La mer de tous les conflits

13/03/2013

En partenariat avec Alternatives Internationales

Il y a quelques mois, en pleine campagne électorale, Shinzo Abe - qui depuis, est devenu Premier ministre du Japon à l'issue des élections législatives de décembre 2012 -, avait appelé à la formation d'une coalition des nations démocratiques du Pacifique à l'océan Indien, arguant de la nécessité d'une réaction conjointe à la poussée chinoise.

Fidèle à son franc-parler nationaliste, il écrivait alors : "La mer de Chine du Sud ressemble de plus en plus à un "Lac Pékin" qui, d'après les spécialistes, sera bientôt à la Chine ce que la mer d'Okhotsk est à la Russie : une mer assez profonde pour accueillir la marine de l'Armée de libération du peuple - et pour qu'elle y installe, en particulier, des sous-marins nucléaires capables de lancer des missiles eux-mêmes équipés de têtes nucléaires (…). Soucieux d'empêcher un tel développement, j'ai parlé à l'Inde de la nécessité, pour les gouvernements indien et japonais, de former un front commun garantissant la liberté de navigation du Pacifique à l'océan Indien".

New Delhi s'inquiète, elle aussi, de la présence chinoise dans cet océan Indien qu'elle considère comme sa mare nostrum. Pékin ne cesse en effet d'enrichir son "collier de nouvelles perles", le surnom donné aux points d'appui maritimes (facilités portuaires, bases militaires…) qu'elle multiplie dans la région. Après celles du Myanmar et du Pakistan, les plus récentes se trouvent au Bangladesh, au Sri Lanka - et bientôt au Seychelles, voire à l'île Maurice.

Pour résister à la Chine, Shinzo Abe aspire à former un "diamant de sécurité démocratique" qui outre l'Inde et son propre pays, regroupe l'Australie, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Il précise au passage que l'Inde est plus importante que l'Australie dans ce dispositif. Et sans doute que les nations européennes qui tendent à se retirer de la zone (nous verrons ce que le "Livre blanc" sur la défense dira bientôt sur ce point côté français). De fait, l'attitude de l'Inde décidera largement de l'efficacité de ce containment ("endiguement") des temps modernes. New Delhi entretient d'excellentes relations avec le Japon, dont témoignent non seulement un dense dialogue stratégique, mais aussi une lutte conjointe contre la piraterie - le nouveau nom de code de toute collaboration anti-chinoise dans la région. L'Inde a aussi donné une dimension militaire à sa collaboration - ancienne - avec ses amis traditionnels d'Asie du Sud-Est. D'où des manoeuvres conjointes avec la marine vietnamienne, la formation de pilotes de chasse singapouriens etc..

Mais est-elle prête à aller plus loin ? Il faudrait, pour cela, qu'elle évolue sur deux fronts. Premièrement, elle devra admettre la présence de puissances étrangères dans l'océan qui porte son nom - et qu'elle a toujours regardé comme sa chasse gardée. De ce point de vue, le Japon (qui a déjà des avions d'observation à Djibouti) est moins susceptible de l'inquiéter que ne l'avait fait l'arrivée des Américains à Diego Garcia, lorsque les Britanniques leur ont loué une base dans l'atoll à partir de 1966.

Deuxièmement, il faudrait que New Delhi prenne le risque de voir les sourcils se froncer à Pékin alors que la Chine est devenue son premier partenaire commercial et la fascine au point que le "consensus de Pékin", ce mélange de capitalisme sauvage et d'autoritarisme politique, commence à faire un grand nombre d'émules dans la classe moyenne indienne, bien moins intéressée par la démocratie que par les biens de consommation.

Shinzo Abe a en tout cas raison de penser que l'avenir de l'Asie - et peut-être même du monde - se joue sur les mers. Et qu'il dépendra beaucoup de la capacité de résistance de l'Inde à la poussée chinoise.

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