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Entretien

Journalistes assassinés au Mexique: «Il y a un très grand problème d’impunité»

Un journaliste a été tué au Mexique vendredi 4 mars. C'est le sixième depuis le début de l'année dans ce pays où la situation sécuritaire se dégrade de plus en plus. Entretien avec Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc).

Des photos de journalistes assassinés sont placardés à l'entrée des bureaux du procureur général durant une manifestation, le 14 février 2022 à Mexico.
Des photos de journalistes assassinés sont placardés à l'entrée des bureaux du procureur général durant une manifestation, le 14 février 2022 à Mexico. AP - Eduardo Verdugo
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Juan Carlos Muñiz, journaliste pour le portail d'information Testigo Minero, était au volant du taxi qu'il conduisait pour arrondir ses fins de mois quand il a été tué par balles par des inconnus, qui ont pris la fuite. Le parquet a annoncé l'ouverture d'une enquête, alors que ce début d'année est particulièrement meurtrier pour les journalistes au Mexique. Dans ce pays, les crimes envers les journalistes (environ 150 en 20 ans) restent généralement impunis.

RFI : Pourquoi autant de journalistes ont-ils été tués au Mexique depuis le début de l’année ?

Gaspard Estrada : Visiblement, il y a un contexte de dégradation de la situation sécuritaire, notamment pour les journalistes. Je pense notamment à la presse quotidienne régionale. C’est elle qui est la plus souvent visée par les cartels, puisque c’est elle qui est au plus près du terrain. Et c’est elle qui constate l’ampleur de la grave crise sécuritaire que vit le Mexique. C’est donc à elle que s’en prennent les cartels. Et malheureusement, c’est là où on déplore le plus de morts.

Mais pourquoi tous ces journalistes sont tués précisément en ce moment ? Sept journalistes ont été tués sur l'ensemble de l'année 2021. Depuis janvier, il y en a déjà six. À quoi est due cette accélération ?

Je pense que c’est surtout la dégradation de la situation sécuritaire. Je pense qu’il peut aussi y avoir un changement de braquet en ce qui concerne les mécanismes d’autocensure, qui ont pu exister notamment dans cette presse quotidienne régionale. Manifestement, ces journalistes ont fait le choix de braver cette autocensure et ils en paient aujourd'hui le prix. Et c’est tragique.

Sur quoi ces journalistes enquêtent-ils ? 

Ce sont des journalistes qui enquêtent sur la situation de leur territoire. Des journalistes qui ont pu dénoncer des connivences entre les leaders politiques locaux avec certains cartels ou des luttes de pouvoir au sein de certains cartels, de nouvelles routes de trafic de drogue...

Pourquoi les tuer ?

Pour faire en sorte qu’on ne parle plus de toutes ces affaires dans les médias. Ça sert à intimider. Et malheureusement, le Mexique a beaucoup de mal avec la justice, dans le sens où plus de 90% des affaires judiciaires ne sont pas résolues. Il y a un très grand problème d’impunité au Mexique. Et je crains que, malgré les initiatives qui ont pu être prises par plusieurs gouvernements depuis déjà une dizaine d’années par rapport à la protection des journalistes et la protection de la presse, le nombre de journalistes assassinés n'augmente durant l’année 2022.

À lire aussi : Est-il encore possible d'informer au Mexique?

Comment le gouvernement mexicain répond-il à ces meurtres ? Quelles mesures prend-il ?

Un dispositif a été créé il y a une dizaine d’années, et a été renforcé par l’actuel gouvernement, pour apporter des gages et notamment des formes de protection. Des policiers sont mis à la disposition de certains journalistes exposés. Un bureau du procureur spécialisé sur ces questions a été constitué, afin de faire en sorte que l’État soit plus présent en cas de menaces sur des journalistes, et pouvoir y répondre. Malheureusement, ce dispositif n’est manifestement pas suffisant. Nous avons atteint un record de morts de journalistes alors que le mois de mars ne fait que commencer.

À quoi est dû cet échec ? Un manque de moyens, il y a de la corruption ?

C’est un ensemble. En effet, il y a un manque de moyens. Il y a un problème de corruption et il y a un problème d’impunité, de manque de fonds. La justice fonctionne mal au Mexique. Régulièrement, elle est incapable de traduire en justice les responsables des crimes. Et il y a un crime organisé qui a réussi à s’implanter durablement dans les territoires. C’est ce qui rend d’autant plus urgent de parler des mesures structurelles qui pourraient être apportées pour changer de braquet en ce qui concerne la lutte contre la drogue. Je pense notamment aux questions liées à la dépénalisation des drogues qui est quelque chose qui progresse, notamment aux États-Unis, premier pays consommateur de drogues dans le monde.

Vous pensez qu’en dépénalisant les drogues, en arrêtant la stratégie de la guerre contre la drogue, on va pouvoir diminuer ces crimes ?

La question est double. Il y a d'un côté la question financière et de l'autre, celle de la santé publique. Aujourd’hui, les cartels prospèrent grâce au fait qu’il s’agit d’un marché illégal. C’est un marché juteux avec la possibilité d’énormes marges financières. Et pour pouvoir maintenir ces marges, tout est possible, y compris le fait de tuer, que ce soient des individus au Mexique, aux États-Unis ou ailleurs. Il faut donc casser ce circuit économique et cette dispute pour obtenir ces bénéfices considérables. D’où la question d’intégrer le marché des drogues dans un circuit légal, afin que le crime organisé ne capture pas la rente de l’illégalité.

En ce qui concerne la santé publique, l’objectif est de faire en sorte que la qualité de ces produits puisse être garantie par l’État au lieu que ce soit fait dans des laboratoires clandestins. Et de faire en sorte que ces personnes puissent être traitées d’une bien meilleure manière par le système de santé. C’est tout le sens de la dépénalisation des drogues qui a eu lieu au Portugal en 2001 et qui ne s’est pas traduit par une explosion de la consommation des drogues comme on pourrait le redouter, mais plutôt par un meilleur suivi des usagers.

Pour en revenir au mécanisme de protection des journalistes, et aux assassinats de journalistes, quelle est la position du président Andrés Manuel López Obrador sur ce sujet ?

Monsieur Obrador a une position ambiguë vis-à-vis des médias, puisqu’il les attaque régulièrement à l’occasion de ses conférences de presse. Il souhaite maintenir, voire renforcer, ce mécanisme de protection des journalistes. Mais dans les faits, son gouvernement a assez peu agi. Et de ce point de vue, on ne peut que déplorer ce manque d’action de la part du président Lopez Obrador à ce sujet.

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