L'Italie et l'Union Européenne

Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement 5 étoiles, le 21 mai /Giuseppe Conte en conférence de presse juste après sa nomination comme Premier Ministre, le 23 mai / Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue, le 14 mai ©Getty - Antonio Masiello
Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement 5 étoiles, le 21 mai /Giuseppe Conte en conférence de presse juste après sa nomination comme Premier Ministre, le 23 mai / Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue, le 14 mai ©Getty - Antonio Masiello
Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement 5 étoiles, le 21 mai /Giuseppe Conte en conférence de presse juste après sa nomination comme Premier Ministre, le 23 mai / Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue, le 14 mai ©Getty - Antonio Masiello
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Quels sont les enjeux du nouveau gouvernement italien?

Avec
  • Ettore Recchi Professeur de sociologie à Sciences Po Paris, et à l'European University de Florence
  • Marc Lazar Professeur émérite d'histoire et de sociologie politique à Sciences po et à l'Université LUISS de Rome
  • Daniela Schwarzer Membre du directoire de la Fondation Bertelsmann
  • Francesco Saraceno Directeur adjoint du département d’études de l’OFCE

Autour de Christine Ockrent :

Marc Lazar, professeur des universités en histoire et sociologie politique à Sciences Po et président de la School of Government de l'université Luiss à Rome. Il dirige le Groupe de recherches pluridisciplinaires sur l’Italie contemporaine (GREPIC) au Centre de recherche internationale (CERI).

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Le politologue note l'habilité du M5S comme de la Ligue à utiliser les réseaux sociaux :

"Les populismes ont une longueur d'avance sur les partis traditionnels : ils ont compris l'importance considérable de la révolution numérique en politique." 

Il interroge aussi la tension qui existe entre la coalition des deux partis, qui estiment avoir la légimitité populaire dans leur camp,  et le Président de la République, élu par la précédente assemblée, pour qui son devoir consiste à faire respecter la Constitution : 

"On a peut-être en ce moment le début d'une crise qui n'est plus simplement politique, mais qui pourrait être une crise institutionnelle".

Ettore Recchi, professeur à l’ European University Institute de Florence et directeur de l’école doctorale en sociologie de Sciences po Paris, spécialiste de l’étude des mobilités contemporaines dans l’espace européen.

Parallèlement à l'arrivée massive de migrants en Italie, Ettore Recchi souligne que :

"l'émigration des Italiens a recommencé, avec 600 000 départs (...), la taille d'une ville comme Palerme"

Francesco Saraceno,  économiste à l’ OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).

L'économiste analyse les propositions économiques présentées dans le programme de gouvernement :

"L'inégalité a [un impact] sur la performance économique, et pas seulement sur les problèmes d'éthique et de justice sociale ; [le nouveau programme] est orienté vers des recettes qui nous mènent vers le passé".

Depuis Berlin, Daniela Schwarzer, directrice de l' Institut allemand de politique étrangère (DGAP).

Daniel Schwarzer a fait état de l'inquiétude d'une "Allemagne au milieu de la division Est-Ouest", dont le but est de "tenir le club des 26", tâche rendue plus difficile encore avec les événements en Italie. 

De son côté, le président Macron pourrait être tenté de faire alliance avec le M5S, dont Marc Lazar estime qu'il est "son seul allié potentiel".
Le politologue rappelle également l'enjeu de la relation Italo-Russe :  

"Le mouvement 5 étoiles et la Ligue ont des désaccords, mais ils ont également des vrais points de convergence, et notamment sur la Russie". 

Au centre des préoccupations de l'Allemagne réside la question des sanctions contre Moscou.

Marc Lazar conclut : 

"Il n'y a pas d'anomalie italienne : l'Italie sert de laboratoire pour toute l'Europe".

La chronique d' Eric Chol, de Courrier International :

Quelle réaction de la presse italienne à la nomination de Giuseppe Conte ? 

La presse italienne a réservé au nouveau Premier Ministre un accueil  plutôt froid. Comme le rappelle le Corriere della Sera, c’est en effet 

« un non-parlementaire qui est appelé à dirige le gouvernement »

ce qui, pour le journal,  semble pour le moins paradoxal pour des partis qui, hier encore, s’insurgeaient contre les “quatre Premiers ministres successifs non élus” que vient de connaître l’Italie, c’est à dire Mario Monti, Enrico Letta, Matteo Renzi ou Paolo Gentiloni

Non seulement Giuseppe Conte n’était pas parlementaire, mais, surtout, ce juriste de 54 ans était jusqu’ici inconnu des Italiens. Lorsque son nom a commencé a circulé, en début de semaine, il a d’abord connu quelques déboires avec son CV : la presse italienne et américaine l’a accusé d’avoir un peu embelli ses diplômes. 

