CERI
/lab.

Paroles de thèse, avec Ronan Jacquin

Ronan Jacquin est doctorant au CERI depuis 2018.

Lire

 

Thèse

Les transferts monétaires en Afrique. Circulations, conception et mise en œuvre : une analyse comparée Ouganda-Namibie, sous la direction de Richard Banégas et Philippe Bezès.

Localisation(s) précise(s) de vos terrain(s) ou de vos lieux de recherche

Ouganda (Kampala, district de Kiboga) et Namibie (Windhoek, pays Ovambo au nord du pays-district d'Oshana et d'Ohangwena).

Pourquoi le terrain est-il important dans votre travail de thèse ?

Le terrain est fondamental dans ma thèse, car c'est de lui que je tire les données qui me servent à élaborer une analyse théorique. Je travaille selon une méthode inductive, qui vise à construire une problématique et un objet de recherche cohérents et novateurs à partir du corpus de données récolté. Concrètement, j'ai effectué deux missions de plusieurs mois en Ouganda et en Namibie, pour y recueillir différentes données sur les programmes de transferts monétaires : principalement à travers des entretiens semi-directifs (avec des responsables politiques, des experts et des hauts fonctionnaires chargés de la planification de ces politiques, des fonctionnaires et des notables locaux chargés de leur mise en œuvre, des ressortissants de ces programmes, divers observateurs et parties prenantes, etc.) mais aussi des observations de leur fonctionnement concret (au guichet des programmes, dans les foyers des ressortissants, dans les bureaux où s'élabore la planification) ainsi qu'un travail d'archives nationales ou locales sur le fonctionnement quotidien et l'évolution historique des programmes.
Une recherche menée à distance, fondée sur la littérature grise et les informations disponibles publiquement n'aurait pas été possible : le terrain me permet d'obtenir de multiples explications, exemples et détails sur le fonctionnement concret de ces programmes (y compris au-delà des discours officiels et des témoignages de leurs promoteurs) mais aussi sur la vision qu'en ont les différentes parties prenantes, leurs réactions, les interprétations émiques qu'ils en font, les transformations à l'œuvre en termes d'attitudes et de subjectivité, etc.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées sur votre terrain ou dans vos recherches ? Quelles techniques avez vous développées pour les surmonter ?

Différentes difficultés, plus ou moins importantes, sont apparues sur mes terrains, mais la principale consistait en la barrière de la langue : une partie importante de mes enquêté-e-s, notamment les ressortissants des programmes de transferts monétaires mais aussi parfois les notables locaux, surtout en milieu rural, ne parlaient pas anglais malgré le fait qu'il s'agisse de la langue officielle à la fois en Ouganda et en Namibie. De mon côté, malgré quelques notions de swahili, je ne parlais pas les langues vernaculaires pratiquées sur place et qui varient en fonction des régions dans lesquelles je travaille et des individus que je rencontre. Pour pallier à cela, j'ai eu recours à des traducteurs/assistants de recherche qui maîtrisaient à la fois l'anglais et les langues en question et avaient une bonne connaissance de la région et de ses spécificités. C'est un aspect important car le travail de cet intermédiaire ne se réduit pas à assurer la traduction des échanges entre mes enquêté.es et moi. Il prend une part active dans la recherche en interprétant les discours des enquêté-e-s, en négociant les conditions d'accès au terrain et de conduite des entretiens avec eux, en proposant ses propres interprétations et en suggérant de nouvelles pistes, etc. Le fait de devoir passer par un intermédiaire peut alors devenir une ressource car il permet d'enrichir la recherche à tous ces niveaux. La bonne entente avec eux, à la fois sur le plan humain et au niveau des objectifs de la recherche, est donc cruciale. Par exemple, la relation avec mon assistant en Namibie était excellente et m'a permis de gagner un temps précieux sachant que mon terrain avait été retardé et écourté par la pandémie de la covid-19. De plus, il me donnait de nombreux détails sur la vie locale, l'histoire politique des lieux investis, etc., ce qui constitue une source d'information supplémentaire. En comparaison, la relation avec mon assistant en Ouganda était moins naturellement fluide et nous a poussé à de nombreuses discussions et ajustements au début du terrain sur la division du travail et les objectifs de la recherche.

Qu'est-ce qui vous a amené à choisir ce terrain ou ce sujet de thèse ? Qu'est-ce qui vous lie à ce terrain ou/et ce sujet ?

J'ai d'abord travaillé sur l'Ouganda lors de mon mémoire de master. J'ai choisi ce terrain très naturellement car j'avais y effectué une année d'échange, à l'université Makerere, lors de ma licence à Sciences Po. Je connaissais donc déjà bien le pays et j'étais désireux d'y mener ma recherche. J'ai ensuite construit mon objet de recherche en fonction des dynamiques locales sur les sujets qui m'intéressaient (la pauvreté et les politiques publiques), en constatant notamment l'émergence à cette époque d'un nouveau programme de transferts monétaires sur lequel il n'y avait pas encore de travaux. Par la suite, j'ai opté pour une comparaison avec la Namibie selon un raisonnement plus conforme à la méthodologie comparative, car ce pays représentait un exemple typique de "most different case" : les programmes de transferts monétaires mis en œuvre étaient relativement similaires, alors que de nombreuses différences existent entre les deux pays au-delà de ces politiques. Cela permettait donc d'étudier avec d'autant plus de finesse les dynamiques propres à ces politiques.

Que souhaiteriez-vous dire de plus sur votre thèse au CERI ?

Le CERI est un laboratoire particulièrement large et hétérogène sur les objets de recherche, les terrains et les méthodes. Au-delà des discussions sur l'objet de recherche lui-même et les enjeux qui lui sont propres, cette diversité permet des discussions souvent très enrichissantes sur le travail de terrain, la méthodologie, les techniques et "astuces" utilisées, etc.

Mots clés
©Image : Moiseenko Maksim pour Shutterstock