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16.12.2020

Rencontre avec Michael Storper et Tommaso Vitale, architectes du Double diplôme avec UCLA

L'École urbaine de Sciences Po et l’Urban Planning Department de UCLA (Los Angeles) - deux des formations les plus reconnues au monde en matière d’urbanisme, de politique et de gouvernance - ont lancé un nouveau programme de double master. Intitulée Global and Comparative Urban Planning and Governance, la formation a ouvert en septembre 2021.

Ce nouveau double diplôme renforce un partenariat de longue date entre Sciences Po et l’Université de Californie (UC), après la création d’un double bachelor pionnier avec UC Berkeley. Il est l’aboutissement des échanges nombreux et réussis entre les deux établissements.

Nous avons rencontré les professeurs Tommaso Vitale (Sciences Po, CEE) et Michael Storper (UCLA), qui sont avec Patrick Le Galès (Doyen de l'École urbaine) les architectes de ce nouveau programme.

Comment est né ce double diplôme entre les deux universités?

Tommaso Vitale : Tout est parti de la recherche, et d’une forme de camaraderie intellectuelle. Nous avons avec UCLA une approche commune des problématiques de planification, de gouvernance urbaine et de pilotage des politiques publiques : nous partageons la même sensibilité face à la pertinence des données empiriques et le souci de prendre en compte les complexités de la planification urbaine. C’est sur cette base que nous avons imaginé ce double diplôme transatlantique : >une conversation intellectuelle sur les enjeux actuels dans la plupart des régions du monde. Nous avons créé ce programme conjoint pour explorer, comprendre et comparer l'urbanisation, la théorie urbaine et les dynamiques politiques qui constituent la réalité des villes d’aujourd’hui.

Michael Storper : J’ai fait l’aller-retour entre UCLA et Sciences Po pendant de nombreuses années, et cela m’a donné une bonne vision de ces deux communautés intellectuelles et de ce qui se passait dans chacune d'elles. J'étais proche des collègues qui ont créé l'École urbaine, et en la voyant se développer, j'ai commencé à me rendre compte que nous aurions beaucoup à gagner à créer des liens entre nos programmes. Il existe des points forts différents mais complémentaires des deux côtés : dans les traditions d’enseignement et de recherche américaines sur l’urbanisme et la gouvernance urbaine, et dans l'approche développée au sein du master Governing the Large Metropolis à Sciences Po. J'y ai vu une opportunité en or de créer un ensemble plus grand que la somme de ses parties.

Quels sont les atouts majeurs de ce nouveau double master ?

MS : Ce programme est assez unique en ce qu'il donne aux étudiants la possibilité de vivre et d'étudier dans deux laboratoires distincts : Los Angeles et Paris. Pour moi, ces deux villes forment un binôme bien plus stimulant que les duos classiques Paris/Londres ou Paris/New York. Los Angeles est une mégapole du monde développé qui n’a rien à voir avec les autres (Tokyo, Paris, Londres et New York) : très étendue, avec un climat chaud et sec, beaucoup de voitures, et bien plus récente. Mais malgré des formes historiques et spatiales radicalement différentes, Los Angeles et Paris partagent certains défis communs aux grandes villes d'aujourd'hui : gentrification, ségrégation, racisme, inégalités... Les étudiants de ce programme pourront étudier et comprendre les conséquences des choix qui sont faits dans ces contextes différents. Je ne pense pas qu’il y ait un autre diplôme dans le monde qui combine ainsi points communs et différences : c’est un véritable laboratoire d’apprentissage pour les étudiants. Autre originalité : les étudiants obtiendront une accréditation professionnelle pour travailler aux États-Unis en tant qu’urbanistes tout au long de leur année d'étude à UCLA, ce qui est extrêmement rare.

En quoi consiste le programme ?

MS : Le master comprend deux années d'études, la première à UCLA et la seconde à Sciences Po. Les étudiants suivent un programme intensif - ils font en un an dans chaque université ce qui se fait normalement en deux. Ils étudient un programme de cours fondamentaux à UCLA et choisissent une concentration : logement, développement régional, analyse environnementale, conception & développement ou développement communautaire.

TV : À Paris, les étudiants étudient des sujets très divers liés aux problèmes multidimensionnels qui régissent les relations entre villes et États. Au premier semestre, ils suivent des cours sur les questions de mise en œuvre des politiques urbaines, et les défis posés par la durabilité, le changement climatique et la gestion des ressources environnementales dans les grandes métropoles. Il existe également quatre grandes concentrations : services publics & infrastructures, planification, questions sociales, et villes intelligentes & numériques. Au cours du deuxième semestre, les étudiants suivent des cours d'urbanisme classiques sur l'histoire régionale et la géographie des métropoles du monde - Asie du Sud, Asie du Sud-Est, Afrique, Méditerranée, Amérique latine, etc. - et ils s’imprègnent des sciences sociales urbaines. Au final, les étudiants obtiennent un double diplôme vraiment comparatif.

