La grande course des universités

La grande course des universités

par Christine Musselin
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Christine Musselin, directrice de recherche CNRS au CSO et directrice scientifique de Sciences Po publie "La grande course des universités" (Presses de Sciences Po) dans lequel elle analyse l'injonction contradictoire adressée aux universités françaises depuis les années 2000 : être en tête de la compétition mondiale et se coordonner à l'échelon territorial. Elle analyse l’organisation par l’État d’une compétition généralisée entre enseignants-chercheurs et entre universités, et le remodelage du paysage universitaire qui fait émerger de nouvelles structures à marche forcée. Entretien.

Comment décrire la compétition qui traverse le monde de l’enseignement supérieur ? Quelle en est la logique, quels en sont les mécanismes ?

Christine Musselin : La logique c’est d’enrayer le déclin, supposé ou réel, de la place du  système d’enseignement supérieur français dans le monde, et pour cela de stimuler la production scientifique par l’attribution sélective de bonnes évaluations ou de ressources. D’où cette mise en compétition orchestrée par trois catégories d’acteurs : les acteurs étatiques qui mettent en place les mécanismes de compétition, les agences (ANR, AERES, …) auxquelles sont déléguées les mises en compétition et les compétiteurs eux-mêmes (universitaires, équipes de recherche, établissements). Seulement, les frontières sont perméables en raison d’une très forte tradition de cogestion en France : la communauté scientifique a toujours été présente au sein du ministère par exemple.

Quant aux mécanismes, j’en citerai deux. Le plus important, c’est la mise en visibilité. La compétition a toujours existé. Mais, la publicisation des notes, des résultats et des classements, comme celui de Shanghai créé en 2003, induit un changement radical. Cela met en lumière les perdants et les gagnants. Et cela n’est pas seulement le fait des réformes françaises. N’importe qui peut trouver sur le web des indices de réputation d’un chercheur. La différenciation devient plus apparente. Le deuxième mécanisme réside dans l’obligation de jouer le jeu de la compétition pour obtenir des budgets. C’est vrai pour la recherche sur projet. C’est également vrai au niveau du ministère : ses algorithmes d’allocation des budgets tiennent compte du résultat des évaluations. C’est aussi le cas au niveau des universités qui répartissent en conséquence leur budget en interne.

D’un côté, l’État organise une compétition généralisée entre enseignants- chercheurs et entre universités. Les financements sur projet de la recherche, la publicisation des évaluations et leur utilisation pour allouer les budgets à la performance, comme les très sélectifs appels à projets qui se sont succédé sans relâche depuis le Grand Emprunt de Nicolas Sarkozy, ont accru les écarts entre établissements et fait voler en éclat le principe sur lequel reposait jusqu’alors, en théorie, le système français : des universités équivalentes sur l’ensemble du territoire.

De l’autre, un remodelage du paysage universitaire est à l’oeuvre. Il impose que les grandes écoles, les organismes de recherche et les universités d’une même région coordonnent leurs actions dans le but de rationaliser les coûts et de grimper dans les classements mondiaux.

De nouvelles structures sont ainsi créées à marche forcée, sans qu’il soit possible de savoir si ces changements majeurs atteindront leurs objectifs et assureront un avenir radieux à l’enseignement supérieur français.

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