Mais il y a plus grave : pour la presse italienne, la tache qui attend Giuseppe Conte fait figure de mission impossible. Car si non nom a été proposé par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles, les journaux italiens se demandent quel sera le pouvoir effectif de ce "technicien", notamment vis-à-vis de Di Maio et Salvini, auxquels il doit son existence politique.

Il Fatto Quotidiano résume la position délicate du nouveau premier ministre par un photomontage à la Une, montrant le nouveau Premier ministre sur un fil, avec ce titre : L’équilibriste. Un funambule qui a promis dans son premier discours de devenir "l’avocat du peuple italien", une formule détournée par le journal Il Tempo qui  préfère parler "d’a_vocat commis d’office"_. Au passage, le quotidien conservateur déplore que :

au terme d’un très long entretien au palais du Quirinal [c’est à dire le siège de la présidence], Giuseppe Conte [se soit] plié aux exigences sur l’Europe et le choix des ministres”. 

Giuseppe Conte aura-t-il les mains libres pour gouverner ? 

On verra cela au moment de la nomination du gouvernement. Car si les deux leaders de la ligue et du mouvement 5 étoiles doivent théoriquement siéger aux côtés de Giuseppe Conte le premier à l’Intérieur et le deuxième au travail, un autre ministère alimente toutes les spéculations  et pourrait faire de l’ombre au nouveau président du conseil : celui de l’économie. Hier, toute la presse titrait sur la "Bataille sur le Trésor [public]", ou  "Le mystère du Trésor" ; le quotidien Libero affichait lui la photo de Paolo Savona avec cette question : "Qui a peur de cet homme ?"

Trois unes compilées par Courrier International : La Repubblica, Il Manifesto et il Libero
Trois unes compilées par Courrier International : La Repubblica, Il Manifesto et il Libero
- Courrier International

Âgé de 82 ans, Paolo Savona est un professeur d’économie et un ancien ministre  très connu pour ses positions hostiles à l’euro et à l’Allemagne, explique le journal Il Post. La presse italienne a déterré ses déclarations les plus polémiques. Comme cette interview donnée à Libero l’an dernier, dans laquelle il déclarait : 

“Il n’y a pas d’Europe, mais une Allemagne entourée de peureux.” 

Il est certain, en tous cas, que Paolo Savona est le favori de la Ligue de Matteo Salvini pour occuper le ministère de l’Économie. Le président Sergio Mattarella, quant à lui, est très hésitant. Selon La Repubblica, le chef de l’Etat veut 

“protéger le périmètre d’autonomie du futur Premier ministre”.

S’il est nommé, la figure de Paolo Savona pèsera si lourd, poursuit le journal, 

“qu’aux yeux du monde extérieur (chancelleries, Commission européenne, marchés), il deviendra probablement le personnage qui concentrera toutes les attentions. Peut-être ne sera-t-il pas vu comme le véritable Premier ministre, mais presque.”

Quelle est la position des journaux des pays qualifiés "d'illibéraux" ? 

Une chroniqueuse de l’hebdomadaire de droite Sieci, croit à un "effet bouge de neige" en Europe :

"Bruxelles tremble de peur car l’Italie n’est ni la Pologne, ni la Hongrie, ni l’Autriche - c’est la 3e économie européenne. […] L’establishement européen perd contre de jeunes politiques qui n’ont pas perdu le contact avec la réalité, sont politiquement incorrects et ne sont pas impressionnés par le relativisme moral et culturel".

En Hongrie, dirigée par le gouvernement de Viktor Orbán, la mise en place de cette alliance populiste en Italie divise la presse locale. Les médias proches du pouvoir se félicitent de l’accord gouvernement, à l’image du portail proche du pouvoir 888.hu, qui estime que cette coalition plante 

"un nouveau clou dans le cercueil de Bruxelles".

Mais la presse libérale hongroise s’inquiète. Par exemple, le portail 444 estime que : 

“La situation s’annonce encore plus grave que l’énorme grabuge grec ou l’illibéralisme magyar. Les forces anti-mainstream appelées à diriger l’un des pays les plus importants de l’Union européenne n’ont pas caché leur volonté de se tourner vers Moscou et érigent d’ores et déjà Bruxelles en adversaire.”

Enfin en Tchéquie, on retrouve la même préoccupation de la part du quotidien économique Hospodarské noviny  :

"Dans son programme, ce gouvernement italien s’est engagé entre autres à interdire les francs-maçons. On pourrait encore considérer cette interdiction comme  une extravagance plutôt comique dans la mesure où son application exclurait alors de grands patriotes tels que le leader tant célébré de la résistance contre l’Autriche et la France au XIXe siècle Giuseppe Garibaldi ou l’auteur des paroles de l’hymne national Goffredo Mameli."

Pour aller plus loin :

En anglais, publié dans le Berlin Policy Journal

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