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Iran: face à la dégradation de la situation, la défiance de la population grandit

Série d'« accidents » qui touchent des sites industriels ou militaires, crise économique, seconde vague de coronavirus... La République islamique d’Iran est sous pression. La population, bien que résiliente, est inquiète pour son avenir. Et sa défiance envers le régime grandit.

Un incendie à l'hôpital Sina Athar, dans le nord de Téhéran, le 30 juin 2020.
Un incendie à l'hôpital Sina Athar, dans le nord de Téhéran, le 30 juin 2020. AMIR KHOLOUSI/ISNA/AFP
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« Dans notre enfance, on voyait souvent des films comme Les Misérables, un film adapté du célèbre roman de Victor Hugo, ou Hanikou, et on se demandait pourquoi ce genre de films étaient diffusés. Maintenant, on comprend que c’était pour nous préparer à ce qu’on vit aujourd’hui. Tout ce qu’on voit dans ces films, la misère, la pauvreté, l’éclatement de la famille, tout cela fait partie de notre quotidien aujourd’hui », déplore Mehrnoosh* depuis Téhéran.

Les Iraniens sont épuisés, le coût de la vie augmente de jour en jour et la population subit d’un côté la mauvaise gestion économique du régime et de l’autre les sanctions économiques réimposées par les États-Unis suite à leur sortie de l’accord nucléaire en mai 2018. L’inflation officielle a ainsi atteint 22,5% en juin (certaines sources iraniennes parlent de plus de 40%), tandis que la monnaie, elle, continue de se déprécier. Mardi 14 juillet, un euro s’achetait à environ 250 000 rials.

Ce contexte rend encore plus difficile la lutte contre le coronavirus. Avec 13 000 morts (chiffre officiel), l’Iran est le pays le plus touché par la pandémie au Moyen-Orient. Le président Hassan Rohani a toutefois lui-même affirmé que la situation économique ne permettait pas d’imposer un confinement strict pour lutter contre la pandémie. « La solution la plus simple est de tout fermer mais, ensuite, à cause de la faim, du chômage et de la pauvreté, les gens sortiraient protester », a-t-il expliqué lors d’une réunion du Comité national de lutte contre le Covid-19, le 11 juillet. Quelques jours auparavant, le 8 juillet, le ministre de la Santé, Saïd Namaki, a également justifié la réouverture de l’économie. « On savait très bien que le déconfinement allait augmenter les cas, mais notre économie est à genoux », a-t-il reconnu.

Des « accidents » qui défient le régime ?

Outre la crise économique et sanitaire, depuis fin juin, une série d’« accidents » suspects ont lieu dans tout le pays. Des explosions ou des incendies qui touchent notamment des sites industriels ou militaires. Ainsi, le 25 juin, une explosion s'est produite près d’un site militaire à Parchin, au sud-est de Téhéran, sans faire de victime, selon les autorités. Le 2 juillet, le complexe nucléaire iranien de Natanz a subi d’importants dégâts. Et plus récemment encore, le 13 juillet, une autre explosion s’est produite dans l’usine de fabrication de condensat de gaz naturel à Fariman, dans le nord-est du pays. Pour les Iraniens, ces événements ne sont pas tous des accidents. « Il y a encore quelqu’un pour croire que cette série d’accidents est due au hasard ? », s’interroge ainsi un internaute sur Twitter.

Pour certains, il est possible qu’Israël, qui souhaite retarder le programme nucléaire iranien, soit à l’origine de ces accidents. La République islamique d’Iran a, en effet, relancé sa production d’uranium enrichi et son programme de recherche et développement, s’affranchissant ainsi progressivement de ses engagements inscrits dans l’accord nucléaire de 2015. « Cela rappelle l’attaque contre le dépôt d’armes près de Malard en 2011 et aussi la cyberattaque Stuxnet contre le programme nucléaire. Et maintenant, ce sont des accidents qui ont lieu les uns après les autres dans des endroits ultra-protégés », explique ainsi Hamid*.

« C’est un retour à la situation du temps d’Ahmadinejad, à la guerre de l’ombre,  explique Clément Therme, chercheur à Science-Po et spécialiste de l’Iran. À l’époque, déjà, l’Iran connaissait des failles dans son système de sécurité. »

De manière générale, Téhéran n’a pas trop communiqué sur les différentes explosions. « Si nos services de sécurité et de renseignement établissent qu'il y a eu sabotage, […] les décisions nécessaires seront prises », avait néanmoins affirmé Yaghoub Rezazadeh, membre de la commission parlementaire sur la sécurité nationale et la politique étrangère iranienne, le 4 juillet. Pour Hamid* cependant, « ces accidents sont la preuve des derniers instants et années du régime. Cela montre que le système peut être pénétré et qu’Israël a finalement réussi à procéder à des sabotages », affirme-t-il. Mardi 14 juillet, le porte-parole du pouvoir judiciaire, Golam-Hossein Esmaili, annonçait l’exécution d’un ancien fonctionnaire du ministère de la Défense qui aurait livré à la CIA des informations secrètes sur le programme des missiles iraniens.

Pour la République islamique, affirmer que ces accidents sont le fait d’ennemis implique en effet une riposte pour contenter les partisans de l’aile dure du régime. Or, selon Clément Therme, « l’Iran ne peut pas supporter plus qu'un certain niveau de confrontation ».

La population n’a plus confiance

Depuis la répression des manifestations de novembre 2019, qui a fait entre 304 morts, selon un bilan d’Amnesty International, et 1 500 morts, selon une enquête de Reuters ; et le crash de l’avion de la compagnie Ukraine International Airlines, abattu le 8 janvier 2020 par l’armée iranienne, les Iraniens ont perdu toute confiance en leurs responsables.

« Ici, il est facile de mourir. Seuls ceux qui ont de l’argent et un nom peuvent vivre », affirme Maryam*, une infirmière sur le front depuis le début de la crise sanitaire. Début juillet, dans une interview accordée à l’AFP, le maire de Téhéran, Pirouz Hanachi, affirmait lui aussi que la faible participation (43%) aux dernières élections législatives était la preuve de « l’insatisfaction » de la population. « Cela pourrait être une menace pour tous, autant pour les réformateurs que pour les conservateurs », a-t-il précisé.

Pour Clément Therme, la propagande du régime ne fonctionne plus. « La population conscientisée a bien compris que Khamenei est un obstacle au développement », explique le chercheur. Ainsi, alors que Téhéran négocie un accord stratégique de coopération multisectorielle avec Pékin sur 25 ans, la population s’inquiète. Ce traité avec la Chine équivaut « à brader notre patrie ! », s’exclame Hamid, en colère. Sur les réseaux sociaux, des internautes comparent cet accord avec le traité de Turkmantchaï, signé par l’Empire perse suite à sa défaite contre les Russes en 1828. « Le simple fait qu’on ne sache rien de cet accord signifie que l’eau et la terre de ce pays sont sacrifiées pour la survie du régime des mollahs », conclut Saber*.

* Les prénoms ont été modifiés

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