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12.12.2025

Les Mondiales de Nantes : retour d’expérience


par Christophe Jaffrelot

 
Ma participation aux Mondiales de Nantes s’est déroulée en deux temps. Le samedi matin, j’ai d’abord participé, avec deux autres collègues, à une séance de présentation d’ouvrages où a été discuté le livre collectif sorti dans la collection du CERI, l’Enjeu mondial, que j’ai co-dirigé avec Delphine Allès, L’Indo-Pacifique (Presses de Sciences Po). Cela m’a donné l’occasion de revenir sur la stratégie dite de la troisième voie des Européens dans cette région, la France, l’Allemagne et l’Union européenne en général se présentant comme une alternative aux grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Chine, une posture très appréciée notamment par les pays de l’Asie du Sud Est.
 
L’après-midi, j’ai participé avec deux autres indianistes, Catherine Bros (économiste) et Nicolas Blarel (spécialiste de relations internationales), à un panel sur la relation Inde-Chine. J’y ai souligné la vulnérabilité et la dépendance de l’Inde vis-à-vis de son grand voisin. La vulnérabilité en question vient d’abord des incursions répétées de Pékin dans l’Himalaya où les Chinois ont « grignoté » des territoires d’une grande importance stratégique pour améliorer les infrastructures de transport aux fins de patrouilles militaires, sans parler des « villages-garnisons » qui ont aussi vu le jour, notamment au Bhoutan. Cette poussée chinoise s’est traduite par des heurts plus ou moins violents, notamment au Ladakh où vingt soldats indiens ont perdu la vie en 2020. L’Inde se considère en outre encerclée par la Chine à travers les positions que ce pays a récemment acquises au Népal, au Bangladesh et au Sri Lanka, l’axe sino-pakistanais étant lui plus ancien. 
Cette expansion doit beaucoup à la force de frappe économique de la Chine qui développe dans ces pays des infrastructures (portuaires notamment). Elle s’inscrit aussi en réaction au nationalisme hindou du gouvernement de New Delhi qui évoque volontiers sa volonté de reconquérir les territoires de son voisinage, perçus comme faisant partie de la Grande Inde (Akhand Bharat) historique.
 
En termes de dépendance, l’économie indienne doit beaucoup à celle de son voisin chinois non seulement pour ses équipements énergétiques (panneaux solaires) et ses machine outils (tunneliers) mais aussi pour des biens de consommation courante comme les ordinateurs, pour les terres rares indispensables à la fabrication de véhicules électriques et même des engrais. Au-delà, l’Inde doit se fournir auprès de la Chine pour ses propres exportations : elle ne pourrait pas faire figure de « pharmacie du monde » (titre qu’elle doit à la vente de ses médicaments génériques) si elle ne se fournissait pas auprès de Pékin en principes actifs. De même, elle ne serait pas en mesure d’assembler des téléphones portables et d’autres produits électroniques dont elle commence à inonder certains marchés si elle ne s’approvisionnait pas auprès des entreprises chinoises.
 
Résultat : malgré les heurts cités plus haut et malgré l’aide que la Chine a apportée au Pakistan lors de la guerre éclair que ce pays et l’Inde se sont livrés en mai 2025, New Delhi s’est rapproché de Pékin au cours des derniers mois, au point d’accepter davantage d’investissements venus de Chine et de rétablir des liaisons aériennes directes.
 
Le public des Mondiales s’est montré très intéressé par les présentations que nous avons faites, mes collègues et moi-même, la salle pleine à craquer d’une centaine de personnes que nous occupions se montrant très attentive, et même concentrée. Ce public était divers en termes de génération mais la présence d’un très grand nombre d’étudiants et de lycéens était des plus notables. Les plus jeunes n’ont pas hésité à poser des questions chaque fois très pertinentes. De tels échanges me confortent dans l’idée que les enseignants-chercheurs que nous sommes ont vocation à entrer en relation d’une façon beaucoup plus systématique avec les lycéens et leurs enseignants, notamment les professeurs de sciences économique et sociale (SES), d’histoire et de géographie. Cela paraît d’autant plus évident depuis que la réforme du lycée a introduit la géopolitique et la science politique dans les programmes à travers la spécialité HGGSP (Histoire, géographie, géopolitique et science politique). Celle-ci attire de nombreux étudiants mais le programme est par certains côtés très ardus, par exemple le chapitre « Etat et religion » de l’année de Première. Mieux travailler avec les associations d’historiens et géographes fait d’ailleurs partie des nouvelles missions de l’Association française de science politique (AFSP) au titre de laquelle j’avais été invité aux Mondiales de Nantes par le magazine en ligne AOC, un partenaire de l’AFSP. D’où ma participation au comité d’organisation, qui ne tenait donc pas qu’à mon expertise régionale.

L’équipe d’AOC avait constitué un Comité d’organisation formé par des spécialistes de différentes sciences sociales auxquels on doit la richesse du programme et le succès de l’événement : 3 000 personnes étaient présentes en même temps au plus fort de ces deux journées. Le Lieu Unique – ancienne fabrique de la Biscuiterie nantaise -, à deux pas de la gare TGV, n’est pas pour rien dans ce succès. Ce cadre n’a toutefois été habité par une belle dynamique que grâce à la convivialité des participants, des architectes du programmes aux panelistes en passant par les animateurs des sessions. Cette atmosphère des plus chaleureuses n’excluait pas une gravitas inévitable étant donné les défis de l’heure, de Gaza à l’Ukraine ou les débats et controverses. Les intellectuels dignes de ce nom ont cependant agree to disagree tout en se manifestant un respect mutuel. 

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