la politique et ceux qui l’incarnent. Le taux d’abstention a atteint des records (41%) et l’espoir d’un renouveau politique s’est encore un peu plus éloigné. Plus que jamais, le vote de 2012 témoigne de la prégnance de la gérontocratie. Dans un pays où la population est en recul depuis 2005 et où les jeunes se désintéressent massivement des affaires publiques, la classe politique est de plus en plus tentée de proposer des programmes conservateurs et nationalistes propres à rassurer les plus âgés, ce que l’on appelle la silver politics (silver seiji). Et les projections démographiques ne laissent pas présager d’inversion de cette tendance. 

 

A plus court terme, la modification de la Constitution, notamment de son article 9 qui interdit au Japon la possession de potentiel militaire dans un but offensif, semble désormais envisageable. Les deux principales formations de l’Assemblée (le Parti libéral-démocrate et l’Association de restauration du Japon) y sont favorables. Rien n’est cependant joué. Lors de son premier mandat, Shinzo Abe était rapidement devenu impopulaire. A présent, il va devoir trouver un subtil équilibre entre ses principes et le réalisme nécessaire au gouvernement. Car le doute persiste quant à sa compétence à gouverner et à son projet politique. Last but not least, des élections sénatoriales sont prévues à l’été 2013 ; et considérant la vitesse à laquelle décroît la popularité des Premiers ministres depuis 2006, personne ne peut dire aujourd’hui si le gouvernement Abe sera encore en poste à cette période. 

 

 

