Transgressions performatives dans les conflits armés : les selfies-trophées de soldats, de la guerre américano-philippine à la guerre en Irak (1899-2011)

Depuis l’invention de la caméra, les appareils photographiques accompagnent les soldats sur les champs de bataille pour capturer la violence de guerre. Mais c’est seulement depuis un peu plus d’un siècle que la photographie amateur des femmes et hommes combattants est devenue un véritable fait social et un médium de masse. Ce projet se veut une recherche interdisciplinaire et collaborative sur la photographie privée des soldats. Il s’agit d’examiner, dans un temps long et diachronique, les performances du soi militaire à travers le prisme du genre, de la sexualité et de l’affirmation de soi culturelle.

Les photographies instantanées prises par des militaires de rang inférieur constituent un outil extraordinaire pour questionner à nouveaux frais les acteurs et actrices du phénomène guerrier, l’armée en tant qu’institution et ce que l’on pourrait qualifier de culture de violence. Souvent, les soldats ne se souviennent pas de leurs actions ou de leurs émotions au cours des combats ou pendant des actes de violence spécifiques. Nombreux sont ceux et celles qui ne se rappellent plus pourquoi ils ont participé à ces opérations. Considérée dans ses contextes historique, géographique et politique spécifiques, la photographie privée des soldats transforme les expériences vécues en temps de guerre en un phénomène tangible. Les photos de groupe et les autoportraits des femmes et hommes combattants constituent un puissant moyen d’expression de soi.

Malgré les différences technologiques évidentes dans la manière dont les soldats en guerre s’exhibent devant la caméra entre la première moitié du XXe siècle et les pratiques actuelles, il existe des similitudes frappantes dans la conscience de soi des soldats, dans le caractère ludique des prises et dans l’intrépidité du choix des motifs. Sur d’innombrables photographies, les soldats posent à côté d’un cadavre, singent leur ennemi, ou miment des gestes sexistes en grimaçant à la caméra. Ces « selfies-trophées » (« trophy selfie ») révèlent des facettes centrales de la guerre, donnant des perspectives intimes sur la violence excessive ainsi que sur les dynamiques de groupe entre pairs. Qui plus est, ces photographies soulèvent des questions importantes sur la « nature » genrée de la guerre, mais aussi sur les usages, les réappropriations et les recodages de ces images.

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