Elections présidentielles et politique étrangère

04/2017

La politique étrangère ne compte guère dans une élection présidentielle française. Combien de fois aura-t-on entendu cette affirmation qui est pourtant totalement fausse ?
Fausse tout d’abord pour des raisons institutionnelles. La Constitution de la Ve République, et plus encore la pratique constitutionnelle, continuent en effet de conférer au Président de la République la responsabilité des grands choix de politique étrangère et de politique de défense. Aucune autre politique publique n’est autant suivie par l’Elysée, réduisant parfois le ministère des Affaires étrangères et celui de la Défense à des rôles de supplétifs. Le développement depuis trente ans de la diplomatie au sommet, que Bertrand Badie appelle justement « la diplomatie de clubs » a eu tendance à renforcer l’idiosyncrasie française. A l’exception des périodes de cohabitation où la tâche est partagée avec le Premier ministre, c’est au Président et à son « sherpa » que revient la représentation des positions de la France au G20 et au G8. C’est à lui qu’appartient également la négociation des dossiers les plus sensibles au sein du Conseil européen réunissant les 28 (et demain les 27) chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne.

Les contacts directs entre les « sommets de l’Etat », parfois mal vécus par les diplomates, ont tendance aussi à se multiplier sur le plan bilatéral. Pour prendre le cas de la relation franco-allemande, bien des décisions sont prises par le Président français, le Chancelier allemand et leurs entourages respectifs à Paris et Berlin sans qu’il y ait besoin de la médiation des ambassades. En France, les Présidents de la République se prennent d’ailleurs souvent au jeu de la politique étrangère et de la politique de défense au point de terminer leur mandat en s’y consacrant davantage. Ces politiques leur permettent de réajuster leurs images à l’égard de l’opinion publique française lorsque les autres sujets deviennent plus clivants. Parler de politique étrangère et de défense, c’est dans la logique de ce qu’a voulu le fondateur de la Ve République, incarner symboliquement l’intérêt national au dessus des querelles partisanes. Cette symbolique n’a jamais vraiment perdu son importance.

Deuxièmement, penser que la politique étrangère ne compte pas dans une élection présidentielle, c’est avoir une conception ancienne de la séparation entre l’interne et l’externe dans un Etat moderne. Il va de soi qu’aucune politique publique nationale n’échappe, en 2017, à une dimension externe, au point que l’on ne peut parfois plus faire la distinction entre ce qui est intérieur et ce qui est extérieur. La construction européenne est certainement le facteur externe qui pousse le plus loin la logique de l’interdépendance. Il est impossible de distinguer dans un pays comme la France les choix de politique économique des positions prises à Bruxelles, non seulement parce que des traités et un droit européen contraignent les politiques nationales, mais aussi parce que Paris réalise l’essentiel de ses échanges avec ses voisins européens. Les candidats à l’élection présidentielle qui  affirment qu’ils feront retrouver aux politiques publiques françaises leur pleine souveraineté risquent de déchanter assez vite. A moins d’être adepte de l’Albanie d’Enver Hodja, aucun chef de l’Etat français ne peut échapper à la logique de l’interdépendance.  Alors que le scrutin est très incertain et que les candidats susceptibles de gagner expriment des positions très clivées, on comprend pourquoi l’élection présidentielle française est suivie avec intérêt par les autres pays du monde.

A la tête d’un Etat qui reste la sixième puissance économique du monde, un membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies et Etat fondateur de l’Union européenne, le président de la République française incarne (au moins symboliquement) l’interaction entre le national et le global. De sa politique intérieure dépend inévitablement sa politique étrangère et vice-versa. Dans la campagne qui s’annonce, certains candidats assument explicitement cette interdépendance. D’autres au contraire affirment un primat de la politique nationale qui s’imposerait comme le résultat du seul volontarisme. La deuxième posture est évidemment en décalage avec la réalité, mais les électeurs qui y souscrivent ne sont pas pour autant quantité négligeable et méritent que l’on s’y intéresse.
Ce sont les raisons pour lesquelles chercheurs et doctorants du CERI considèrent nécessaires de faire partager ici leur expertise sur les enjeux de politique étrangère de la prochaine élection présidentielle.

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