  • 1. Le Japon n’a connu que trois alternances dans son histoire : en 1924, 1947 et 2009.
  • 2. En juillet 1993 le Parti libéral-démocrate a perdu la majorité qu’il détenait à l’Assemblée, au profit d’une vaste coalition incluant plusieurs nouveaux partis. Il la retrouvera en 1995 en s’alliant avec son éternel opposant, le Parti socialiste.
  • 3. Principe de science politique élaboré par Maurice Duverger selon lequel le scrutin majoritaire tend à favoriser le bipartisme.
  • 4. Il est le fruit d’un compromis avec le toujours puissant Parti libéral-démocrate. Les élections législatives se tiennent au scrutin uninominal à un tour au sein de 300 circonscriptions et au scrutin proportionnel dans 180 autres (200 entre 1994 et 2000).
  • 5. Les articles abondent sur le sujet. Voir notamment : REED Steven, « Duverger’s Law is Working in Japan », Electoral Studies (選挙研究), n°22, 2007.
  • 6. Parti crée en 2005 par des parlementaires évincés du Parti libéral-démocrate par le Premier ministre Jun’ichirô Koizumi en raison de leur opposition à la privatisation de la poste.
  • 7. France 5, « Séisme politique au Japon », C dans l’air, 1er septembre 2009.
  • 8. Tout particulièrement lors des scrutins internes au parti. En septembre 2010, Naoto Kan remporte la présidence du parti (et reste donc Premier ministre) face à Ichiro Ozawa ; deux ans plus tard, Yoshihiko Noda s’impose comme plus petit dénominateur commun des anti-Ozawa.
  • 9. Yoshihiko Noda est le sixième Premier ministre de la période post-Koizumi qui a débuté fin 2006.
  • 10. Les fonctions parlementaires sont souvent héréditaires au Japon. Voir sur ce sujet : Seizelet Eric, « La patrimonialisation des charges parlementaires au Japon », Critique internationale, Vol.4, n° 33, 2006
  • 11. Il a tenu environ trois semaines, du 1er au 23 octobre. Cela est malheureusement banal dans la politique japonaise.
  • 12. Le Premier ministre Noda a faite voter une hausse de la TVA en août 2012 (alors qu’en 2009 le parti s’était engagé à ne pas augmenter les impôts) par le Parti libéral-démocrate en promettant à ce dernier la tenue d’élections « dans un proche avenir ».
  • 13. Le Premier ministre Taro Aso (2008-2009) a dissout l’assemblée en 2009 lorsqu’il sa cote de popularité a atteint 20%. Son successeur, le démocrate Yukio Hatoyama (2009-2010), a démissionné à 19% de popularité. Naoto Kan (2010-2011) a fait de même au moment où il n’était plus soutenu que par 18% des Japonais.
  • 14. Au pouvoir de 2001 à 2006, Jun’ichiro Koizumi a été le Premier ministre le plus populaire de l’histoire du Japon, notamment en raison de son combat contre la bureaucratie – l’un de ses slogans était « de la bureaucratie au peuple » (kan kara min e) – et contre son propre parti, prévoyant de détruire celui-ci s’il n’acceptait pas ses réformes néolibérales.
  • 15. Deux idées que l’on trouvait dans le manifeste du Parti démocrate de 2009 qui promettait de ne pas augmenter les impôts en dégraissant une administration caractérisée par la tendance au gaspillage et à l’accaparement de la décision politique. Le programme du Parti de tous est divisé en cinq parties : 1) les coupes dans les budgets de l’administration et les indemnités parlementaires 2) une croissance tournée vers l’enrichissement des citoyens 3) la recherche de l’équité locale par la modulation de la fiscalité 4) une politique étrangère fondée sur l’intérêt du peuple 5) la réforme des finances publiques (sans hausses d’impôt)
  • 16. Ces positions semblent paradoxales au regard du parcours d’Ozawa au Parti libéral-démocrate nécessairement lié au village nucléaire (soit la connivence existant entre les milieux d’affaires et la classe politique sur cette question), et de son positionnement de l’époque favorable à une hausse rapide de la TVA à 10% (au lieu de 5% aujourd’hui). Le programme de son nouveau parti s’articule autour de trois idées dans l’air du temps : 1) le zéro nucléaire, 2) l’abrogation de la hausse de la TVA, 3) l’autonomie locale
  • 17. En avril 2012, la proposition qu’il a faite d’un rachat des îles Senkaku par le gouvernement de Tôkyô a contribué à la réactivation de la querelle sino-japonaise sur ces territoires.
  • 18. Le programme s’articule autour de sept thèmes : 1) restaurer la fierté, l’indépendance, l’autonomie de la nation 2) rendre transparentes les manœuvres politiques et administratives 3) réaliser une société paisible 4) établir une stratégie d’indépendance énergétique 5) préserver l’environnement, la nature 6) promouvoir l’éducation des citoyens, notamment aux vertus de la culture nationale 7) refuser la politique politicienne
  • 19. L’article 9 de la Constitution stipule en effet que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ».
  • 20. La politique japonaise est l’une des plus onéreuses du monde.
  • 21. Pas une semaine ne se passe sans que Toru Hashimoto ne fasse la une d’un magazine. Mi-octobre, un journaliste de l’hebdomadaire pour salariés Shukan Asahi l’a assimilé à Adolf Hilter, provoquant de vives réactions. Il dût s’excuser quelques jours plus tard.
  • 22. Le titre de l’émission diffusée sur NTV était « Le centre de conseils juridiques pour lequel on fait la queue » (Gyôretsu no dekiru hôritsu sôdanjo). Les spectateurs y narraient leurs problèmes et recevaient les conseils d’experts dans une ambiance bien plus colorée que les émissions françaises de même genre.
  • 23. Il a démissionné de son poste de gouverneur le 22 octobre 2011 pour se faire élire maire (tout en prenant soin de se faire remplacer par un de ses lieutenants) afin de créer une grande métropole qui fusionnerait les échelons régional et municipal.
  • 24. La loi impose cinq parlementaires pour être reconnu, en tant que parti, à l’Assemblée.
  • 25. Son programme, intitulé « Huit propositions pour restaurer le Japon » (Ishin hassaku), a été publié en août 2012. Les propositions sont les suivantes : 1) renforcement de la responsabilité du gouvernement 2) dégraissement de l’administration 3) instauration de l’autonomie de fonctionnaires 4) réforme radicale de l’éducation 5) réforme de la sécurité sociale pour lutter contre l’assistanat 6) nouvelle politique économique et fiscale 7) politique extérieure protégeant les intérêts nationaux 8) réforme constitutionnelle qui permettrait d’augmenter les capacités de décision de l’exécutif
  • 26. Un compromis avec l’assemblée locale a abouti à une baisse des impôts de 5%. Un véritable dumping fiscal se met en place entre les villes japonaises.
  • 27. Le Chukyo est la région de Nagoya. Omura avait auparavant créé l’Association d’Aichi, meilleure du Japon (Nippon ichi Aichi no kai).
  • 28. Il participait à l’émission burlesque de Takeshi Kitano, Le château de Takeshi (Takeshi jô).
  • 29. Accord de libre-échange abaissant les tarifs douaniers entre différents pays du Pacifique dont les Etats-Unis. Le parti démocrate s’en est fait l’avocat depuis près d’un an.
  • 30. Le lieu abrite depuis 1978 les âmes de criminels de la Seconde Guerre mondiale, dits de classe A, c’est-à-dire ayant organisé les opérations militaires. La visite d’un Premier ministre à ce sanctuaire provoque toujours émois et manifestations dans toute l’Asie.
  • 31. Shinzo Abe a attaqué la Banque du Japon à plusieurs reprises durant la campagne pour son manque supposé de volontarisme dans la relance de l’économie.
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