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30.06.2021

Interview de Natacha Valla, Doyenne de l'EMI

L'École du management et de l'innovation (EMI) de Sciences Po a pour vocation de favoriser une "prospérité inclusive". De la finance aux industries créatives, des grandes multinationales aux start-ups en herbe, ses promotions forment les acteurs économiques de demain.

Sa Doyenne Natacha Valla nous présente les innovations, débouchés, profils, perspectives d’avenir et projets pédagogiques de l’École, dans un monde en constante mutation.

Qu’apprend-on à l’École du management et de l’innovation ?

Natacha Valla : L'EMI est probablement l'endroit où l'éventail des masters est le plus large à Sciences Po. Nous avons les masters dits " traditionnels " : en finance, en stratégie ou en ressources humaines, où les étudiants apprennent des compétences traditionnelles aux écoles de commerce, mais en les approchant aussi à travers le prisme des sciences sociales, qui sont ancrées dans l'ADN de Sciences Po.

Mais l'École a aussi une autre facette plus liée à la créativité. Nous nous intéressons aux industries créatives, à la communication, aux médias, à l'innovation, à la transformation numérique et au marketing. Dans ces matières aussi, nous adoptons une "Sciences Po touch" : nous ne faisons pas de marketing brut, nous faisons du marketing avec une dimension sociale. Nous avons également un Master intitulé “Marketing: New Luxury & Art de Vivre” ("Nouveau luxe et art de vivre"), qui aborde vraiment l'activité économique par le prisme de la culture, de l'art et des sciences sociales.

En quoi vos programmes sont-ils innovants ?

Natacha Valla : Les différentes facettes de l'École se mélangent dans une certaine mesure, à travers nos cours du tronc commun, auxquels nous avons ajouté à partir de septembre 2021 un corpus dédié à la thématique Data & Digital. Ce corpus est accessible à tous les Masters et comporte 3 sphères thématiques : une approche quantitative “Outils, données et analyse” qui comporte des enseignements autour du code, de l’exploitation, de la modélisation et de la visualisation des données. Le deuxième volet a trait aux sciences sociales : l'éthique des données, comment faire face aux fake news, quelles sont les implications juridiques du développement du numérique et des données.... Et enfin une formation aux outils professionnels intitulée “Outils de management”, qui permettra aux étudiants de maîtriser des outils et méthodes concrets dans le champ de leur choix en fonction du Master : des cours spécifiques de Data & Digital consacrés à la finance, ou encore à l'art numérique, etc.

Nous avons également développé de nombreux dispositifs pédagogiques innovants. Les Capstone Projects, par exemple : les étudiants du Master en International Management and Sustainability s'inscrivent à des projets concrets proposés par différentes entreprises en début d'année, et ils y travaillent en petits groupes tout au long de l'année. À la fin de l'année, un jury évalue les résultats du travail accompli. Cette année, pour la première fois, nous avons un partenariat avec l'Institut de France, qui décernera un Prix du projet Capstone en septembre.

Nous avons également un corpus pour l'ensemble des programmes de l'École appelé Grand Challenges. Cette année, pour l'un des modules, on nous a demandé de travailler sur le Château de Chantilly, qui recherchait des contributions du côté du marketing, de la finance, de la stratégie et du design. Nous avons organisé des groupes agiles, et nous avons fait la restitution finale sur place à Chantilly. Nous continuerons l'année prochaine avec un autre château en région parisienne, et j'espère que c'est le début d'une série pour vraiment articuler ce que nous enseignons avec la richesse d'exemples concrets.

Qu'est-ce qui rend l'École du management et de l'innovation de Sciences Po unique ?

Natacha Valla : Ce qui nous rend unique, c'est la mesure dans laquelle nos enseignants viennent de l'extérieur et se mêlent au corps professoral de Sciences Po.

