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09.03.2022

L'art de décrypter : Sherlock Holmes, un logicien inspirant pour le débat public

Casquette vissée sur la tête, pipe à la bouche, Sherlock Holmes, c’est une silhouette reconnaissable entre toutes. C’est surtout un détective hors pair, un héros doté d’un superpouvoir : l’art du raisonnement et de la déduction. À l’heure où les réseaux sociaux nous enferment dans nos certitudes plus qu’ils ne nous ouvrent sur le monde, ne gagnerions-nous pas à apprendre du fameux logicien ? Réponses et décryptage à la loupe de la méthode holmésienne avec Aurélie Jean, docteure en sciences, entrepreneure et auteure.

 

   
   

Sherlock Holmes, personnage iconique et intemporel

Né en 1887 sous la plume de Sir Arthur Conan Doyle dans le roman policier “Une étude en rouge”, Sherlock Holmes est le parangon du détective moderne, un virtuose de la résolution intuitive et analytique. “C’est un personnage complexe et paradoxal, asocial quoique appréciant la compagnie de son acolyte Watson, rationnel mais en proie à de multiples phobies. Sa puissance intellectuelle le dépasse au point de se droguer quasiment tous les jours”, commente Aurélie Jean.

Plébiscité par son lectorat jusqu’à contraindre son auteur à le ressusciter après son accident mortel mis en scène dans le « Dernier problème » paru en 1893, Sherlock Holmes continue de fasciner. Il reste aujourd’hui le héros de fiction le plus adapté avec plus de 250 pièces de théâtre, films, séries télévisées, bandes dessinées, romans et même jeux vidéo à son actif. “Sherlock Holmes est un héros culte par sa modernité. Bien sûr, sa personnalité ne correspond plus vraiment aux standards actuels mais la méthode scientifique qu’il utilise (rappelons que son auteur était médecin) est, elle, intemporelle”, résume Aurélie Jean.
 

La méthode scientifique, une opportunité pour l’espace public ?

Qu’il se penche sur une écriture, une empreinte, un poison ou un cadavre, le célèbre détective a recours à la méthode scientifique pour élucider ses enquêtes. “C’est une procédure rigoureuse de vérification, encore aujourd’hui appliquée dans toutes les sciences, dures comme humaines, pour confirmer ou infirmer des théories existantes ou, au contraire, dégager de nouvelles hypothèses à éprouver. Elle s’appuie sur quatre piliers : l’observation, l’expérimentation, l’usage de la théorie et le raisonnement logique. Sherlock Holmes la pratique dans chacune de ses enquêtes, même s’il y ajoute un peu d’intuition tout de même !“ précise Aurélie Jean. Une méthode qui a fait ses preuves, de la police scientifique à l’administration judiciaire, qui pourrait aussi s’avérer intéressante pour les arènes du débat public.


 

De nos jours, au regard des débats enflammant la toile et les médias en général, privilégier le raisonnement à la réaction en appliquant la méthode scientifique chère à Sherlock semble pourtant une pratique un rien obsolète. “Le débat calme et articulé existe encore mais le raisonnement émotionnel est désormais très souvent placé au-dessus des faits”, nuance Aurélie Jean. Raisonnement émotionnel, l’expression tiendrait presque de l’oxymore tant l’affect tend à brouiller le discernement. Les responsables politiques qui ont tendance à sentimentaliser leurs discours et leurs campagnes l’ont d’ailleurs bien compris. S’il est évidemment quasi impossible, voire contreproductif, de dissocier totalement l’émotion de la raison dans les prises de décision personnelles, la montée en puissance de la dimension émotionnelle dans le débat public contribue inévitablement à un appauvrissement des échanges et à une radicalisation des idées. Les passions déchaînées lors des dernières élections américaines en sont un exemple flagrant. 

Le raisonnement logique pour muscler notre qualité à débattre

 

“La division et la polarisation idéologiques ont toujours existé. Elles se sont simplement intensifiées avec l’accélération de la propagation des informations, mais aussi des contenus transgressifs, polémiques, complotistes, et des fake news, par les outils numériques et les nombreux effets de bulles observés sur les réseaux sociaux.“ 

Cette balkanisation des chapelles de pensée, conjuguée à la propension naturelle des individus à l’homophilie, conduit les citoyens à ne prendre en considération que les propos favorables au renforcement de leur idée, leur croyance et leur vision, même s’ils n’ont aucune preuve de leur véracité. Le phénomène prend une telle ampleur qu’il devient quasiment impossible au citoyen d’appréhender les espaces cognitifs adverses, ce qui explique, par exemple, la surprise des anti Brexit au sortir des urnes. La confrontation d’arguments contradictoires constitue pourtant le pilier de l’exercice démocratique du débat public.

En redonnant sa place à la raison, en favorisant la détection des contre-vérités, en aidant les débatteurs à gagner en nuance, la méthode holmésienne pourrait ainsi utilement revivifier le débat public. “Il faut encourager chacun à se former à la méthode scientifique en s’appliquant à utiliser ses quatre piliers pour moduler son opinion”, déclare Aurélie Jean. “Cela passe par une analyse fine de ce que l’on observe et de ce que l’on ne voit pas, de ce que l’on expérimente et de ce que les autres vivent, de ce que l’on sait et qui a été démontré et de ce qui fait polémique ou qui est controversé. La méthode scientifique est le meilleur outil d’auto-défense intellectuelle.“ De quoi affûter notre esprit critique et notre qualité à débattre, et en faire de précieux alliés pour recentrer le débat public. Logique, ou plutôt, élémentaire, mon cher Watson….


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