INTERVIEW«Trump parle de victoire, mais doit s’attendre à deux années pénibles»

«Midterms» américaines: «Trump parle de victoire, mais doit s’attendre à deux années très pénibles»

INTERVIEWLe politologue Denis Lacorne, spécialiste des élections américaines, tire pour « 20 Minutes » les enseignements des élections américaines de mi-mandat…
Donald Trump en meeting à Pensacola (Floride), le 3 novembre 2018.
Donald Trump en meeting à Pensacola (Floride), le 3 novembre 2018. - Butch Dill/AP/SIPA
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Si les républicains ont limité la casse, mardi soir, en conservant le Sénat, ils ont en revanche perdu la chambre des représentants, « un important contre-pouvoir », analyse Denis Lacorne.
  • Donald Trump doit du coup s’attendre à vivre deux années pénibles face à une chambre des représentants dorénavant critique et qui pourrait même lancer des commissions d’enquête sur des malversations impliquant le président américain.
  • Pour Denis Lacorne, ces élections de mi-mandat marquent une autre déconvenue pour Donald Trump : il a perdu le vote des femmes. Celles-ci ont largement voté démocrate mardi soir. Pas bon signe dans l’optique de la présidentielle de 2020.

«Un immense succès ce soir. Merci à tous. » Voilà ce que retient Donald Trump, sur Twitter, des midterms, les élections de mi-mandats américaines au cours desquelles la totalité de la chambre des représentants est renouvelée ainsi qu’un tiers des 100 sièges du sénat.

Le rendez-vous est capital pour la politique intérieure américaine et il est vrai que Donald Trump semble avoir limité la casse mardi soir, notamment en gardant le Sénat aux mains des républicains. Mais de là à parler d’« immense succès » ? 20 Minutes en parle avec le politologue Denis Lacorne, directeur de recherche au Centre de recherches internationale (CERI), spécialiste des élections américaines.

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Donald Trump a de bons motifs d’être satisfait au sortir de ces midterms ?

Même face à un échec cuisant, Donald Trump dira toujours que c’est une victoire. Cela fait partie de sa rhétorique qui n’est pas attachée à la réalité factuelle. Non, ces midterms ne constituent pas une victoire pour Donald Trump. Je parlerai bien plus d’un échec relatif. Il garde le sénat, d’accord [les républicains gagnent au moins trois sièges supplémentaires*]. En revanche, Donald Trump perd le contrôle de la chambre des représentants, qui est un rouage essentiel de la politique américaine. Il est vrai que généralement, le parti au pouvoir perd des sièges à la chambre des représentants aux midterms, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il en perd toujours le contrôle. Il est vrai aussi que Barack Obama en 2010 ou Bill Clinton en 1994 avaient perdu plus de sièges que ne devrait perdre aujourd’hui Donald Trump. C’était 63 sièges sous Obama et 54 sous Clinton. Pour Donald Trump, les résultats définitifs seront connus en fin de journée, mais les républicains devraient avoir perdu une trentaine de sièges. Cela reste une défaite significative, plus conséquente que l'imaginaient les républicains. La semaine dernière, Mike Pence, le vice-président américain, assurait dans les médias que son parti avait de bonnes chances de conserver la chambre des représentants.

Quelles conséquences auront la perte de la chambre des représentants pour les deux dernières années du mandat de Donald Trump ?

Donald Trump risque tout simplement de vivre deux années absolument détestables. La chambre des représentants est aussi active et a des pouvoirs tout aussi importants que le Sénat. Les deux chambres ne peuvent pas fonctionner l’une sans l’autre. Le sénat a des prérogatives supplémentaires sur la politique étrangère puisqu’il contrôle la nomination des ambassadeurs et ratifie les traités. Sinon, les deux chambres ont quasi les mêmes pouvoirs. Mais lorsque vous contrôlez la chambre des représentants, vous contrôlez toutes les commissions importantes. Celle du budget, des affaires administratives, des affaires étrangères. Toutes ces commissions seront dirigées désormais par des démocrates et dès qu’il y aura une crise, un point noir, ces commissions vont se mobiliser et demander des comptes aux ministres de Trump. Même chose sur les soupçons de corruption et de malversation, cette chambre des représentants pourra très bien lancer des commissions d’enquête. C’est ce à quoi il faut s’attendre dans les deux ans à venir et plus particulièrement lors de la sortie du rapport final de Robert Mueller, le procureur spécial en charge d’enquêter sur les soupçons d’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016.

Donald Trump peut-il être tout de même rassuré par la forte participation des électeurs conservateurs dans ces midterms et par les victoires de républicains face à des étoiles montantes du parti démocrate ?

Là encore, ce sont des succès en demi-teinte ou du moins deux lectures sont possibles. La réélection de Ted Cruz comme sénateur du Texas est présentée comme l’une de ces victoires glanées contre une étoile montante du parti démocrate. Mais Beto O’Rourke, son adversaire, a tout de même obtenu 48% des voix. C'est un score remarquable pour un démocrate au Texas, d'autant plus que Beto O'Rourke était relativement méconnu il y a peu encore et qu'il portait un programme très à gauche. Il préconisait par exemple la suppression de la police des frontières. Cette victoire de justesse de Ted Cruz montre que les républicains n’auront pas la partie facile dans cet Etat en 2020, aux prochaines élections présidentielles. Le camp de Donald Trump ont aussi perdu des batailles cruciales aux sénatoriales. Dans le Wisconsin, par exemple, la sénatrice démocrate Tammy Baldwin a été réélue alors que les Républicains avaient misé beaucoup d’espoir sur cet Etat [bastion traditionnellement démocrate, le Wisconsin avait voté pour Donald Trump à la présidentielle de 2016].

Mais il y a plus important encore pour moi dans ces midterms. Au-delà des sièges perdus ou récupérés, Donald Trump a perdu le vote des femmes mardi soir. L’écart entre le vote féminin et le vote masculin n’a jamais été aussi grand que lors de ces midterms. Il y a une différence de près de 20 points, et c’est en défaveur des Républicains. 60 % des femmes blanches qui ont fait des études universitaires ont voté pour le parti démocrate, c’est énorme. Il faut y voir un « ras-le-bol », un rejet massif du programme républicain par les femmes américaines. Il y a plusieurs raisons, dont déjà le comportement même de Donald Trump à l’égard des femmes. Le président est parmi les figures dénoncées par le mouvement #Metoo, de même que le juge Brett Kavanagh qu’il a tout de même nommé à la cour suprême. Ce même juge est par ailleurs ultraconservateur et pourrait remettre en cause le droit à l’avortement, légitimé par la cour suprême en 1973. Là encore, cette perte du vote des femmes ne présage rien de bon pour les Républicains en vue de 2020.

*Le renouvellement du Sénat se jouait cette année dans des états traditionnellement conservateurs

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