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Le grand invité Afrique

Roland Marchal et Fariba Adelkhah (retenus en Iran) «sont surtout otages de D. Trump»

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Le sociologue, spécialiste de l'Afrique, Roland Marchal, et l'anthropologue Fariba Adelkhah sont retenus en Iran depuis le mois de juin. Cette dernière est accusée d'atteinte à la sécurité de l'État. Roland Marchal, lui, de collusion. Bientôt huit mois de détention pour ces deux chercheurs et la situation reste bloquée, alors que le contexte régional se dégrade, sur fond de montée des tensions entre l'Iran et les États-Unis. Jean-François Bayart, politologue, professeur à l'IHEID (Institut de Hautes Etudes internationales et du développement) à Genève, est notre invité.

Fariba Adelkhah et Roland Marchal sont retenus en Iran depuis bientôt huit mois.
Fariba Adelkhah et Roland Marchal sont retenus en Iran depuis bientôt huit mois. Sciences Po
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Jean-François Bayart, politologue, professeur à l'IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement).
Jean-François Bayart, politologue, professeur à l'IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement). © Jean-François Bayart

Jean-François Bayart, politologue,  professeur à l'IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement) est membre du comité de soutien du sociologue, spécialiste de l'Afrique, Roland Marchal, et l'anthropologue Fariba Adelkhah, retenus en Iran.

Rfi : Jean-François Bayart, où en sont les négociations aujourd’hui pour faire libérer Roland Marchal et Fariba Adelkhah ?

Jean-François Bayart : Il est impossible de le dire. Les diplomates sont, naturellement, extrêmement discrets sur ce point et on les comprend, donc nous n’avons aucune information sur l’état des négociations. Le contexte régional s’est considérablement dégradé et en tout cas compliqué et puis il y a une date symbolique importante ; l’anniversaire de la révolution de 1979, le 11 février. La République islamique consentira-t-elle un geste de clémence ? Nous n’en savons rien.

Et selon vous, pourquoi la situation est-elle bloquée ainsi depuis le mois de juin ?

En réalité, nos deux collègues sont surtout otages de Donald Trump. Et on voit très bien la concomitance entre le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’Accord nucléaire de Vienne et la banalisation de cette politique de prise de gage universitaire de la part de la République islamique d’Iran. Celle-ci essaie de déployer de manière tout à fait inacceptable naturellement une stratégie du faible au fort et se livre à ces comportements de voyou sur la scène internationale.

C’est une pratique régulière de la part de l’Iran, d’incarcérer des chercheurs étrangers ?

Ce que l’on voit depuis effectivement deux ou trois années, c’est cette habitude de prendre des universitaires en gage. Pourquoi des universitaires ? Vraisemblablement parce qu’ils ont une moindre capacité de nuisance que les journalistes ou les diplomates. Et par ailleurs, en Iran, comme dans l’ensemble du Moyen-Orient, traumatisé par la colonisation, les chercheurs ont la réputation sulfureuse dans les opinions publiques d’être des espions.

A quoi peuvent-ils servir pour l’Iran ? De monnaie d’échange, par exemple ?

Il y a plusieurs hypothèses et je suis incapable de vous dire quelle est la bonne. Première hypothèse, ce serait déplacer les termes du rapport de force dans la négociation extrêmement compliquée entre, d’une part, l’Iran, et d’autre part, les pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, avec une France qui s’efforce de jouer les médiatrices.

Une autre hypothèse serait effectivement le troc de nos deux collègues universitaires contre des prisonniers iraniens, en France, qui ont le titre d’universitaires, au moins pour l’un d’entre eux qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par les Etats-Unis pour contournement des sanctions internationales [Jalal Rohollahnejad, ingénieur de 41 ans, spécialiste de fibre optique NDLR] et qui a été jugé extradable [en avril 2019] par le tribunal d’Aix-en-Provence.

Vous avez parlé du contexte régional, est-ce que l’escalade des tensions observées en ce début d’année 2020 entre les Etats-Unis et l’Iran n’a pas fait passer la mobilisation pour Roland Marchal et Fariba Adelkhah au second, voire au troisième plan ?

Ce n’est pas certain. En réalité, nous avons toujours été extrêmement autolimités. Nous nous sommes autolimités dans cette mobilisation. Pourquoi ? Parce que nous récusons toute instrumentalisation politique. Nos deux collègues sont chercheurs, ils sont des prisonniers scientifiques et ils ne sont pas à proprement parler des prisonniers politiques parce qu’ils n’ont jamais fait de politique à propos de l’Iran ou en Iran même.

Et vous ne craignez pas que le contexte régional pèse encore plus lourdement sur leur incarcération ?

Bien sûr. Mais nous estimons que les chercheurs n’ont pas à être les idiots utiles du système international, une espèce de munition ou de ressources dans des négociations opaques qui ne nous concernent en rien.

Quelles sont les dernières informations dont vous disposez sur l’état de santé de Roland Marchal et Fariba Adelkhah ?

Roland Marchal bénéficie de visites consulaires mensuelles. Il souffre, naturellement, de sa détention, il souffre de ne pas pouvoir lire autant qu’il le souhaiterait. Il a des problèmes de santé, mais il est sous assistance médicale.

Fariba Adelkhah, elle, poursuit une grève de la faim. Elle en est à son 38ème jour de grève de la faim - c’est extrêmement long -, pour exiger, d’une part, de rencontrer Roland Marchal, et d’autre part, pour exiger leur libération.

En octobre dernier, vous avez signé une tribune dans Le Monde, où vous plaidiez pour la suspension de la coopération scientifique et universitaire avec l’Iran. Est-ce que c’est une position que vous partagez toujours ?

Oui, mais chaque mot compte. Il s’agit, dans notre esprit, d’une suspension - et non pas d’un boycott ou d’une rupture -, de la coopération institutionnelle. Ce qui ne doit pas exclure, par exemple, des invitations personnelles adressées à des chercheurs iraniens. Mais il ne nous semble pas possible que le contribuable français continue à financer une coopération scientifique institutionnelle avec un pays qui enferme ses chercheurs.

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