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05.02.2016

La compliance : au-delà des sentiers bancaires

Depuis 10 ans, la réglementation internationale a rendu incontournable la notion de conformité – de compliance – pour toutes les activités bancaires et financières. Dans un monde en mutation rapide, les risques auxquels sont exposées les banques sont multiples et protéiformes. Si la conformité permet d’assurer une meilleure gestion de ces risques, la fonction ne se limite pas à une définition en négatif (le risque de non-conformité). Bien plus, la conformité a su démontrer sa capacité à être créatrice de valeur. Au-delà du secteur bancaire, elle irrigue désormais tous les secteurs d’activité. Décryptage de ce phénomène avec Vivien Levy-Garboua, consultant en économie et finance, professeur affilié au département économie de Sciences Po et directeur de l’Executive Master Finance d’entreprise et de marché – The emerging CFO.

UN NOUVEAU REGARD SUR LA GESTION DES RISQUES FINANCIERS

Aujourd’hui, la conformité s’impose dans le secteur bancaire, en support de tous les métiers. Son objectif : la prévention de risques. Il s’agit d’une acception très large du terme de « risque », comme l’explique Vivien Levy-Garboua : « La conformité s’assure que l’entreprise respecte toutes les règles, dans le fond et dans la forme. On parle de conformité à quelque chose : aux lois, au règlement de la profession, mais aussi aux règles de l’entreprise définies par les procédures, par le Conseil d’Administration ».

La conformité tire sa source de la réglementation bancaire et financière. Le risque de non-conformité a été défini par les travaux de Bâle II en 2004 puis les Directives européennes, dont la Directive MIF (Marchés d'Instruments Financiers) transposée par le Règlement Général de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) : il s’agit d’un risque de sanction – judiciaire, administrative ou disciplinaire – mais aussi de perte financière, d’atteinte à la réputation, résultant de l’absence de respect des dispositions législatives et réglementaires, des normes et usages professionnels et déontologiques, propres aux activités des banques. Un champ d’application très large.

« La notion de conformité est bien distincte de celle de légalité ; ce qui est légal n’est pas forcément conforme. Tandis que le juriste définit les conditions dans lesquelles il est possible d’agir, le responsable conformité décidera, à l’intérieur des actions juridiquement possibles, d’entreprendre un projet ou non, même s’il est légal. »

Vivien Lévy-Garboua

La conformité s’intéresse également aux dispositions relatives à la prévention du blanchiment et au financement du terrorisme, à la conduite des activités, à la protection de la vie privée et des données, à la législation fiscale, au droit du travail, etc. Enfin, la banque doit respecter d’autres règles : celles qu’elle s’est fixées. C'est-à-dire ses engagements tels que des codes ou chartes de conduites internes, des procédures définies, etc. « Le champ de la notion de conformité est très vaste, et change tout le temps. C’est donc un métier difficile. Il faut se garder de toute décision ambiguë. Ce qui est conforme aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain. »

TROIS GRANDES FAMILLES DE RISQUES

Concrètement, la conformité, dans la banque, couvre de nombreux risques que l’on peut classer en trois principaux domaines.

  • La sécurité financière : elle regroupe la lutte contre le blanchiment, la corruption, etc. Elle doit, dans un groupe bancaire international, s’adapter aux décisions nationales. Par exemple, aux États-Unis, respecter les embargos américains.
  • La protection contre la fraude, des abus de marchés et des conflits d’intérêt, le respect des règles de transparence, etc.
  • La protection des intérêts des clients dans la vente des produits et services, les échanges entre le client et la banque, etc. Ce domaine relève de la déontologie bancaire : il s’agit de veiller à ce que tout produit ou service acquis par un client soit bien approprié à sa situation et ses besoins, qu’une information claire lui a été donnée.

