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19.11.2025
Non, la coopération multilatérale n’est pas morte…
par Frédéric Ramel
Dans le film de Sofia Coppola Lost in translation, les héros ne comprennent pas vraiment le monde dans lequel ils évoluent. A première vue, l’esprit du multilatéralisme semble dans une situation similaire, voire dans une configuration plus préoccupante puisque c’est le système international qui lui serait réfractaire. Ainsi, cet esprit qui depuis le XIXe siècle se fraye un chemin dans la modernité déserte l’agenda de plusieurs grandes puissances dont certaines ont pourtant contribué à la naissance des Nations unies après la Seconde Guerre mondiale. Le multilatéralisme deviendrait-il moins intelligible et moins attractif ?
Les organisations intergouvernementales et l’ONU au premier chef subissent en effet une série de critiques de plus en plus acerbes. Parmi les tendances à l’œuvre, quatre d’entre elles se révèlent particulièrement alarmantes : l’affaiblissement par blocage lorsque les Etats membres refusent la logique du consensus, l’affaiblissement par délitement à travers le désintérêt pour les dispositifs mis en place que ce soit sur le plan budgétaire ou bien en matière de règles de droit, l’affaiblissement par débordement sous l’effet d’acteurs extérieurs aux organisations internationales qui s’accaparent le processus décisionnel, l’affaiblissement par dénonciation alimenté par une contestation de l’existence même des organisations multilatérales.
Si des gouvernements néo-populistes tel que celui de Donald Trump s’engagent dans un détricotage systématique des liens multilatéraux pour ne pas dire montrent une volonté de torpillage sans vergogne, il convient de ne pas se limiter à ce diagnostic. Primo, les cadres souples comme la diplomatie de clubs demeurent investis notamment par les émergents et les pays des Suds, révélant une appétence pour des actions collectives certes moins institutionnalisées et plus flexibles mais néanmoins existantes. Secundo, une énergie sociale est bel et bien à l’œuvre pour proposer des réformes, y compris celle de l’ONU dont l’action rimerait avec paralysie. Sous la forme d’une campagne en faveur d’une révision de la Charte (article 109) portée par des Etats comme le Brésil et l’ONG Global Governance Forum qui a rédigé un texte conséquent argumenté et commenté depuis plus d’un an et demi, un mouvement se dessine. Tertio, le multilatéralisme se nourrit de ses crises pour avancer, muter et se transformer. Ce que nous enseigne l’histoire de cette coopération.
Avec son renouvellement au 1er janvier 2025 pour un deuxième mandat de cinq ans, le GRAM en tant que Réseau thématique du CNRS persévère dans sa volonté de mieux saisir ces évolutions et ces adaptations. Ses membres étudient avec lucidité les configurations dans lesquelles se meuvent les Etats ainsi que les acteurs non étatiques plus ou moins associés au travail multilatéral. Ils n’oublient pas les filets normatifs plus ou moins serrés voire remis en cause par un certain nombre de puissances. C’est alors moins une décomposition de la coopération multilatérale qui apparaît mais une recomposition complexe.
Et oui, derrière l’analyse se loge aussi un jugement moral. Car le multilatéralisme s’accompagne d’un droit d’espérer, d’autant plus décisif aujourd’hui face aux enjeux qui ne sont pas seulement internationaux mais qui se révèlent planétaires. Ce droit, Léon Bourgeois, l’un des pères du solidarisme international, le rappelle dans son discours de réception du prix Nobel: « Si nous considérons la route poursuivie depuis le commencement de l’histoire jusqu’aux heures présentes, notre espoir se fortifiera jusqu’à devenir une foi véritable, une inébranlable foi. »
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