Nous sommes probablement les seuls à offrir aux étudiants une formation en sciences sociales en plus des compétences plus techniques que l'on obtient dans une école de management traditionnelle. Ce mélange de professeurs et de compétences est motivé par l'un de nos principaux objectifs : doter les étudiants d'une capacité de réflexion et d'un esprit critique à l'égard des décisions qu'ils auront à prendre dans leur vie professionnelle, et d'une largeur de vue en termes de développement de stratégies.

J'aime utiliser une expression allemande : Mündigkeit. Cela signifie être mature, raisonnable dans son jugement, être capable de formuler un jugement et de le rationaliser au lieu d'être simplement guidé par des instincts et des émotions. Je pense que c'est une qualité que nous essayons vraiment d'encourager chez nos étudiants par le biais de cette approche mixte, et je ne pense pas que vous trouviez facilement un mélange similaire dans d'autres écoles. Elles peuvent être plus fortes en matière de certaines compétences spécifiques de gestion ou d'instruments financiers, mais ce mélange que l’on cultive à Sciences Po est vraiment unique. Et comme nous avons une telle diversité de matières et de masters, le côté créatif de l'école alimente le côté plus traditionnel, et vice versa. Cela développe chez nos étudiants une forme de résilience, ainsi qu'une volonté de créativité et d'innovation.

Qui sont les étudiants de l'École du management et de l'innovation ?

Natacha Valla : Nous avons une très grande diversité de profils. Notre recrutement est assez diversifié, avec des étudiants venant du Collège Universitaire de Sciences Po mais aussi par le biais des procédures d'admission française et internationale. Par exemple, nous avons pas mal d'étudiants ingénieurs, qui ont déjà de fortes compétences techniques mais qui recherchent cette complémentarité propre à l’EMI.

Le luxe de l'environnement de l’EMI est que nous pouvons fournir aux étudiants des compétences presque sur-mesure en fonction de ce qu'ils veulent faire et devenir. Vous pouvez rejoindre l'École avec le rêve de devenir consultant dans l'une des quatre grandes sociétés de conseil : vous rejoindrez le Master finance et stratégie, et serez exposé à toutes les dimensions du métier. Vous pouvez également venir à l'EMI avec l'objectif de créer votre propre entreprise. Peut-être choisirez-vous le Master innovation et transformation numérique et vous aurez des groupes plus petits, des cours consacrés au développement de projets, aux approches de design thinking qui vous rendront aptes à développer votre propre entreprise. Et l'un des avantages d'étudier à Sciences Po est son écosystème : par exemple, le Centre pour l’Entrepreneuriat pourrait fournir après votre diplôme un environnement où vous pourriez nourrir et incuber votre projet. Nous avons également des cours dans le domaine des industries créatives, qui sont plus adaptés aux étudiants qui veulent avoir une carrière avec une formation artistique, dans le secteur privé. Ils acquièrent des compétences en gestion, en marketing de la culture...

Nos diplômés sont très agiles pour comprendre ce que l'on attend d'eux dans leur vie professionnelle. Ils ont une solide culture en sciences sociales. Je pense qu'ils sont également ouverts d'esprit, ce qui leur confère une capacité à gérer les transitions et les transformations, une compétence toujours nécessaire mais encore plus aujourd'hui, après la pandémie et la succession de crises que nous traversons depuis 2008 environ. Ils ont cette résilience qui les rend uniques. C'est quelque chose que nous entendons régulièrement de la part des entreprises qui embauchent nos étudiants, à l'unanimité.

Je suis fière de nos étudiants. Il est très difficile d'intégrer Sciences Po en général, et l'EMI ne fait pas exception à la règle. Nos étudiants sont des individus assez uniques, ils ont des ambitions uniques, des profils uniques, et cela se voit à la fin de leurs études.

Comment placez-vous le bien commun dans votre projet éducatif ?

Natacha Valla : L'environnement de l’EMI est basé sur quatre ensembles de valeurs : l’excellence, l’intégrité et la responsabilité, la réflexivité et l’ouverture, l’égalité des chances et la diversité. L'idée du "bien commun" n'est pas une matière en soi, mais une dimension transversale de notre pédagogie et une valeur centrale de l'École.