LE DÉFI DU DÉPLOIEMENT DE LA CONFORMITÉ

« La conformité n’est plus un luxe : c’est une exigence. Il faut à tout moment, dans tous les domaines, être totalement conforme. Il y a encore 5 ou 10 ans, cette exigence n’était pas aussi forte. Aujourd’hui, on peut être sûr que toute action ou décision non conforme sera rendue publique dans les 2 ans. »

Vivien Lévy-Garboua

La conformité, une exigence ? C’est indéniable. Et cet impératif entraîne un changement nécessaire dans l’organisation de l’entreprise : « Le responsable de la conformité est placé très haut dans la hiérarchie. Il doit être indépendant de toutes les influences. A ce titre, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à faire de la conformité une fonction verticale, avec une équipe dédiée ».

Le déploiement de la conformité dans l’entreprise entraîne un changement culturel profond, qui prend du temps et peut créer des tensions. La mission du responsable conformité est aussi pédagogique : « Ce changement culturel produit parfois une certaine dissension au sein de l’entreprise, entre notamment, les commerciaux qui veulent vendre les produits, développer leur business mais se heurtent aux recommandations du responsable de la conformité. L’installation de la fonction de conformité au sein de l’entreprise ne peut être réussie que si le responsable conformité a une vision claire de ce qu’il peut faire, qu’il est très soutenu par le management et que tous les collaborateurs de l’entreprise adhèrent progressivement à l’idée de conformité. La transition peut se révéler difficile, mais la nouvelle génération de financiers aura pleinement intégré ce paramètre ».

AU-DELÀ DU SECTEUR BANCAIRE

Pensée initialement à l’attention du secteur bancaire, la conformité se diffuse par capillarité à l’ensemble du secteur économique. C’est désormais une fonction répandue et opérationnelle dans nombre d'entreprises. Une tendance qui s’explique d’abord par la place grandissante de la finance dans l’entreprise.

« La finance est devenue envahissante dans le quotidien de chacun, fait l’objet d’informations constantes dans les médias. Elle a été remise en question par des considérations d’éthique, de gouvernance, de transparence… Tout l’environnement a changé radicalement, les risques sont démultipliés. La conformité permet de dresser une cartographie précise des risques propres à chaque entreprise. »

Vivien Lévy-Garboua

Mais la conformité a aussi acquis ses lettres de noblesse car elle constitue un atout en termes de compétitivité. D’une part, la prise de conscience du risque de non-conformité réglementaire est croissante. Le responsable conformité a également démontré qu’il n’était pas un policier, mais plutôt un référent qui apporte de la valeur ajoutée à l’entreprise. Dans un environnement incertain, la conformité revêt un véritable intérêt à trois niveaux :

  • elle permet d’identifier les risques et d’en assurer une gestion efficace,
  • elle contribue à préserver l’image de l’entreprise, qui peut se positionner comme partenaire de confiance pour ses clients et ses fournisseurs, ainsi que ses actionnaires,
  • elle est un outil au service de l’organisation de l’entreprise et de sa cohésion.

LES NOUVELLES RESPONSABILITÉS ET MISSIONS DU RESPONSABLE FINANCIER

Si tous les acteurs de l’entreprise sont concernés par ces mutations de l’environnement économique et réglementaire, ces transformations structurelles, le visage du responsable financier, particulièrement, est remodelé en profondeur par ces changements.

« Le responsable financier était auparavant un technicien qui tenait les comptes, gérait les relations avec les banques. Aujourd’hui, il doit toujours être ce technicien, mais aussi assurer les relations de l’entreprise avec les marchés, les analystes, les journalistes. Il réagit aux nouvelles et aux événements, est devenu l’homme de confiance du directeur général, au centre de la stratégie, de la communication et de la technique financière… Et il est confronté à des risques nouveaux, dont le risque de conformité. »

Vivien Lévy-Garboua

L’Executive Master « Finance d'entreprise et de marché – The emerging CFO » de Sciences Po a été conçu pour aider les financiers à relever ces multiples défis : « L’Executive Master forme le responsable financier de demain : un homme du monde actuel, qui réagit et anticipe, analyse, imagine en permanence différents scénarios. Un homme qui parle au patron mais aussi au marché, au monde extérieur, aux médias. Le tout, bien sûr, en étant garant de la véracité des informations, et de la conformité », conclut Vivien Levy-Garboua.

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