Résumé de la thèse d'Héloïse Fradkine

Les mondes de la chasse. Contribution à une étude de rapports sociaux spatialisés en Seine-et-Marne et en Côte-d’Or (sous la direction de Alain Chenu et de Philippe Coulangeon)

Consacrée à l’étude de rapports sociaux qui se nouent autour de la chasse, cette thèse se veut une contribution à une sociologie des modes de vie qui, prenant en charge l’inscription spatiale du social, permet de donner concrètement à voir la dimension relationnelle de la construction des classes sociales.
La constitution des mondes de la chasse à l’échelle nationale est d’abord retracée et mise en perspective aux plans historique et sociodémographique, grâce à la mise en dialogue de travaux d’historiens, de politistes, de juristes, d’ethnologues et de sociologues. Les deuxième et troisième parties de la thèse se fondent principalement sur l’analyse de matériaux recueillis, selon des méthodes de type ethnographique, au sein d’un terrain rural (le Germanois côte-d’orien) et d’un terrain périurbain (les environs bellifontains en Seine-et-Marne) entre 2006 et 2011. Sur chacun de ces espaces, plusieurs types de groupements cynégétiques, tous consacrés à la chasse du grand gibier mais tendanciellement investis par des catégories sociales différentes, ont été observés : sociétés communales de chasse, groupes de chasse à tir privés, équipages de chasse à courre.

Le travail de synthèse mené dans la première partie de la thèse, à notre connaissance inédit, permet de revenir sur les dynamiques sociales et politiques qui ont présidé à l’institutionnalisation de la chasse et à la diffusion des activités cynégétiques. Concernant la période contemporaine, l’attention est en particulier orientée vers le déclin numérique des porteurs de permis de chasser à l’échelle nationale – s’ils sont aujourd’hui 1,1 million, ils étaient près de deux millions à la fin des Trente Glorieuses – ainsi que vers les transformations des places de la chasse et de ses conditions. Ces dynamiques sont mises en relation avec les modifications des rapports à l’environnement, avec les transformations des rapports villes-campagnes, avec les évolutions des usages et du peuplement des espaces ruraux et périurbains ainsi qu’avec les politiques conduites par les principales structures d’encadrement de la chasse.

Sont d’abord restitués et différenciés, dans la seconde partie de ce travail, les enjeux auxquels font face les acteurs « ordinaires » rencontrés en Seine-et-Marne et en Côte-d’Or. Travaillant, dans le cadre d’une démarche comparative, sur la manière dont sont notamment pensées et vécues la perte de légitimité de la chasse et l’environnementalisation de ses pratiques, nous avons été confrontée au poids des appartenances de classe. Nombre de nos enquêtés de Seine-et-Marne et de Côte-d’Or ont le sentiment de faire l’objet, en leur qualité de chasseur et donc de résidents des campagnes, de formes de stigmatisation. Pour être correctement appréhendées, ces postures réactives doivent être resituées dans le cadre des transformations contemporaines des rapports villes-campagnes. Les évolutions sociodémographiques du Germanois et des environs bellifontains, précisément caractérisées dans la thèse grâce à une analyse des données du recensement, sont très différentes. Elles n’en sont pas moins communément défavorables aux fractions des classes populaires et des classes moyennes auxquelles appartiennent la majorité des chasseurs rencontrés. Une lecture univoque de leurs attitudes en termes de repli défensif ou de conservatisme serait pour autant inadéquate. En témoignent notamment les engagements observés dans l’environnementalisation des pratiques de chasse, qui sont puissamment structurés par les rapports sociaux de classe et de genre à l’œuvre.

L’analyse se resserre, dans la troisième partie, autour des investissements socio-spatiaux de certaines fractions sociales. En entrant par les activités cynégétiques, c’est-à-dire par des pratiques qui concernent le « hors-travail » tout en étant fortement territorialisées, nous avons bénéficié d’avantages remarquables en matière de sociologie des modes de vie. Nous avons accédé à une grande variété de milieux sociaux, dont certains – tels que les travailleurs indépendants relevant des catégories populaires, les classes moyennes à capital économique, ou la bourgeoisie terrienne  – sont moins bien connus que d’autres des chercheurs en sciences sociales. Nous avons aussi pu observer les membres de différents groupes sociaux en interaction dans les espaces locaux enquêtés. Trois fractions font en particulier l’objet d’analyses dédiées dans la dernière partie de cette thèse : les classes populaires stabilisées, les catégories intermédiaires mieux dotées en capital économique qu’en ressources culturelles, la grande bourgeoisie valorisant toujours l’ancrage territorial. L’étude des styles de vie de chacune de ces fractions sociales est systématiquement articulée à celle des relations que leurs représentants entretiennent avec les membres d’autres classes sociales.

Article mis à jour le 08-04-2016
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