Nous adoptons une approche très réaliste du bien commun. Cela commence par un constat de base : nous vivons depuis des décennies dans un monde qui donne la priorité à la valeur actionnariale d'une entreprise sur tout le reste. La façon dont nous reformulons ce vieux paradigme est de dire : il ne s'agit pas seulement des actionnaires, mais des acteurs. Pas seulement ceux qui possèdent, mais aussi ceux qui font : les travailleurs, l'environnement, les décideurs politiques, chaque entité et individu impliqué dans les activités de l'entreprise. Il s'agit également de gouvernance.

Cela change l'état d'esprit que les étudiants adopteront dans leur travail et les outils dont ils auront besoin. Il ne suffit pas de connaître la comptabilité financière pour diriger une entreprise, il faut avoir une notion de ce qu'est le bien commun. Aujourd'hui, celui-ci est particulièrement lié au développement durable, aux enjeux du changement climatique et aux inégalités. À l'École, nous avons des sections spécifiques du programme qui en tiennent compte, et nous mélangeons ces touches avec les outils plus traditionnels que nous enseignons. Nous introduisons de nouveaux cours autour de ce concept : par exemple, nous avons construit un cours du tronc commun sur la raison d'être des entreprises, qui comporte des dimensions juridiques, la prise de décision et la réflexion stratégique.

La transformation et la transition sont devenues, à mon sens, les bases de la vie professionnelle. La génération d'étudiants actuelle est presque née dans une succession de crises qui affectent l'économie et la société mondiales : la plus importante est le changement climatique et la transition verte qui doit en découler, mais il y a aussi le processus de digitalisation, et maintenant en particulier les questions soulevées par la pandémie.

Je pense que l'environnement professionnel va devoir chercher un nouveau mode de fonctionnement qui n'a pas encore atteint un état stable. Et il appartiendra à nos étudiants et à nos diplômés de prendre ces décisions de manière consciente, d'être des "entrepreneurs du changement".

>Je pense que cette situation est tout à fait unique, c'est un mélange d'opportunités et d'impératifs qui, ensemble, nous obligent à nous adapter.

Quel a été l'impact de la pandémie sur l'école et sur les domaines que vos étudiants souhaitent rejoindre ?

Natacha Valla : Sciences Po dans son ensemble s'est adapté au choc de manière très volontaire, en essayant de préserver la continuité. Nous n'avons pas été parfaits, et je pense que personne ne l'a été, mais au fil du temps, une résilience est apparue. Il y a eu beaucoup d'enseignement à distance, pour lequel nous avons dû développer les compétences de la communauté enseignante et nous assurer qu'aucun étudiant n'était laissé de côté.

Nous sommes encore ouverts sur la manière dont nous allons évoluer à partir de maintenant, et j'aimerais beaucoup utiliser les compétences et les équipements que nous avons développés en termes d'hybridité, pour explorer les opportunités ouvertes par le modus operandi de la crise.

Dans le monde professionnel, certains secteurs ont beaucoup souffert : les domaines liés aux industries créatives, à la communication dans une certaine mesure, ont subi un grand choc et doivent trouver de nouvelles façons de fonctionner. Mais la crise a également créé de nouvelles opportunités, dans l'audiovisuel par exemple.

Nous essayons d'anticiper les changements liés à la pandémie, mais aussi à la transformation numérique et, surtout, aux nouvelles opportunités liées au développement durable et à la transition écologique. Le bijou que nous avons pour cela est notre communauté enseignante. Elle réunit d'une part les professeurs permanents de Sciences Po qui nous donnent les visions et perspectives théoriques, et d'autre part la richesse des profils des personnes qui viennent enseigner à l'École. Ce sont des seniors des médias, des banquiers, des designers, des partenaires de grandes sociétés de conseil, ou encore des entrepreneurs dans les industries créatives... Ce sont eux qui embauchent les jeunes, et ils savent mieux que quiconque de qui ils auront besoin dans les années à venir. Cette diversité de profils et d'origines dans notre communauté d'enseignants est vraiment l'une des richesses de l'École de management et d'innovation.