Quels sont les plus grands défis auxquels les étudiants en urbanisme et en gouvernance seront confrontés dans leur future carrière ?

MS : Je pense que le premier défi est celui des inégalités. Des métropoles comme Paris et L. A. ne vont pas tarder à devenir victimes de leur succès. Les villes “superstars” concentrent aujourd'hui les populations les plus qualifiées, à hauts revenus, en un mot les “gagnants” de notre monde. Objectivement, au cours des 30 dernières années, ils ont enrichi la qualité de vie en ville avec de nouveaux équipements incroyables, du transport aux musées, en passant par de nouveaux bâtiments magnifiques et une offre culturelle florissante. Ils sont également devenus incroyablement multiculturels. La mauvaise nouvelle, c’est que ce succès cache d’énormes risques : si nous ne nous occupons pas de rendre ces villes plus inclusives économiquement et socialement, les tensions vont augmenter (et elles augmentent déjà). Les inégalités économiques conduisent à des inégalités de logement et à la gentrification, et le risque est que les ressources que nous investissons dans les villes ne soient pas disponibles pour une proportion suffisante de la population urbaine.

Le deuxième défi est celui du changement climatique. Il s’agit d’une menace existentielle pour nos villes. Dans ce double diplôme, les étudiants suivront des cours spécialisés sur l'urbanisation durable, la transition écologique et l'adaptation. Ces sujets sont également intégrés au cœur du programme. L'urgence de cette crise et la nécessité d’y adapter les villes sont des choses auxquelles les étudiants seront tout de suite confrontés en arrivant sur le marché du travail.

Quel est le rôle d'un urbaniste au 21e siècle ?

TV : Le défi pour les étudiants et les planificateurs urbains - qu’ils soient débutants ou expérimentés - les décideurs politiques et les personnes en charge de la direction des infrastructures, est d’arriver à réguler toutes les forces en présence dans une ville. C’est une question de réglementation, un défi majeur qui concerne non seulement les habitudes comportementales (comment les gens utilisent et interagissent avec les villes), mais aussi les pouvoirs économiques et les politiques publiques. Tous ces éléments jouent un rôle : ce n’est plus seulement une question d’interdisciplinarité. Il s'agit également d'échapper aux visions simplistes : réglementation de masse, plus d'opportunités et plus d'inclusion. Nous voulons exposer les étudiants à l'art de la régulation, l'art de comprendre comment planifier des choses qui doivent durer et qui nécessitent de l'argent, des compétences, de la technique, de l'ingénierie et des coalitions sociales et politiques pour les faire aboutir.

MS : Un planificateur au 21e siècle n'est pas quelqu'un qui appuie sur un bouton ou tire un levier, ou juste un décideur. Son rôle est de rassembler différentes personnes, organisations et processus pour arriver à des solutions de gouvernance face à des problèmes multiformes. Cela ne se limite pas à rédiger des politiques publiques : le planificateur doit aussi agir comme un acteur intégré et impliqué dans ce processus de gouvernance. Une bonne politique doit être un accord vivant, un processus qui avance.

Quelles trajectoires professionnelles s’ouvrent aux diplômés de ce programme ?

TV : Tout une gamme de débouchés leur est ouverte. Certains peuvent se lancer dans le conseil ou la gestion de projet, ou assurer des rôles de coordination dans les agences… D'autres travailleront dans des collectivités locales ou territoriales sur la planification urbaine ou régionale, voire en recherche appliquée. Il existe également une très large palette de métiers dans le domaine des services publics, du développement immobilier, des systèmes alimentaires urbains, des solutions de logement ou des programmes de régulation. De plus en plus fréquemment, nos diplômés sont recrutés par des startups ou des entreprises technologiques menant des initiatives de ville intelligente. Comment expliquer cela ? Il se trouve que les profils issus de la technologie ne comprennent pas toujours le langage des villes et leurs conflits ; ils ont besoin de médiateurs pour assurer la communication entre les solutions numériques et les autorités locales ou étatiques. Il y a une forte demande pour cette nouvelle génération de planificateurs dans le domaine de la technologie, et dans tous les secteurs confrontés aux effets disruptifs des processus informatiques. La solidarité, le néo-mutualisme et la santé urbaine offrent un nouveau marché du travail dynamique aux jeunes diplômés capables d'organiser une action collective et de s'engager.

MS : Beaucoup de nos diplômés travaillent également dans des associations et des organisations internationales - la Banque mondiale ou l'Interdevelopment Bank, les Nations Unies, l'OCDE, l'UE, etc. Il existe déjà une grande diversité de parcours professionnels pour les diplômés de nos deux écoles, et ce programme de double diplôme ouvrira encore plus de ces voies grâce à l'expérience comparative mondialisée qu’il apporte.

L'équipe éditoriale de Sciences Po