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02.06.2020
Liberté pour Fariba, liberté pour la recherche

Au moment de son arrestation, elle menait, après un détour de quelques années par l’Afghanistan, une enquête de longue haleine sur les réseaux de clercs. Elle revenait, ce faisant, à ce terrain iranien qu’elle avait arpenté sans relâche pour mieux faire comprendre, dans toute sa complexité, cette société « post-révolution islamique ». Ses activités n’ont jamais rien eu de secret, elles ont toujours été menées au service de cet effort de compréhension mais pour un régime autoritaire sur la défensive, la recherche est aisément vue comme le paravent de l’espionnage.
Fariba n’est, malheureusement, pas la seule à se retrouver ainsi derrière les barreaux en Iran. D’autres chercheurs ont été arrêtés au cours des années passées, comme sa compagne d’infortune l’Australienne Kylie Moore-Gilbert ou l’anthropologue Kameel Ahmady, un Anglo-Iranien (libéré sous caution en novembre 2019). Même si les universitaires sont loin d’être les seules victimes de cet arbitraire, il reste que ce sont des proies appréciées. Et il n’est pas nécessaire de travailler sur le très contemporain pour se retrouver incarcéré : Xiyue Wang, de nationalité américaine, doctorant du département d’histoire de Princeton, menait des recherches sur la dynastie Qajar qui dominait la Perse entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XXe siècle. Arrêté en août 2016, il a été condamné à dix ans de prison avant d’être libéré en décembre 2019 dans le cadre d’un échange de prisonniers.
Ces faits attestent qu’en Iran, comme malheureusement dans d’autres pays non-démocratiques, les chercheurs peuvent facilement être considérés avec suspicion et se retrouver dans une mécanique infernale digne du Procès de Kafka. Le sort dramatique de Fariba nous invite ainsi à une réflexion plus large sur la liberté de recherche qui, en particulier dans des contextes autoritaires, reste précaire, voire carrément menacée. Nous sommes, nous chercheurs, devant une vraie difficulté : il nous faut continuer notre travail d’élucidation du social, même sur des terrains difficiles, mais nous ne pouvons ignorer que, même si nous agissons avec prudence, nous pouvons nous retrouver injustement en posture d’accusés. La mise en place d’un véritable « statut du chercheur », au niveau international, pourrait-elle constituer une avancée ? Oui, dans la mesure où cela permettrait de fixer les droits d’investigation du chercheur (dans le respect des lois nationales), mais, ne nous leurrons pas, un tel statut ne règlerait pas tout, loin de là. Ainsi, bien que la profession de journaliste bénéficie en théorie d’un encadrement plus protecteur, ce dernier n’a jamais empêché l’enlèvement, la séquestration, voire la disparition de journalistes enquêtant dans des zones difficiles ou dans des « pays fermés ».
La liberté de recherche, au nom de laquelle Fariba avait commencé le 24 décembre avec sa codétenue Kylie Moore-Gilbert une grève de la faim qui devait durer cinquante jours, restera un combat permanent dans un monde en ébullition où les régressions démocratiques sont nombreuses. Dans sa lettre ouverte au président Ahmadinejad en 2009, après la répression du « mouvement vert » qui s’était créé contre des élections aux résultats douteux, Fariba écrivait qu’elle ne pensait pas avoir le courage de Clotilde Reiss, doctorante française, arrêtée à cette époque pour « espionnage ». Elle a, depuis, largement montré qu’elle avait une force morale incomparable et une détermination sans faille pour défendre, sans relâche, plus que sa seule liberté, la nôtre.
Liberté pour Fariba ! Liberté pour la recherche !
Alain Dieckhoff
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